Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 9 décembre 2004 à 11h00
Loi de finances pour 2005 — Iv. - tourisme

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 2003 a été marquée par la forte baisse de nos ressources touristiques, due principalement à une conjonction d'événements exceptionnels. Les résultats touristiques de l'année 2004 nous inquiètent. Les tendances ne sont pas bonnes.

La conjonction de ces événements aura eu le mérite de provoquer une réflexion importante sur ce secteur vital pour notre économie et de poser les bases d'une réorganisation de votre administration, monsieur le ministre.

Vous avez obtenu la réunion du comité interministériel sur le tourisme, au cours duquel d'importantes décisions ont été prises.

Vous avez regroupé deux entités : d'une part, le pôle de l'offre, constitué de l'agence française de l'ingénierie touristique, l'AFIT, et du service d'étude et d'aménagement touristique de la montagne, le SEATM, offre qui nécessite un travail de fond sur la régénération des produits et leur adéquation à une clientèle de plus en plus exigeante ; d'autre part, l'observation économique, qui permet aux opérateurs, tant privés qu'institutionnels, de développer des stratégies sur des bases fiables.

La Maison du tourisme est en train de se constituer. C'est le signe, d'une part, d'une reconnaissance importante pour ce secteur, d'autre part, de la volonté de développer à moindre coût les synergies nécessaires.

L'axe opérationnel de votre politique reposera donc sur un trépied : les prérogatives régaliennes, la promotion de l'image touristique de la France et l'amélioration de l'offre touristique.

Tout cela passe par une nouvelle implantation qui regroupera l'ensemble de vos services. Cela marque le budget pour 2005 : plus 2 millions d'euros. S'il s'agit d'une dépense positive, j'aurais préféré que lesdits services s'installent dans un immeuble appartenant à l'Etat. Il en aurait résulté une unité de lieu pour l'ensemble de vos services et une unité juridique pour la composante ingénierie touristique et observation économique.

A cela s'ajoutent un effort de renouvellement de la stratégie marketing de Maison de la France et un effort de cohérence de l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires, qui seront regroupées dans un code du tourisme.

Nous ne pouvons que saluer ces efforts de cohérence dans l'organisation, ainsi que la définition de quelques objectifs clairs et parfaitement lisibles.

Cependant, la définition d'objectifs aussi clairs soient-ils, portés par une structure réformée, ne peut être à elle seule un gage d'efficacité et de réussite si l'on n'engage pas les moyens nécessaires pour faire face aux enjeux et relever les défis qui nous attendent, et ils sont de taille !

Le budget que vous nous présentez, monsieur le ministre, n'est malheureusement pas en corrélation avec les ambitions affichées. En effet, la légère augmentation de 2, 9 millions d'euros par rapport au budget de 2004 n'est qu'un trompe-l'oeil.

Le rapporteur spécial nous indique justement que, « en dépit de la très légère hausse de la dotation globale affectée au budget du tourisme en 2005, il apparaît à l'examen que la politique du tourisme sera en réalité affectée par une baisse substantielle de ses moyens, ce qui rendra difficile la poursuite des objectifs que se fixe le Gouvernement en matière de tourisme ». Je ne peux qu'être d'accord avec lui.

Au-delà de la critique de ce projet de budget, je souhaite appeler votre attention sur différents points, monsieur le ministre. Ils ne sont pas tous nécessairement « budgétivores », mais ils participent de la nécessaire impulsion à redonner à ce secteur.

Le premier point porte sur la durée du groupement d'intérêt public, le GIP. Cette forme juridique tend malheureusement à se généraliser pour « faire passer la pilule » du démantèlement organisé des services de l'Etat et de la réduction du nombre de fonctionnaires. A l'évidence, il y a, de la part de ce gouvernement, une réelle volonté de « casse » systématique de l'appareil d'Etat.

Pour être complètement objective, je sais que la formule du GIP peut permettre de répondre à des besoins nouveaux par des partenariats spécifiques. Le recrutement de personnels peut aussi s'en trouver facilité par des apports financiers extérieurs.

Le comité interministériel du tourisme a fixé à dix ans renouvelables la durée du GIP, ce qui donne une perspective à cette structure. Toute réduction de cette durée serait un signe de défiance à l'égard des partenaires et ne serait pas de nature à sécuriser les personnels, qui doivent - j'espère que c'est effectivement le cas - bénéficier de contrats à durée indéterminée.

