Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 9 janvier 2007 à 16h00
Prévention de la délinquance — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Philippe GoujonPhilippe Goujon :

Seule en effet la certitude de la sanction permet de lutter contre le sentiment d'impunité et de produire un réel effet dissuasif. Or, bien que nous soyons dotés de l'arsenal répressif peut-être le plus sévère d'Europe contre l'usage de stupéfiants, l'impunité est aujourd'hui la règle et la sanction l'exception, avec pour résultat une banalisation de la consommation de cannabis, qui touche désormais 3, 5 millions de Français.

Si la loi de 1970 n'est pas appliquée, c'est tout simplement parce qu'elle n'est pas applicable. En effet, menacer le fumeur de cannabis d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende n'est pas réaliste.

C'est la raison pour laquelle, malgré les mesures concrètes contenues dans ce projet de loi, telles que le stage de sensibilisation aux dangers de la drogue ou le recours à l'ordonnance et à la composition pénales, il nous faudra réfléchir plus avant, tel est en tout cas mon sentiment, à la voie de la contraventionnalisation, dont l'intérêt est indéniable.

Il faut évidemment que la sanction, certaine et rapide, soit adaptée. C'est tout l'enjeu de la réforme de l'ordonnance de 1945, à laquelle, n'en doutons pas, il nous faudra nous atteler à l'avenir, tant il est démontré que celle-ci, pas plus qu'elle n'impressionne le mineur délinquant d'aujourd'hui, ne dissuade ceux qui hésiteraient à basculer dans la délinquance par peur de la sanction.

Les sanctions prévues dans cette ordonnance sont en effet inadaptées, calibrées pour des incivilités sans commune mesure avec la plupart des faits commis, ce qui conduit à discréditer l'autorité - la police comme la justice - et à conforter un sentiment d'impunité qui pousse les plus jeunes à s'enfoncer dans une délinquance dont souvent on ne revient pas.

Un crime ou un délit sur cinq est commis par un mineur. La délinquance des mineurs a augmenté de 80 % en dix ans et les individus en cause sont de plus en plus en jeunes, gâchant ainsi leurs vies comme celles de leurs victimes. De plus, il n'est pas rare qu'un mineur de quinze ans soit déjà un « hyper-récidiviste ».

Or chacun sait parfaitement que cette délinquance est avant tout constituée par un noyau dur de multirécidivistes pour lesquels les réponses pénales actuelles sont totalement inefficaces. C'est donc tout notre système qui est à revoir, afin que l'on trouve les réponses adaptées à des jeunes en perte de repères, souvent manipulés, et capables de commettre, en général en bande, des actes d'une violence inouïe, ainsi que l'actualité, hélas, nous en donne de nombreux témoignages.

C'est d'ailleurs ce qu'ont bien compris nos voisins européens, notamment anglais et espagnols, qui ont mis en place de nouvelles sanctions - moins simplistes, je tiens à le dire à nos collègues, que celles qui sont proposées par Mme Royal -, et ont tenu à responsabiliser particulièrement les parents.

Aussi, la possibilité donnée aux juges de déroger au principe de l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs récidivistes de seize à dix-huit ans constitue sans aucun doute un premier pas dans la bonne direction.

Toutefois, il conviendra sans doute d'aller plus loin et de traiter le mineur récidiviste qui commet plusieurs agressions successives contre des personnes comme un majeur, ce qui suppose, notamment, la suppression de l'excuse de minorité.

Le cas des autres multirécidivistes doit également faire l'objet d'un traitement adapté.

En effet, si l'on doit affirmer avec force qu'il faut donner sa chance à chacun, que dire d'un individu qui comparaît pour la vingt-cinquième fois - le fait n'est pas si rare - devant le tribunal correctionnel ? Que la sanction doit être éducative ? Qu'il finira bien par retenir la leçon ? Oui, sans doute, mais à condition qu'il soit condamné à une peine lourde !

Dans ces cas, l'instauration de peines plancher est une ardente nécessité, tant il est vrai que l'appel à la responsabilité de chacun ne doit pas avoir de limite. Il en va ainsi des acteurs naturels de la prévention que sont les parents et les magistrats.

Ainsi, le conseil pour les droits et devoirs des familles, à la création duquel les maires seront incités s'ils veulent pouvoir proposer un accompagnement parental, permettra d'informer les familles de leurs droits et devoirs envers l'enfant et d'engager des mesures d'aide à l'exercice de la fonction parentale.

Le maire pourra, le cas échéant, saisir le juge des enfants pour demander, conjointement avec la caisse des allocations familiales, la mise sous tutelle des allocations familiales en cas de difficultés graves et persistantes dans la gestion de ces dernières par certaines familles.

De la sorte, les parents défaillants seront plus régulièrement rappelés à leurs responsabilités. Ne pas signaler l'absentéisme de son enfant, par exemple, c'est se rendre complice des difficultés futures que connaîtra celui-ci. Je rappelle à cet égard que, dans un établissement sur dix, 10 % à 16 % des élèves sont absents.

