Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, treize ans après l’annonce de la fin de la conscription, qu’en est-il du fameux service civil volontaire censé remplacer le service militaire comme pierre angulaire de notre engagement citoyen ? En réalité, pas grand-chose !
Après maintes réflexions, études et tribunes ; après avoir entendu tous les gouvernements chanter les louanges de cette « magnifique » idée ; après l’avoir un peu « oubliée » puis s’en être souvenu précipitamment lorsque les banlieues brûlaient ; après l’instauration, par la loi pour l’égalité des chances, d’un statut officiel pour le service civil volontaire, nous ne sommes même pas à dix mille volontaires par an, bien loin des objectifs du plan Villepin qui entendait atteindre rapidement les cinquante mille volontaires civils par an. Du simple point de vue quantitatif, il s’agit donc d’un échec.
Les raisons de cet échec sont au nombre de deux et sont parfaitement identifiées, tant par le rapport de Luc Ferry que par celui de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes que je préside.
Premier élément de réponse : le budget attribué au service civil volontaire est ridiculement sous-doté au regard des enjeux et des objectifs.
Un jeune en service civil volontaire, dans le cadre de son contrat, reçoit une indemnité mensuelle maximale de 652 euros, dont 90 % sont à la charge de l’État. Si l’on ajoute les cotisations sociales, un volontaire coûte environ 14 000 euros par an. Or, le budget actuel ne permet pas le recrutement des dix mille volontaires, que dire des cinquante mille volontaires initialement souhaités ! En 2008, le rapport Ferry montrait que, dès le premier trimestre de l’année, sept millions d’euros manquaient déjà à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’ACSÉ, pour boucler son budget. L’ACSÉ était donc contrainte de demander aux structures d’accueil des volontaires de « cesser le recrutement de volontaires associatifs ».
S’agissant d’un projet au confluent de la formation, de l’orientation, de l’enrichissement personnel, mais aussi de la solidarité, du vivre-ensemble et de la citoyenneté, l’ambition et la volonté politique, et non les moyens, sont le facteur déterminant. Si l’ambition existe, la question des moyens ne se pose pas !
Ce gouvernement a-t-il vraiment l’ambition de refonder le lien citoyen entre l’individu et la collectivité ? Ce gouvernement a-t-il vraiment l’ambition d’organiser la rencontre de nos jeunes, le brassage de toute une classe d’âge – la mixité sociale, comme certains la nomment, qui n’a cessé de s’étioler ? Ce gouvernement a-t-il la volonté politique de s’attaquer enfin à ce problème ? Si la réponse à ces interrogations est positive, alors la question des moyens ne doit plus se poser.
Le déficit de communication est la seconde raison qui explique le faible développement du service civil volontaire : il résulte directement de la pénurie budgétaire. Le service civil volontaire n’est pas assez connu des jeunes, car aucune publicité n’est faite en ce sens. Seuls ont eu connaissance du service civil volontaire les jeunes ayant effectué une démarche d’information, ou ceux qui se sont adressé aux missions locales, dans le cadre plus général d’une aide à l’insertion professionnelle. Dans la quasi-totalité des cas, les recrutements s’effectuent grâce au bouche à oreille ou par le biais des actions menées ponctuellement par les associations – par exemple, les « cafés civiques temporaires », organisés par Unis-Cité sur la place de la préfecture à Cergy-Pontoise. La première urgence consiste donc à faire connaître le service civil volontaire. Sans vouloir minimiser le formidable travail de terrain que réalisent les associations, c’est à l’État d’agir en ce sens.
En résumé, le service civil volontaire constitue aujourd’hui une politique nationale essentielle, avec des objectifs quantitatifs devant se chiffrer en dizaines de milliers d’individus, voire en centaines de milliers, mais cette politique est promue uniquement par le bouche à oreille et ses crédits sont épuisés dès le premier trimestre de l’année ! Soyons sérieux : à ce stade, tout reste à faire.
En 2007, pendant la campagne présidentielle, le rapport Kouchner, établi au nom des socialistes, proposait une solution qui résolvait à la fois le problème de la diffusion de l’information sur le service civil et la question de l’engagement. Il défendait la mise en place progressive d’un service civique – et non pas seulement civil –, mixte et universel, qui serait « obligatoirement proposé à tout jeune entre 18 et 20 ans ». Nous pensons aujourd’hui que, si cette information était automatiquement intégrée dans la journée d’appel de préparation à la défense, le problème de la méconnaissance du service civil serait ainsi résolu.
Tout le sens du service civique consiste à organiser la rencontre entre l’engagement personnel et le service solidaire à la collectivité. L’individu doit donc être libre de s’engager ou non, libre des modalités de son engagement mais, dans le même temps, pour que le dispositif fonctionne, l’État doit être dans l’obligation de fournir les moyens de cet engagement. Ainsi, en plaçant l’obligation du côté de l’État et non plus du côté de l’individu – comme c’était le cas avec le service militaire –, on rompt également avec la tradition séculaire voulant que l’engagement citoyen soit subi.
Les préconisations du rapport Kouchner proposaient également que ce service civique mixte et universel puisse être fractionné dans le temps, qu’il s’inscrive dans un parcours citoyen en trois temps, commencé dès l’âge de seize ans, et qu’il soit plus largement accessible à toutes les structures – écoles, hôpitaux, associations, entreprises d’économie solidaire…
Aujourd’hui, ce projet s’étend naturellement au-delà des frontières de notre pays et une coordination des divers services civils en Europe, prenant la forme d’un véritable service civil volontaire européen, reste à accomplir. Il est essentiel que les jeunes européens prennent l’habitude de se rencontrer, de partager des projets et des valeurs.