Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 23 mars 2005 à 16h00
Transposition du droit communautaire à la fonction publique — Question préalable

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi suscite de la part des élus du groupe CRC un certain nombre de remarques profondes et empreintes de gravité, car par plusieurs de ses aspects il va, nous semble-t-il, porter des coups nouveaux au statut de la fonction publique et de son personnel.

C'est oublier que, sans les fonctionnaires, il n'y aurait ni Etat, ni administration, ni services publics. Les fonctionnaires représentent l'un des moyens d'action de l'administration.

C'est cette particularité de leur mission qui leur confère un statut particulier, nécessairement différent de celui des salariés du secteur privé, régis par le droit du travail.

C'est également en raison de cette mission particulière, qui a considérablement évolué depuis le début du xxe siècle, que les effectifs de la fonction publique n'ont cessé d'augmenter.

Cette augmentation a des causes dont le diagnostic est simple.

Pour une part, elle est liée à l'extension, continue depuis les années vingt, des tâches administratives des personnes publiques, car, en même temps que l'Etat a pris en charge, notamment, l'exercice d'activités industrielles et commerciales, directement ou par l'intermédiaire d'entreprises publiques, il a développé ses interventions proprement administratives dans les différents secteurs de la vie sociale. Ces interventions n'ont pu que se traduire par la création de services nouveaux et par l'extension des services existants, c'est-à-dire par une progression du recrutement des personnels.

Pour une autre part, elle est en relation avec l'augmentation de la population, qui, après avoir stagné pendant des décennies jusqu'en 1940, s'est ensuite régulièrement accrue.

Pour une dernière part, elle tient à la nécessité sociale, de plus en plus ressentie, d'une meilleure satisfaction des besoins collectifs, nécessité qui a également imposé une intensification des recrutements en vue de l'amélioration qualitative des services à rendre.

Les nombreuses et récentes manifestations de fonctionnaires s'opposant, notamment, aux suppressions de postes, mais également les manifestations d'élus et de citoyens, dans la Creuse par exemple, pour la défense des services publics sont symptomatiques de ce besoin toujours présent de maintien de services publics de qualité et de proximité.

Pourtant, depuis 2002, le Gouvernement n'a de cesse de s'attaquer aux effectifs de fonctionnaires et, par conséquent, aux services publics. Ainsi, le mouvement de baisse du nombre de fonctionnaires de l'Etat devrait redoubler en 2006, avec une perte de 16 000 à 21 000 postes du fait du solde négatif entre le niveau des recrutements recommandés par le Premier ministre et le nombre des départs à la retraite.

La réforme de l'Etat passerait donc, selon le Gouvernement, principalement par la suppression de postes de fonctionnaires.

Elle passerait également, comme nous pouvons en juger avec ce projet de loi, par un démantèlement progressif du statut de la fonction publique, ces deux éléments n'étant pas sans lien puisqu'ils remettent tous deux en cause la spécificité du secteur public.

Le présent projet de loi introduit une nouvelle notion dans le droit de la fonction publique : le contrat à durée indéterminée.

Le Gouvernement affirme que, sur ce point, le projet de loi ne constitue que la transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999. Mais que prévoit exactement cette directive, qui vise à mettre en oeuvre l'accord-cadre du 18 juin 1999 sur le travail à durée déterminée ?

Elle prévoit que « les contrats de travail à durée indéterminée sont la forme générale de relations de travail et contribuent à la qualité de vie des travailleurs concernés et à l'amélioration de la performance ».

Mme Gourault, dans son rapport, fait elle aussi état de cette disposition, en soulignant que la directive précise que « les contrats de travail à durée indéterminée sont et resteront la forme générale de relations d'emploi entre employeurs et travailleurs ».

Le but affiché par la directive est d'encadrer plus strictement l'utilisation des contrats à durée déterminée. Il est certain que l'administration a tendance à faire signer à ses agents non titulaires des contrats à durée déterminée successifs, qui peuvent être conclus pour une courte durée et renouvelés parfois indéfiniment. Cette situation est bien évidemment inacceptable pour ces agents qui se trouvent ainsi placés dans une insécurité professionnelle ayant d'inévitables conséquences négatives sur leur vie sociale.

Les dispositions de la directive sont donc très claires sur le fait qu'il est nécessaire « d'établir un cadre pour prévenir les abus découlant de l'utilisation de relations de travail ou de contrats à durée déterminée successifs ».

