Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les prélèvements fiscaux, qu'ils soient au bénéfice de l'État, des collectivités locales ou des institutions européennes, et les prélèvements sociaux forment un tout, que l'on agrège traditionnellement dans la grande masse des prélèvements obligatoires. La notion de prélèvements obligatoires n'est pas inutile, bien au contraire.
D'une part, la notion de prélèvements obligatoires constitue un outil d'analyse macroéconomique fondamental. Les prélèvements obligatoires sont l'ensemble des sommes prélevées sur la richesse nationale. Ils indiquent le niveau de socialisation d'une économie.
D'autre part, cette notion est très ancrée dans le cadre institutionnel de la construction communautaire. Les critères de Maastricht n'établissent aucune distinction entre prélèvements fiscaux et prélèvements sociaux. Le déficit public pris en compte par la Commission européenne est celui du budget de l'État et des collectivités locales, additionné à celui des comptes sociaux. Le taux d'endettement à ne pas dépasser par les membres de l'Union économique et monétaire est également global.
Cependant, l'augmentation tendancielle des prélèvements obligatoires est intrinsèquement liée à celle des prélèvements sociaux. Cette corrélation est bien établie. Tandis que, de 1978 à 2005, la part des prélèvements obligatoires de l'État a diminué de 1, 3 point de PIB, celle des administrations de sécurité sociale a augmenté de 5, 2 points de PIB. Ces chiffres sont éloquents.
Comme l'a fait remarquer M. le rapporteur général, 2006 est une année charnière. Pour la première fois, les prélèvements sociaux représentent plus de la moitié des prélèvements obligatoires. Si l'on veut enrayer le cercle vicieux de l'endettement et de l'augmentation des prélèvements, c'est donc en priorité les prélèvements sociaux qu'il faut réformer.
Cette réforme-clé se fait attendre alors qu'il y a péril en la demeure. Je ne m'attarderai pas longuement sur la situation alarmante de nos finances publiques et sur ses implications en termes de croissance, d'inégalités, de dégradation du lien social. Quand la dette nourrit la dette, les marges de manoeuvre des politiques économiques s'amenuisent. Quand la dette nourrit la dette, les générations futures sont condamnées par les générations présentes. C'est le phénomène auquel nous assistons, et ce sans rien faire.
Les raisons de l'emballement de la dette sociale sont connues. Pour l'essentiel, elles sont structurelles. Dans son rapport, Philippe Marini pointe du doigt l'effet du vieillissement de la population. Un tel vieillissement induit un effet de ciseau sur les ressources de la protection sociale : tandis que les dépenses de santé et de retraite augmentent, le nombre d'actifs susceptibles de les financer diminue. D'autres facteurs d'importance peuvent être invoqués, notamment le fait que plus un pays s'enrichit, plus sa structure de consommation se modifie au profit de biens supérieurs, tels les produits de santé. Il faut, bien entendu, ajouter le rétrécissement de l'assiette des cotisations sociales lié à la dégradation de la situation de l'emploi.
Les causes étant connues, le remède l'est aussi. À tendance structurelle, réponse structurelle ! Réformer les prélèvements sociaux suppose de mener une réforme structurelle, s'articulant autour de deux axes. Il est nécessaire d'agir, d'une part, sur le niveau des prélèvements sociaux et, d'autre part, sur leur structure.
En premier lieu, il est possible de diminuer le niveau des prélèvements sociaux sans porter atteinte à la qualité du système de protection sociale, d'abord en menant une véritable réforme médicalisée de notre système de soins.
La réforme de l'assurance-maladie de 2004, celle qui devait être la « der des ders », a totalement laissé de côté tout le secteur hospitalier, pourtant responsable de 50 % des dépenses de santé, et n'a comporté que des mesures purement comptables dans le domaine de la médecine de ville. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le déficit prévu pour 2007 soit encore de 4 milliards d'euros, alors que l'équilibre devait être atteint cette année-là.
La réforme de fond de la branche santé reste donc encore à faire. Grâce à la fongibilité des enveloppes ambulatoires et hospitalières, à la mise en place d'une véritable régionalisation globale du système de santé, à la rationalisation des achats hospitaliers ou au développement de manière très volontariste des médicaments génériques, d'importantes économies ont pu être réalisées à court terme. À plus long terme, beaucoup est attendu de l'informatisation du système de santé. Je ne peux que vous renvoyer, messieurs les ministres, à mon rapport sur ce sujet.
Ensuite, l'apurement des dettes de l'État à l'égard de la sécurité sociale pourrait permettre de diminuer le niveau des prélèvements sociaux. Or cette question est loin d'être réglée, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises. Certes, le projet de loi de finances pour 2007 comporte des mesures destinées à améliorer les comptes sociaux pour un montant de 1, 3 milliard d'euros, mais il ne faut pas oublier que l'État doit encore plus de 5 milliards d'euros - ce chiffre n'a pas encore été contesté - à l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale. Et cette dette pourrait s'alourdir en 2006 si l'État, comme le laisse présager le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, continue de ne pas compenser intégralement les allégements de charges sociales consenties dans le cadre de la politique de l'emploi.
En second lieu, il est nécessaire de repenser la structuration des prélèvements sociaux, et ce de trois manières.
D'abord, comme le souligne Philippe Marini dans son rapport, encore une fois, la décomposition entre cotisations salariales et cotisations patronales n'a pas de signification économique. La seule chose qui compte, c'est l'importance du coin fiscalo-social, qui fait que la valeur ajoutée produite par l'entreprise n'est pas partagée seulement entre les salaires et les bénéfices. Il est important de réduire ce coin afin que le financement de la protection sociale pèse le moins possible sur le travail, l'alourdissement des charges sociales pénalisant l'augmentation des salaires, comme nous le constatons aujourd'hui.
Ensuite, le maquis des impôts et taxes affectés au financement de la protection sociale doit être défriché, et ce d'autant plus qu'ils représenteront 28 % des ressources du régime général en 2007, contre 3 % en 1978. Le monde des impôts et taxes affectés est d'une complexité effrayante : CSG, taxes sur les tabacs, les alcools, les médicaments, contribution sociale de solidarité des sociétés. Ils sont de plus en plus nombreux, comme le montre l'effrayant graphique du rapport de Philippe Marini, et leur affectation n'a rien de transparent.