On est donc en droit de s'interroger sur le maintien de ce dualisme de fait. Plutôt que de considérer le recours au contrat comme une exception regrettable, n'est-il pas plus réaliste et plus moderne d'introduire à terme un véritable dualisme ?
Relevons tout d'abord que, dans la jurisprudence du juge européen, la définition de l'administration, et donc de la fonction publique, qui a été adoptée, est bien plus restrictive que celle du droit public français.
La Cour de justice de l'Union européenne, a, dès 1980, défini les emplois dans l'administration publique comme « des emplois qui comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques ».
Cette définition n'intègre pas les services publics industriels et commerciaux ou sociaux. Rappelons d'ailleurs que notre propre droit administratif écarte du statut la plupart des agents de ces services, les seules exceptions concernant des héritages historiques qui se résorberont avec le temps.
Mais cette définition est surtout en harmonie avec la situation qui régit la plupart des administrations des Etats européens, y compris ceux qui ont hérité du droit administratif français et qui connaissent des systèmes dualistes. Rappelons que le gouvernement de M. Prodi, en Italie, a massivement privatisé la fonction publique territoriale en 1993.
S'il semble difficile de faire évoluer rapidement le droit du travail dans la fonction publique française, il apparaît souhaitable d'explorer des pistes trop peu empruntées afin d'introduire plus de philosophie contractuelle dans ce droit statutaire et dans les administrations.
La première piste est celle du recours aux accords collectifs. Il a fallu attendre le mois de juin 1968 pour voir apparaître la négociation sociale dans la fonction publique et le nouveau statut de 1983, dans son article 8, pour la reconnaître officiellement.
Mais elle a ses limites. Elle concerne surtout les rémunérations ; elle n'a pas de portée juridique, même si sa portée politique est évidemment décisive ; surtout, elle se heurte au problème de la représentativité syndicale, les signataires des accords collectifs étant souvent des organisations minoritaires.
Il serait donc souhaitable que, comme pour les entreprises publiques à statut, des conventions puissent compléter les dispositions statutaires et en déterminer les modalités d'application, dans les limites fixées par le statut.
Ces conventions pourraient porter sur les conditions d'emploi et de travail, mais la loi devrait déterminer les conditions de validité de ces accords collectifs, en particulier en ce qui concerne le degré de représentativité des organisations signataires, pour que ces accords aient une valeur juridique.
La seconde piste est celle de l'introduction d'un contrat d'affectation sur emploi, négocié et conclu par le fonctionnaire avec son autorité gestionnaire et complétant son statut. C'est déjà le cas des quasi-contrats passés dans la fonction publique territoriale entre cadres et collectivités, et qui portent sur leur durée d'affectation, les avantages accessoires et les objectifs du recrutement.
Le droit de la fonction publique renouerait ainsi avec les contrats de fonction publique qui inspirèrent la jurisprudence du Conseil d'Etat au début du XIXe siècle.
Le projet de loi qui nous est proposé est donc un premier pas en avant dans la bonne direction, celle non seulement de la résorption de la précarité dans la fonction publique, mais aussi de l'introduction de la culture contractuelle dans cette même fonction publique. Il va dans le sens de l'évolution historique qui devrait ôter au statut sa rigidité, permettrait à l'agent public d'être plus autonome et en finirait avec une vision manichéenne selon laquelle, d'une part, tout ce qui est statutaire est bon alors que tout ce qui est contractuel est dangereux et rétrograde et, d'autre part, le contrat est synonyme de précarité alors que depuis cinquante ans la réalité sociale des administrations montre qu'il n'en est rien.
Monsieur le ministre, nous approuverons bien sûr votre projet de loi, mais nous attendons d'autres étapes, à commencer par celle de la fonction publique territoriale sur laquelle le Sénat a déjà formulé des propositions voilà un an.