Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la ville pour 2005 est un objet rare. Il brille de mille feux et expose de flatteuses augmentations de dotations, alors que la réalité des sommes qui seront effectivement engagées par l'Etat se révèle des plus modestes. C'est du grand art !
Ainsi, nous observons que ces crédits augmentent de 23 % pour atteindre 423 millions d'euros. Cette augmentation profiterait surtout aux moyens des services, aux crédits destinés à l'éducation, à ceux qui sont inscrits en subventions d'investissement, à ceux qui sont consacrés à l'Agence pour la rénovation urbaine. Tel est du moins l'affichage.
Mais, à y regarder très précisément, on s'aperçoit d'un décalage. Pour l'illustrer, je me référerai à l'excellent rapport de M. Dallier, fait au nom de la commission des finances, qui a pris la peine de décomposer, à la page 29, le contenu de l'augmentation de 400 millions d'euros annoncée en faveur du budget de la ville.
J'y lis que cette augmentation se décompose en quatre chapitres.
Premièrement, l'augmentation des dépenses fiscales à hauteur de 144 millions d'euros, qui correspond à la montée en puissance des nouvelles zones franches urbaines. J'observe qu'il s'agit là, non de dotations directes, mais de moindres rentrées fiscales. Pour être de bonne technique, cette façon de faire n'en constitue pas moins une forme de report sur les années qui suivent.
Deuxièmement, l'augmentation des dépenses de solidarité urbaine, à hauteur de 126 millions d'euros, ce qui est considérable. Mais il s'agit - nous en serons tous d'accord - non d'un effort particulier de l'Etat, mais d'un redéploiement des crédits à l'intérieur de la DGF
Troisièmement, l'augmentation des crédits du budget de la ville et de la rénovation urbaine, à hauteur de 78 millions d'euros. Nous en prenons acte.
Quatrièmement, enfin, l'augmentation des dépenses des collectivités territoriales, à hauteur de 50 millions d'euros, selon une estimation effectuée par la délégation interministérielle à la ville. Il s'agit - nous le savons tous - de crédits que l'on escompte de la part des collectivités territoriales.
Au total, si je me réfère à ce chiffrage indiscutable, je me rends compte que la progression réelle de l'engagement en termes de dotations d'Etat est minime.
D'ailleurs, l'évolution des crédits relatifs à la politique de la ville pour 2004-2005, qui figurent à la même page du rapport, fait apparaître, ce qui va dans le même sens, une diminution tout à fait sensible des crédits relevant des divers ministères.
Cette première observation, je pourrais la répéter à propos des crédits consacrés aux équipes de réussite éducative - là encore, je me réfère à notre excellent rapporteur M. Dallier citant le rapport du très éminent Paul Girod. Ce dernier considère que, sur les 750 millions d'euros qui seraient nécessaires à ces équipes, seulement 62 millions d'euros leur sont affectés dans le budget de l'Etat.
On est loin du compte ! S'il reste évidemment à espérer que les collectivités territoriales viendront apporter un complément partiel, il n'en demeure pas moins que, au final, cela n'aboutira pas à l'effort annoncé.
Enfin, je ferai la même remarque, beaucoup plus significative celle-là, à propos des crédits concernant l'Agence nationale pour la rénovation urbaine. Chacun d'entre nous le sait, entre le ministère et les élus locaux qui s'impatientent et qui s'inquiètent, une crise de confiance est en train de naître.
Je rappelle que la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville prévoyait l'octroi de crédits d'au moins 2, 5 milliards d'euros pour la période 2004-2008, avec une dotation annuelle au moins égale à 465 millions d'euros. Or, le projet de loi de finances pour 2005 ne respecte pas cet engagement. Là encore, je me réfère à l'excellent rapport de notre rapporteur spécial.
Voilà quelques observations incontestables, puisque chiffrées, qui expliquent que ce budget soit ressenti comme quelque peu insincère.
En outre, et c'est un autre défaut grave, il donne l'impression que le petit effort en faveur de l'investissement, quand il existe, est consenti au détriment des crédits d'accompagnement social dans les zones urbaines sensibles.
Là, les chiffres sont particulièrement aveuglants. Si j'en viens tout de suite à la conclusion, l'enveloppe globale des ressources affectées à l'action sociale sera réduite de 9 %, avec les terribles conséquences qu'on imagine sans peine.
De ce point de vue, il faut quand même dire que les mesures d'exonération fiscale en faveur des associations ne suffiront pas à compenser cet amenuisement, voire cet effondrement des subventions. La raison en est simple : la plupart d'entre elles ne pourront tout simplement pas en bénéficier. C'est d'ailleurs sans doute là-dessus que mise Bercy.
Si l'on ajoute à cela la très regrettable disparition des emplois-jeunes, notamment des aides éducateurs, et l'échec total du CIVIS qui devait s'y substituer, on comprend l'inquiétude et le désarroi des acteurs de terrain.
Dès lors, se pose la question de la survie même d'un certain nombre d'associations qui ont fait leurs preuves, qui ont accumulé une expérience, qui ont dépensé des trésors de générosité et de compétences, et qui se demandent si elles pourront continuer.
J'ajouterai un constat, que j'ai déjà fait les années précédentes.
Depuis longtemps, le budget de la ville est un ensemble hétéroclite et peu lisible des interventions en faveur des quartiers déshérités et de leurs habitants, qui cumulent beaucoup trop de handicaps.
Comme l'a dit l'un de nos rapporteurs, rejoint, je pense par M. le ministre, il est urgent qu'une remise à plat se fasse dans la cohérence. Il est tout aussi urgent que, simultanément - et j'appuie une nouvelle fois la proposition de M. le président de la commission des finances - le Sénat se dote des moyens pour évaluer au plus juste, au plus près, et en toute indépendance, la réalité des crédits affectés à cet ensemble trop diversifié pour pouvoir toujours être cerné facilement.
Compte tenu du décalage qui existe entre les annonces faites et la réalité des engagements budgétaires, je ne pourrai pas, monsieur le ministre, voter votre projet de budget.