Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 9 décembre 2004 à 11h00
Loi de finances pour 2005 — Iv. - tourisme

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

Monsieur le ministre, répondant aux questions des députés lors du débat à l'Assemblée nationale, vous avez tenu à souligner d'emblée l'attention particulière que le Gouvernement a portée à votre budget cette année. Permettez-moi de vous dire que je ne partage pas votre enthousiasme. Je m'en expliquerai brièvement ne disposant, malheureusement, que de quelques minutes.

En premier lieu, je rappelle que le budget du tourisme pour la période 1997-2001 avait, sous mon impulsion alors que j'occupais votre responsabilité, doublé pour atteindre les 100 millions d'euros.

Aujourd'hui, le budget que vous nous présentez ne s'élève qu'à 75 millions d'euros. C'est la première raison pour laquelle je ne partage pas votre enthousiasme. Ce ne sera pas la seule.

Ce qui est encore plus préoccupant, ce sont les deux postes budgétaires structurant d'une politique équilibrée et durable du tourisme qui ont été fortement touchés. Cela augure, sans le dire d'ailleurs, d'une orientation qui tourne le dos à ce qui a été mis en place depuis 1997. Il s'agit des contrats de plan et de la politique sociale du tourisme, notamment au travers du plan patrimoine.

Avant de développer plus longuement ces deux points, je voudrais revenir rapidement sur la conception du tourisme que j'avais personnellement animée sous le précédent gouvernement.

Notre qualité de première destination mondiale avec 75 millions de visiteurs, même si nous devons la moduler en fonction de la position géographique de notre pays qui en fait un lieu de passage et du niveau des recettes qui n'est pas en concordance, est une reconnaissance au plan international qui nous confère un statut, mais aussi une responsabilité en matière de modèle de développement.

C'est vrai, nous sommes heureux de recevoir chaque année ces millions de touristes étrangers et nous souhaitons répondre encore plus largement à cette attractivité. Du reste, si les taux de croissance reprennent leur rythme, atteindre les cent millions de touristes sera possible.

Pour cela, il me semble que deux conditions doivent être remplies. D'abord, ces visiteurs doivent être mieux répartis sur l'ensemble du territoire. Ensuite, l'accès aux vacances pour tous doit devenir une réalité pour un plus grand nombre de nos concitoyens, alors que 40 % en sont encore privés. Ces deux éléments sont indispensables si l'on veut accueillir encore plus de visiteurs sur notre territoire. C'est avec cet équilibre que peut vraiment prendre sens le développement d'un tourisme harmonieux, respectueux de l'environnement des territoires, des cultures et des hommes.

Cet objectif, fixé en 1997, demande un certain volontarisme que nous ne pouvons espérer du seul marché. C'est le rôle d'une politique nationale partagée avec les professionnels, les collectivités territoriales et le secteur associatif. Je crains que cet objectif, qui recueillait un très large consensus, ne soit peu à peu entamé au profit d'un retour à une logique libérale aux contours incertains.

Selon moi, l'abandon de la politique des contrats de plan Etat-région en est l'illustration. Pourtant, quel meilleur moyen pour diversifier, densifier, moderniser, soutenir les démarches innovantes que de partir des territoires et les aider à se valoriser, à se professionnaliser ? C'est, pour moi, l'outil essentiel d'une meilleure répartition des flux et d'une valorisation touristique de l'ensemble de notre pays.

Cet abandon, notre rapporteur le déplore également. Des engagements contractualisés d'un montant de 190 millions d'euros étaient prévus pour la période 2000-2006. De baisses de 50 % en gels successifs, ces crédits sont devenus inopérants et empêchent nombre de projets sur le terrain d'aboutir ou même de démarrer. J'avoue trouver cela paradoxal quand vous appelez de vos voeux la modernisation du secteur, notamment dans le cadre du plan qualité France.

De nombreux collègues dans cet hémicycle, quelle que soit leur appartenance politique d'ailleurs, sont extrêmement soucieux de cette situation, car ils comptaient bien sur cette manne des contrats de plan pour assurer le développement économique de leur territoire grâce au tourisme. Nous le savons, cette ambition est à la portée de tous dès lors que l'on est doté d'un site naturel ou d'un patrimoine culturel qui ne demandent qu'à être valorisés.