La prolongation du GIP Agence française pour l'ingénierie touristique a été à chaque fois source d'inquiétude pour les personnels et objet de discussions stériles sur les termes de la convention de renouvellement avec Bercy. Il ne serait pas de bonne gestion de renouveler cette erreur.

Le deuxième point de mon intervention porte sur la fusion des corps d'inspection. Si la fusion envisagée est souhaitable dans le cadre de la réforme de l'Etat, nous apprécierions le maintien d'un service d'inspection du tourisme.

Je rappelle que, dans le cadre de la LOLF, le Parlement, dans son rôle d'évaluateur et de contrôleur de l'action publique, a vocation à solliciter les inspections, après saisine du ministre.

Il est donc nécessaire de veiller à préserver l'indépendance de ces structures dans leur spécificité et dans leur capacité réelle à conseiller les ministres, avec le recul et l'indépendance d'esprit qui doivent caractériser toute inspection.

Le troisième point concerne les délégations régionales au tourisme, la décentralisation et la déconcentration.

Le secteur du tourisme a été à la pointe de la décentralisation. L'Etat a déconcentré ses services en autant de régions, permettant ainsi le déploiement des politiques nationales au plus près du terrain. Cela reste d'actualité.

Les délégations régionales au tourisme ont été fortement perturbées par toutes les discussions sur le processus de décentralisation. Faute de perspectives claires, certains postes de délégué sont restés vacants au départ de leur titulaire. Dix postes sont à ce jour vacants, ce qui est considérable.

Après des annonces successives portant sur leur intégration dans les régions, puis comme correspondants territoriaux des secrétariats généraux pour les affaires régionales, les SGAR, il semblerait qu'on les maintienne en l'état. Sans doute n'avez-vous pas ménagé votre peine, monsieur le ministre, pour trouver l'issue la plus favorable. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Les agents des délégations régionales au tourisme ont besoin plus que jamais de retrouver la sérénité et d'être définitivement fixés sur leur sort. Il faut rappeler le travail remarquable accompli par celles-ci avec des moyens dérisoires.

Vous n'êtes pas sans savoir que l'Italie, qui a poussé la décentralisation à l'extrême, est en train de revenir sur cette politique, car elle en a perçu les limites. La cohérence de sa politique nationale touristique s'en est trouvée amoindrie ; il a été observé des concurrences interrégionales non justifiées et bien d'autres effets pervers.

L'Etat doit donner les grandes orientations et assumer une régulation d'ensemble. Les délégations régionales au tourisme sont les points d'appui de cette politique nationale. Elles participent de sa cohérence.

Les délégations régionales au tourisme sont, aux côtés des comités régionaux du tourisme et des comités départementaux du tourisme, les plus à même de repérer les évolutions de la demande et de proposer les investissements pertinents pour structurer l'offre de demain.

Mon quatrième point portera sur le plan qualité France.

Le tourisme est une activité de synthèse. La valeur d'une chaîne de production est toujours celle de son maillon le plus faible. Un plan qualité France passe donc par la professionnalisation des acteurs du tourisme. Il me semble nécessaire, monsieur le ministre, que vous meniez une réflexion avec les ministères de l'éducation nationale et de la culture pour la reconnaissance de la validation des acquis dans certaines professions, notamment celles de guides interprètes régionaux et nationaux, et de guides conférenciers.

Il faut rationaliser toutes ces dispositions, ce qui éviterait d'organiser des examens, source de nombreux contentieux, quand on n'en a pas la capacité.

Il n'est en effet pas raisonnable, monsieur le ministre, de confier l'organisation de ce type d'examens aux délégués régionaux au tourisme, dont ce n'est pas le coeur de métier. Ils ne disposent ni des moyens humains ni des moyens matériels pour organiser ces épreuves. La validation de certains acquis et la formation à ces métiers, consacrée par un diplôme, devraient être l'affaire des universités.

Mon cinquième point porte sur le tourisme social et associatif.

Le projet de budget pour 2005 prévoit seulement 1 million d'euros de crédits de paiement, mais aucune autorisation de programme pour le programme de consolidation du tourisme social.

Monsieur le ministre, j'avoue ne pas comprendre. Vous aviez conforté la dynamique de la bourse solidarité-vacances, ce dispositif original mis en place par Michèle Demessine dans le cadre de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. Vous l'aviez soutenue, puisque vous avez étendu son éligibilité à d'autres populations, notamment aux séniors.

Vous n'êtes pas sans savoir que le secteur du tourisme associatif est pourvoyeur d'offres à la bourse solidarité-vacances.