Mais la directive ne prévoit pas que des contrats à durée indéterminée doivent impérativement remplacer les CDD dans la fonction publique, dans le but de mettre fin aux abus constatés et à la précarité.

Le Gouvernement est ainsi libre de transposer la directive afin que les employeurs du secteur privé aient de moins en moins recours aux CDD. Ce serait une véritable avancée en matière de lutte contre la précarité des salariés du privé. Malheureusement, ce n'est pas d'actualité !

En revanche, la transposition de la directive dans le droit de la fonction publique ne représente pas les mêmes enjeux que dans le privé, et elle ne va pas sans poser problème. Le Gouvernement a procédé à une interprétation de la directive du 28 juin 1999 qui nous semble abusive : selon lui, la création de contrats à durée indéterminée est prescrite par cette directive afin de lutter contre la précarité dans la fonction publique.

Nous pensons, tout au contraire, que la lutte contre la précarité dans la fonction publique passe en priorité par une titularisation progressive des agents contractuels dont les contrats à durée déterminée sont sans cesse renouvelés.

Nous pensons également, monsieur le ministre, que la loi Sapin du 3 janvier 2001 doit être strictement appliquée. Certes, son application nécessite l'existence de postes de fonctionnaires pour que des agents contractuels puissent être titularisés, ce qui est actuellement difficile dans la mesure où le Gouvernement supprime depuis plus de deux ans le nombre de postes de fonctionnaires. Mais si votre objectif était réellement la lutte contre la précarisation de l'emploi public, vous permettriez au moins la mise en oeuvre effective des dispositions de la loi Sapin. Or, il n'en est rien.

Le problème est le même concernant les agents recrutés par contrat et non par concours du fait de l'inexistence de cadre d'emploi correspondant à leur fonction. Ma collègue Josiane Mathon en a parlé dans la discussion générale, mais je tiens à insister à nouveau sur ce point puisque le projet de loi continue de prévoir, dans son article 9, que des contractuels pourront être recrutés « lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; ».

La réforme de la fonction publique telle que nous l'envisageons, et qui se situe bien évidemment aux antipodes de la réforme que propose Gouvernement, supposerait une adaptation des grilles des cadres d'emplois dans la fonction publique. Il est temps que l'administration évolue dans le sens de la prise en compte dans son statut de tous ces nouveaux métiers, aujourd'hui absents de la grille des cadres d'emplois. Aussi longtemps qu'ils n'existeront pas en tant que tels, on ne pourra bien évidemment pas nommer de fonctionnaires à ces postes. C'est pourquoi le Gouvernement, s'il veut vraiment résorber la précarité dans la fonction publique, doit prendre ses responsabilités et créer des cadres d'emplois là où il n'y en a pas, en recrutant des fonctionnaires et non des contractuels.

Nos souhaits en termes de réforme de la fonction publique ne coïncident en rien, monsieur le ministre, avec les vôtres - un projet de loi est, semble-t-il, d'ailleurs en préparation - qui passeraient par le remplacement des 900 corps de fonctionnaires existants par 28 cadres statutaires, en lien avec des filières professionnelles.

Vous auriez d'ailleurs pu attendre la discussion de ce projet de loi sur le statut de la fonction publique pour transposer la directive du 28 juin 1999. Mais vous avez préféré morceler les atteintes au statut de la fonction publique en pensant que cela passerait inaperçu.§Nous verrons bien ce qu'en penseront les syndicats.

Toujours est-il que ce projet de loi ne contient que de fausses mesures de résorption de la précarité dans la fonction publique.

Les contrats à durée déterminée pourront toujours être des contrats de très courte durée - un mois ou deux mois - renouvelables pendant six ans. Par ailleurs, rien ne garantit dans ce texte qu'au terme de six années en CDD un agent contractuel se verra proposer un CDI. Ce ne sera que lorsque l'administration voudra renouveler le contrat de ce dernier qu'elle aura l'obligation de lui faire signer un CDI, mais sans que l'agent ait la moindre garantie en la matière. En cela, la précarité restera inchangée : le texte ne règle pas le problème !

Par ailleurs, la création d'un statut parallèle à celui des fonctionnaires pose de graves problèmes.

Je tiens à vous rappeler avant tout que, dans la fonction publique, la titularisation est la règle, et la contractualisation l'exception.

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