Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat sur les prélèvements obligatoires n'est pas un simple débat de techniciens et de spécialistes ; c'est d'abord et avant tout un débat de société, un débat sur les choix de société, traduction de choix politiques et idéologiques.
Nous vivons dans une société profondément marquée par les inégalités de revenus, de ressources et de patrimoines. Si l'égalité fait partie des valeurs de notre République, le Gouvernement s'est quant à lui lancé depuis 2002 dans une réforme de notre système fiscal qui, en définitive, aggrave les inégalités.
Quelques lignes de force transparaissent dans cette réforme engagée depuis 2002 : allégement sensible de la contribution fiscale des entreprises, avec la suppression de la surtaxe de l'impôt sur les sociétés, les aménagements divers des modalités d'imposition des plus-values ou encore le plafonnement de la taxe professionnelle ; allégement non moins sensible de la contribution des revenus et patrimoines les plus importants, leurs titulaires étant les principaux bénéficiaires de la transformation du barème de l'impôt sur le revenu et des multiples mesures visant à permettre l'évasion fiscale.
Les effets de cette réforme fiscale sont connus : la part des droits indirects perçus par l'État ne cesse de croître, l'injustice fiscale s'ajoutant aux inégalités sociales grandissantes ! Qu'il s'agisse de la fiscalité des donations, de celle des successions, de l'impôt de solidarité sur la fortune, de l'imposition des revenus mobiliers, ce sont les détenteurs des patrimoines les plus élevés et des revenus les plus importants qui ont tiré partie de l'essentiel des dispositions votées.
Cette série de mesures s'est accompagnée d'une consolidation des droits et impôts indirects, essentiellement subis par les ménages modestes. Pour quel résultat ? La croissance se porte-t-elle mieux ? La création d'emplois est-elle au rendez-vous ?
Afin de ne pas en rester à quelques considérations générales, je souhaiterais mentionner quelques chiffres, tirés de l'intéressante revue de l'Union des industries et métiers de la métallurgie.
En 2001, l'industrie française a créé 32 600 emplois et le secteur de la construction 41 400, pour un total de 74 000 postes de travail. En 2002, l'industrie française a perdu 85 300 emplois, qui n'ont pas été compensés par 17 700 créations d'emploi dans le secteur du bâtiment. De 2003 à 2005, ce sont 274 300 emplois industriels qui ont été détruits, évolution que les 70 100 créations de poste dans la construction n'ont pas contrebalancée ! Depuis le début de la législature, ce sont donc près de 300 000 emplois qui auront été perdus pour ces deux secteurs !
Il faut ajouter à cette description de la situation la chute de 2, 7 % de la consommation des ménages en septembre, pourtant mois de la rentrée scolaire, et l'accroissement spectaculaire, à hauteur de plus de 20 % en un an, du nombre des ménages confrontés au surendettement.
L'évolution générale de l'emploi est tout aussi révélatrice de l'échec de la politique du gouvernement auquel vous appartenez, messieurs les ministres. Malgré les cadeaux fiscaux, malgré les allégements de cotisations sociales, le nombre annuel d'emplois créés est passé, entre 2001 et 2005, de plus de 450 000 à guère plus de 40 000, après une année 2004 où l'emploi salarié a régressé, les destructions d'emplois industriels n'étant compensées ni par la création d'emplois précaires dans le secteur tertiaire, ni par les effets des contrats aidés, ni par la précarisation grandissante des travailleurs indépendants.
La situation, en cette année 2006, n'est pas franchement meilleure, puisque ce n'est que par la montée en charge du plan de cohésion sociale et de la pratique de la radiation administrative des demandeurs d'emploi que l'on parvient à faire croire à une amélioration de la situation.
En effet, l'emploi industriel continue de s'éroder, de date à date, de plus de 30 000 unités, conséquence de la poursuite des plans de restructuration du secteur. Nous comptons aujourd'hui, en 2006, moins d'emplois industriels dans notre pays qu'en 1970, et la situation ne s'est pas améliorée ces dernières années. C'est le résultat de la politique menée depuis le printemps 2002 et qui ne fait que relayer, dans la loi, les revendications les plus antiéconomiques et antisociales du MEDEF.