La suppression des moyens affectés à la consolidation du programme du tourisme social paraît de plus paradoxale, quand l'un des objectifs affichés par le comité interministériel du tourisme est la poursuite d'une politique favorisant l'accès aux vacances pour tous.

Ce secteur, déjà grandement fragilisé par la disparition programmée des aides du FEDER, disparaîtra si l'Etat se désengage.

L'égal accès aux vacances pour tous doit reposer sur une politique d'ensemble. Celle-ci englobe plusieurs mesures : l'aide à la personne, au travers des dispositifs créés par la gauche, comme il me plaît de le rappeler, comme la bourse solidarité-vacances et le chèque-vacances, qui sera étendu aux entreprises de moins de cinquante salariés ; une aide plus indirecte, comprise dans les politiques menées en faveur des handicapés ; aussi bien, l'aide à la pierre, qui permet aux associations du tourisme social de continuer de dispenser une offre peu coûteuse et de rendre attractifs des pans entiers de notre territoire.

Vous n'êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, le rôle éminent que jouent, en matière d'éducation populaire, ces associations de tourisme, qui ont contribué à faire des vacances une norme de la société française, en ouvrant le tourisme à de nouvelles tranches de la population. Elles sont plus que jamais indispensables, car, basées sur une organisation dont le coeur est l'adhérent, elles fabriquent de la citoyenneté.

Je vous demande donc de mesurer les conséquences du désengagement de l'Etat de l'ensemble des actions sociales, déjà affectées depuis deux ans par une diminution des moyens.

Mon sixième et dernier point portera sur les contrats de plan Etat-région.

La baisse abyssale de ces contrats, en diminution de 22, 4 %, est inquiétante pour les opérations engagées, qui ne pourront pas se poursuivre, sauf si la région ou les départements se substituent à l'Etat et, par voie de conséquence, augmentent les impôts locaux.

Faire porter des engagements de l'Etat par les collectivités territoriales, ce n'était pas l'esprit du dernier contrat de plan.

A ce jour, les demandes de crédits de paiement qui vous sont adressées sont supérieures à celles qui sont inscrites dans le projet de budget pour 2005. Vous allez donc démarrer l'année avec un déficit.

Monsieur le ministre, aux tendances de la consommation touristique et aux défis que nous devons relever - élargissement de la demande internationale, progression des courts séjours liée à la flexibilité et à la mobilité, abondance de l'offre qui renforcera l'arbitrage entre les produits, exigence croissante de qualité des services et de confort impliquant une segmentation croissante des clientèles, une différenciation du service et une plus grande gestion en réseau - s'ajoutent des difficultés qui tiennent à des éléments de nature financière.

Premièrement, la dégradation du pouvoir d'achat du dollar, en baisse de 30 %, est préoccupante. Elle aura des conséquences sur les clientèles à forte contribution, sur notre hôtellerie et notre gastronomie de luxe.

Deuxièmement, l'euro permet une comparaison facile du rapport qualité-prix entre les différentes destinations. Or si ce rapport qualité-prix des prestations touristiques françaises devait durablement s'altérer, nous perdrions des parts de marché, comme l'année 2004 l'a malheureusement déjà laissé entrevoir. Je rappelle pour mémoire le cadeau important, c'est-à-dire la baisse de charges, offert pour compenser la TVA sur la restauration.

Il importe que cet effort soit partagé. Il vous faut veiller à ce que ces contreparties promises soient réelles, avec un impact sur les prix, les investissements et les conditions de travail. Il y va de la relance de l'activité touristique.

Le moins que l'on puisse dire, monsieur le ministre, c'est qu'il y a une réelle prise de conscience de l'enjeu que représente l'industrie touristique tant sur l'attractivité de nos territoires que sur l'emploi, ces emplois d'accueil et de service, non délocalisables, qui naissent de l'envie des gens de venir chez nous.

Mais vous ne disposez pas, avec le projet de budget pour 2005, des moyens qui seraient le support d'une vraie politique nationale du tourisme.

Pour garder une position dominante, je crains que les discours ne suffisent plus. Il nous faut des moyens, dont sont en train de se doter nos principaux concurrents, notamment l'Espagne et l'Italie, pour ne citer qu'eux, qui sont soumis aux mêmes défis que nous.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre un projet de budget qui n'est pas à la hauteur des enjeux que vous avez pourtant, monsieur le ministre, si bien identifiés.

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