En fait, on a évité soigneusement de poser le débat essentiel, qui consiste à savoir quel doit être le périmètre de la dépense publique.
On voit bien que tout dépend de la façon dont on conçoit le rôle des pouvoirs publics dans une société comme la nôtre. Se poser la question de la maîtrise des dépenses publiques n'a pas de sens si l'on ne réfléchit pas à la question des missions qu'elles doivent financer.
Aujourd'hui, nous sommes face au paradoxe suivant. D'un côté, la puissance publique est appelée à la rescousse sur tous les sujets - les restructurations industrielles et les délocalisations, les ruptures des parcours d'emploi, la canicule et les crises sanitaires - et ce, toujours dans l'urgence. Lorsque la radio ou les journaux se font l'écho, à huit heures du matin, d'un problème survenu dans le pays, si le Gouvernement ne s'en est pas emparé le jour même et n'a pas trouvé une solution vers dix-sept ou dix-huit heures pour qu'elle soit annoncée au journal télévisé de vingt heures, il est déjà considéré comme étant dans une logique d'échec. C'est une démarche qui n'a plus de sens aujourd'hui, sachant que le Gouvernement travaille à modifier l'image de la puissance publique et à moderniser l'État.
D'un autre côté, l'on se plaint, sans doute à juste titre, du fait qu'il y ait trop d'État et l'on déplore le poids des normes, la lourdeur des procédures, l'importance des charges fiscales et sociales.
Ce paradoxe révèle un quasi-dialogue de sourds : l'on dénonce une puissance publique omniprésente, au risque de la rendre impuissante ; à l'inverse, l'allégement des services publics réclamé est tel qu'il pourrait conduire à un modèle de protection bas de gamme, au rabais.
Le débat est impossible, si on le résume simplement à « plus » ou « moins » d'État, ou à « plus » ou « moins » de protection sociale. La question à se poser est de savoir, mission par mission, jusqu'où l'État intervient seul, jusqu'où il doit partager et jusqu'où il doit laisser d'autres agir à sa place.
Cette démarche de performance peut être entreprise au sein de l'État, dans le cadre de la LOLF, et c'est cela qui est nouveau. Grâce au travail qui a été accompli par le Parlement, cette nouvelle construction budgétaire nous donne les moyens d'aller plus loin, et ce de manière totalement transparente.
Monsieur Arthuis, vous avez dit que les audits constituaient un outil utile pour la modernisation de l'État. Je me réjouis de constater qu'ils font désormais l'objet d'un consensus très large, pour ne pas dire total. C'est pourquoi je considère qu'il serait tout à fait souhaitable d'étendre cette pratique à l'ensemble des composantes de la sphère publique.
S'agissant de la dépense sociale, ce mouvement a déjà commencé. Les audits lancés sur l'initiative de Philippe Bas - et je lui rends hommage, car il s'agit de sujets difficiles -montrent que cette démarche est tout à fait applicable en ce domaine, qu'il s'agisse de l'allocation aux adultes handicapés, de l'allocation de parent isolé, de l'allocation spécifique de solidarité, ou encore des aides au logement. Je vous invite à étudier l'impact de ces audits très intéressants, qui sont rendus publics, notamment par le biais de l'internet. Ils constituent désormais un élément important du débat public.
La même démarche est engagée entre l'État et les collectivités locales, comme l'illustre l'audit en cours sur les conséquences de la décentralisation, l'organisation et les effectifs de l'administration d'État, ou encore celui que j'ai évoqué précédemment sur les dégrèvements.
Vous le voyez, dans tous ces domaines, notre tâche est extrêmement vaste et relève d'une démarche très nouvelle par rapport à celles que nous avons engagées jusqu'à présent.
Le second point concerne le mode de financement de la dépense publique.
De la même façon que, concernant la dépense, la question ne peut plus se résumer à « plus » ou « moins » d'État, s'agissant du mode de financement, nous devons changer de logique : elle ne peut plus se borner à « plus » ou « moins » de prélèvements obligatoires.
La bonne question est plutôt de savoir, politique publique par politique publique, quelle doit être la place des prélèvements obligatoires dans l'ensemble des instruments possibles pour financer les services publics. Viennent alors les interrogations suivantes : quelle doit être la place de la redevance ? Quelle doit être celle du tarif facturé à l'usager ? Quelle doit être celle qui est laissée aux « prix » ?
C'est un point stratégique à mes yeux, car il est impératif de choisir le mode de financement qui est de nature à créer les bonnes « incitations » en ayant un impact sur la dynamique de la dépense publique elle-même.
C'est pourquoi je le dis très clairement : lorsqu'il s'agit du financement d'un service public universel, je ne suis pas forcément favorable au « tout gratuit », car nous savons qu'il y a souvent à la clé des effets pervers, des abus, des gaspillages. Il faut que chacun puisse assumer ses responsabilités.
D'ailleurs, si l'on considère les grandes réformes conduites depuis 2002, qu'il s'agisse des retraites, de l'assurance maladie ou du handicap, l'on constate qu'elles ont bien réuni tous les paramètres possibles : la maîtrise des dépenses, la mobilisation de recettes nouvelles, l'introduction de mécanismes de prise en charge individuels.
Ma conviction, c'est qu'il faut progressivement étendre cette approche à l'ensemble des missions et des programmes, qu'ils relèvent de l'État, de la sécurité sociale ou des collectivités locales. Vous le voyez, tous ces sujets demandent une ample réflexion et beaucoup de travail.
À chaque fois, c'est le même défi que nous avons à relever : mettre en oeuvre les réformes pour pérenniser notre modèle social, dans un cadre financier soutenable, pour préserver l'avenir de nos enfants.
C'est pourquoi ces questions doivent être au coeur des débats à venir avec les Français.