La situation pourrait être résumée ainsi : le poids des prélèvements obligatoires n'a pas été réduit depuis 2002, restant stable aux environs de 44 % du produit intérieur brut, contrairement aux promesses qui avaient été faites ; dans le même temps, la structure des prélèvements a évolué vers un accroissement de la part des droits indirects au sein des recettes de l'État, ainsi que vers un alourdissement des prélèvements sociaux et des prélèvements de substitution aux obligations fiscales et sociales assignées hier aux entreprises.
De même, nos concitoyens peuvent avoir une impression particulièrement amère de cette évolution. S'ils paient en effet plus de taxes sur les produits pétroliers, plus de TVA sur bien des produits et des services, plus d'impôts locaux ou plus de cotisations sociales, ils ont aussi, en contrepartie, moins de services publics locaux, moins de couverture collective en matière de santé, moins de pensions au moment de la retraite, moins de présence de l'État dans bien des domaines, qu'il s'agisse de l'école, de la sécurité, de l'action en matière de logement ou de la lutte contre la précarité des conditions sociales.
De fait, cette rupture avec le pacte républicain, selon lequel les impôts, taxes et cotisations sociales servent à financer les charges publiques, consacre la perversion accélérée de notre système de prélèvements dont vous usez pour pousser toujours plus avant les feux de la réduction des dépenses publiques.
Contrairement à bien des pays de l'OCDE, notamment ceux du G8, la France a opté dès la Libération pour une large socialisation des dépenses de santé, de protection de la famille et de l'enfant, des personnes âgées, pour un développement de la formation et de la scolarité, et pour une ouverture sensible du champ de l'intervention publique dans l'ensemble de la vie du pays.
Comparer par exemple la France aux États-Unis en termes de prélèvements obligatoires n'a pas beaucoup de sens dès lors que l'on sait que les dépenses de santé publique prises en charge par l'impôt outre-Atlantique ne couvrent en fait que l'équivalent de la couverture maladie universelle chez nous.
La même remarque vaut pour les retraites : l'intervention publique aux États-Unis ne porte que sur le financement des retraites fédérales, dont l'équivalent français est le minimum vieillesse !
Je ne suis pas certain d'ailleurs que, si l'on ajoutait aux impôts et taxes locaux et fédéraux perçus aux États-Unis le montant des assurances maladie et des cotisations aux fonds de pension versées par les salariés américains, on ne parviendrait pas aux mêmes montants que chez nous en termes de prélèvements. Le caractère facultatif des versements aux assurances individuelles est beaucoup estompé par le fait que, s'il n'y contribue pas personnellement, chaque Américain peut rapidement se trouver en situation de pauvreté.
Ce débat sur le volume des prélèvements obligatoires a une longue histoire, et nombreux sont les libéraux, en France, à l'avoir entretenu pour tenter de faire accepter à notre peuple le recul de civilisation que constituerait une large « désocialisation » des dépenses publiques, notamment en matière de protection sociale.
Pour nombre d'entre vous, chers collègues de la majorité, la dépense publique est parée de tous les défauts, ou presque ! Vous voulez la réduire, félicitant le Gouvernement d'avoir inscrit cette orientation dans le projet de loi de finances pour 2007, et vous proposez à nouveau d'en transférer pour une part le financement sur la TVA, comme pour les cotisations sociales.
Je note que les gâchis de ressources privées - notamment l'argent des entreprises qui provient du travail des salariés - ne provoquent d'ailleurs pas chez vous la même indignation. C'est donc la fameuse « TVA sociale » qui est pour vous une proposition phare.
Je voudrais rappeler à ce propos deux données.
Premièrement, une telle disposition serait probablement une source de récession économique. L'Allemagne, notre premier partenaire, s'apprête à constater une perte de croissance de 1 % du fait de la hausse de la TVA prévue par le gouvernement dirigé par Mme Merkel.