Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 9 janvier 2007 à 16h00
Prévention de la délinquance — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Vous payez de mots la légitime inquiétude des Français face à la violence et, plutôt que de traiter les causes, vous préférez stigmatiser des catégories sociales : les mineurs, les pauvres, les étrangers, les malades mentaux...

C'est encore le cas de ce texte qui fait du maire le « pivot » de la politique de prévention sur le terrain et dont le noyau dur concerne les mineurs.

En procédant à la quatrième réforme de l'ordonnance de 1945 pour poursuivre l'alignement du droit applicable aux mineurs sur celui des majeurs, c'est à un changement de philosophie en la matière que vous nous obligez, allant jusqu'à nier l'état d'enfance à l'enfant qui transgresse la loi.

Avec ce texte, le mineur n'est plus « en danger », mais source de danger ; la justice des mineurs perd, elle, toute ambition éducative et la sanction devient une fin en soi et non le point de départ du travail éducatif.

Votre propre famille politique déplore de telles méthodes. Sur la question des peines « plancher » et la suppression de l'excuse de minorité, le ministre de l'intérieur s'est heurté à l'opposition du garde des sceaux et du Premier ministre.

Mme Alliot-Marie a, quant à elle, publiquement regretté que le ministre de l'intérieur ait « trop souvent insinué l'idée pernicieuse qu'un jeune était un délinquant en devenir ».

Par ailleurs, dans un article du monde, François Chérèque déplore que l'image du mineur présentée dans ce projet de loi soit « celle du prédateur non sanctionné par la justice et, de ce fait, installé dans une ?culture de l'impunité? ».

Or, outre le fait que la délinquance des mineurs concerne une petite minorité de jeunes, comme l'a dit très justement Jean-Claude Peyronnet, les études montrent que le taux de réponse judiciaire en matière de délinquance juvénile est de 84 %, que le nombre de mineurs en détention a doublé depuis 1996 et que les formes de placement contraignantes se sont développées. Est-ce là l'impunité que vous ne cessez d'invoquer pour justifier le « tout répressif » ?

Vous parlez, monsieur le ministre délégué, de ce qui n'est pas, mais, en revanche, rien sur le manque de moyens de la justice, rien sur la pénurie de travailleurs sociaux sur le terrain !

A également disparu de ce texte le concept même de prévention. Certes, pour le ministre de l'intérieur, la sanction est « la première étape de la prévention » : pour M. Sarkozy la prévention consiste à sanctionner avant qu'il y ait faute !

En réalité, à travers ce texte de loi, vous avez pour dessein non de prévenir la délinquance mais de communiquer sur la récidive. Vous voulez non pas faire porter la réflexion sur les causes de la violence et les moyens de la prévenir, mais faire triompher une vision déterministe de la société où le lien entre pauvreté et délinquance est affirmé, où l'insécurité est instrumentalisée et où la stigmatisation des familles en difficulté tient lieu de politique de prévention.

Votre projet de loi, monsieur le ministre délégué, en transformant les élus en shérifs, les acteurs sociaux en auxiliaires de justice et l'aide sociale en contrôle social, ne résout rien et complique l'action de tous les acteurs sociaux sur le terrain.

Entre la notion de secret professionnel partagé qui existe dans le texte sur la protection de l'enfance et la trahison même du secret professionnel que porte le présent texte, il n'y a que quelques mois d'écart, mais on n'est déjà plus dans le même monde ! D'un côté, la vie privée est respectée ; de l'autre, elle est sacrifiée à un intérêt de sécurité publique. D'un côté, le partage est nécessaire à l'efficacité du travail entrepris ; de l'autre, la confusion est totale entre les enjeux sociaux d'une politique de la famille et les questions liées à la délinquance.

Or, le secret professionnel, ce n'est pas le secret pour le secret, c'est la condition du travail social. Celui-ci n'est efficace que s'il s'appuie sur une confiance réciproque. En obligeant tout professionnel à signaler au maire les personnes ou les familles connaissant des difficultés telles qu'elles nécessitent l'intervention de plusieurs acteurs sociaux, c'est le respect des personnes et la crédibilité des professionnels que l'on détruit.

Et pour quel résultat ? Que fera le maire de ce secret révélé ? Quel rôle d'intermédiaire pourra-t-il jouer vis-à-vis de sa population s'il en devient à la fois le représentant et le censeur ? Transformer le travailleur social en délateur et le maire en « super-gendarme » est inefficace et dangereux. À travers cela, c'est à la fois la légitimité du politique et du travailleur social que l'on met à mal.

En réalité, rares sont les maires qui se réjouissent des nouveaux pouvoirs que le Gouvernement veut leur confier tant ils sentent que c'est une façon pour l'État de se laver les mains d'un certain nombre de responsabilités. Hormis ceux qui, dans la toute-puissance, s'imaginent qu'il suffit d'effleurer une situation pour y remédier, les maires savent à quel point le travail social réclame du temps, de la compétence et de la confidentialité.

Pour ceux qui n'en ont pas conscience, le réveil sera terrible quand, englués dans des querelles de compétences et de préséance avec le conseil général, ils ne pourront qu'affronter finalement leur incapacité à changer les choses au fond et qu'ils devront, néanmoins, rendre des comptes à leur population.

C'est d'autant plus à craindre qu'aucun moyen n'est dégagé pour permettre aux acteurs concernés de faire face à leurs nouvelles obligations. Pourtant, si aujourd'hui les actions locales s'essoufflent, ce n'est pas faute d'investissement des acteurs, mais parce qu'il n'y a plus les moyens suffisants pour agir dans la durée

Or vous proposez dans ce texte de faire mieux avec moins ! Vaste programme, lorsque chacun s'accorde à dire que l'on faisait déjà ce que l'on pouvait avec pas assez...

Ce texte, censé avoir été pensé à la suite des émeutes de 2005, privilégie une logique exclusivement punitive au lieu d'une approche sociale. Il répond par la seule pénalisation au malaise croissant d'une partie de notre population, assignée à résidence dans des « quartiers ghettos », frappée par le chômage et victime de discriminations. Il ne porte que la stigmatisation là où l'on attendrait l'espoir.

Oui, il y a fort à faire en matière de prévention de la délinquance, oui, il y a urgence à agir sérieusement, mais le texte que vous nous proposez n'a pour seule visée que la promotion de son auteur.

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