J'en viens maintenant à mon autre sujet de préoccupation, la politique sociale du tourisme. Accueillir les touristes étrangers est important, mais n'oublions pas que nos compatriotes sont les meilleurs soutiens du tourisme français : 80 % de ceux qui partent choisissent la France. En même temps, 40 % de nos concitoyens n'ont toujours pas ou peu accès aux vacances. Dans nos sociétés aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que c'est un droit fondamental et qu'en être privé est une injustice, un facteur d'exclusion supplémentaire.

La politique sociale du tourisme, outre qu'elle permet la croissance de ce secteur, joue aussi un rôle moteur pour tous ceux qui oeuvrent dans notre pays pour l'accès à ce droit fondamental. C'est pourquoi, avec mes collègues du groupe CRC, nous ne pouvons accepter que, pour la deuxième année consécutive, cette dotation soit sensiblement diminuée. De même, les crédits au titre de la compensation à la politique sociale de la SNCF au travers des billets de congés payés, des réductions de familles nombreuses, etc. - je sais que cela ne vous concerne pas directement - connaissent pour la première fois une légère baisse.

L'histoire du tourisme français, c'est aussi celle d'une grande conquête sociale - les congés payés - puis, dans la foulée, la naissance des grandes associations de tourisme social et familial, qui ont grandement participé à la démocratisation des vacances dans notre pays.

Ainsi, des centaines de villages de vacances ont vu le jour dans nos plus belles régions touristiques avec le concours de l'Etat. Chaque année, six millions de personnes passent leurs vacances dans ces villages.

Pour garantir la pérennisation de cette offre indispensable à nos concitoyens et à l'aménagement du territoire, pour permettre la rénovation, l'adaptation aux nouvelles attentes de ces structures, un plan de consolidation des hébergements de tourisme social avait été programmé jusqu'en 2006. Après avoir été fortement amputé d'année en année par votre Gouvernement, il disparaît aujourd'hui des autorisations de programme, ou presque. Quant aux crédits de paiement, comme l'ont dit les rapporteurs, ils baissent de 61, 7 %.

Les protestations du monde associatif, les réactions très sévères lors du débat à l'Assemblée nationale ont amené le Gouvernement à réagir en rattrapant le coup dans la loi de finances rectificative.

Ces tours de passe-passe, ces hésitations face à des choix cruciaux témoignent, me semble-t-il, d'un manque d'engagement clair et fragilisent tout un secteur qui a besoin de bénéficier d'un climat de confiance pour entreprendre ses projets ambitieux.

Je terminerai mon intervention en évoquant le chèque-vacances et l'Agence nationale pour les chèques-vacances, l'ANCV.

Je me réjouis que l'extension des chèques-vacances aux PME-PMI de moins de cinquante salariés poursuive son chemin et qu'un plafond fiscal de référence plus adapté ait été proposé et voté dans la première partie du projet de loi de finances.

Je voudrais cependant m'inscrire dans le débat récurrent sur l'éventualité d'une possible privatisation de l'Agence, dont on parle et qui suscite beaucoup d'inquiétudes. Le succès et l'efficacité du chèque-vacances sont dus à son caractère social et paritaire.

La politique de l'ANCV doit rester l'affaire des partenaires sociaux et associatifs sous la tutelle de l'Etat. Les excédents doivent continuer à soutenir tous ceux qui oeuvrent pour une politique sociale des vacances et ses choix d'attribution doivent relever des partenaires du chèque-vacances, réunis au sein du conseil d'administration. Les excédents du chèque-vacances ne doivent pas non plus venir compenser les manques d'une politique nationale. Sans privatisation, ni étatisation, on peut envisager les modernisations nécessaires.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du temps qui m'était imparti, j'ai concentré mes propos sur ce qu'il me semblait essentiel de dire sur l'ensemble de la politique du tourisme.

Je vous prie de m'excuser de n'avoir traité ce budget que de façon partielle, et je regrette de ne pas pouvoir m'exprimer sur d'autres sujets tels que la bourse solidarité vacances, le label tourisme et handicap, les problèmes rencontrés par les agences de voyage, les saisonniers et, enfin, Maison de la France, au sujet de laquelle mon appréciation aurait certainement été plus mesurée.

Compte tenu des inquiétudes que je viens d'exprimer, vous aurez compris qu'avec mes collègues du groupe CRC nous ne voterons pas le budget du tourisme.

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