Les magistrats sont tout autant impliqués dans la prévention de la délinquance, en particulier au regard de la protection des victimes potentielles, auxquelles le Gouvernement porte enfin, à travers ce texte, une attention nouvelle.

Dans cet esprit, il est juste que les magistrats soient désormais astreints, en matière correctionnelle, à une motivation spéciale du choix de la peine, de sa durée et de son mode d'exécution, lorsque l'infraction est commise en état de récidive légale ou de réitération.

Ce projet de loi - c'est là une qualité majeure - fait preuve d'une confiance en la raison de tout un chacun qui, par les moyens qui lui sont donnés ou proposés, est mis face à ses responsabilités.

Tel est le cas en particulier en matière d'hospitalisation d'office, domaine dans lequel les dispositions retenues, améliorées depuis la première lecture en accord avec le Gouvernement et dans le cadre de la révision par ordonnance de la loi de 1990, permettront de prévenir plus efficacement la récidive.

À cet égard, monsieur le ministre délégué, je ne puis que rappeler le souhait de notre commission des lois d'une meilleure prise en charge des délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques. Nous demandons qu'un certain nombre de places leur soit réservées au sein des unités hospitalières spécialement aménagées, qui verront prochainement le jour. Ces délinquants y purgeraient leur peine en milieu médical, ce qui permettrait peut-être d'éviter les atrocités du type de celles qui ont été commises à la prison de Rouen, et pourraient continuer à y être soignés à l'issue de leur peine.

Cette implication de l'administration pénitentiaire dans la prévention de la délinquance est bien la preuve que la politique de prévention est, par essence, une politique transversale.

Le caractère pluridisciplinaire de cette politique a, certes, été maintes fois souligné. Cependant, je ne crois pas inutile d'y revenir, tant il est la marque de fabrique de la politique de sécurité du Gouvernement.

Nous partageons la conviction du ministre de l'intérieur selon laquelle la réponse, loin d'être uniquement policière, doit être protéiforme, c'est-à-dire non seulement pénale, mais aussi sociale et éducative.

C'est la raison pour laquelle toute la politique de prévention ne se limite pas à ce seul projet de loi. Ce sera l'objet, par exemple, du projet de loi réformant la protection de l'enfance, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, qui prévoit le dépistage précoce des troubles du comportement chez l'enfant, souvent irréversibles s'ils ne sont pas traités à temps, mesure dont on ne dira jamais assez l'importance pour briser le carcan de la souffrance, entretenu par la loi du silence, de quelque 5 000 à 8 000 enfants, et parfois réclamée par les parents eux-mêmes.

Les pouvoirs publics se trouvent ainsi largement mobilisés en vue de la réalisation de l'objectif de prévention de la délinquance.

Au coeur du dispositif se trouve le maire, nouveau pivot de la politique de prévention et autour duquel se mobiliseront les acteurs de terrain.

Les maires qui veulent être des médiateurs et des fédérateurs, sans pour autant, bien entendu, participer au dispositif répressif, trouveront dans ce texte les moyens de parvenir à ce difficile équilibre. Ils jouent d'ailleurs déjà bien souvent ce rôle, mais ils bénéficieront désormais de la légitimité qu'ils souhaitaient.

Le département et la région ont aussi un rôle à jouer et il est heureux que celui-ci soit reconnu ; de ce point de vue, l'action du Sénat a été prépondérante.

Ce projet de loi est novateur en ce qu'il permet de revoir la répartition des compétences entre les collectivités locales en fonction des besoins locaux, grâce à des délégations de compétences permettant de rapprocher les services publics de l'usager.

En la matière, le travail en réseau est particulièrement important, favorisé par l'institution de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, les CLSPD, dans les communes de plus de 10 000 habitants.

De la même manière, l'exercice des facultés désormais offertes aux communes ou à leurs groupements de contribuer à la prévention de la délinquance, en participant aux dépenses de gardiennage ou de surveillance d'immeubles sociaux, ne pourra qu'être bénéfique. À ce propos, je forme le voeu, de circonstance, que la Ville de Paris recoure à cette possibilité afin d'assurer une meilleure sécurité dans les grands ensembles de la capitale.

Alors que les EPCI seront autorisés à financer la vidéosurveillance, je réitère par ailleurs mon désir de voir enfin la Ville de Paris s'engager dans la « vidéotranquillité » en contribuant au plan d'équipement présenté par la préfecture de police.

L'utilité de ces dispositifs, très étroitement encadrés par la loi, est démontrée et fait même aujourd'hui l'objet d'un large consensus, et ce pas seulement dans les stades ou à leurs abords. Ainsi la région d'Île-de-France finance-t-elle la vidéosurveillance dans les transports en commun et dans les lycées ; quant au conseil général de Seine-Saint-Denis, il applique le même dispositif à l'entrée des collèges.

Prenant en compte les disparités dans les délais d'instruction par certaines commissions départementales, qui peuvent aller jusqu'à six mois, il serait bon, selon moi, que le ministre de l'intérieur donne des instructions pour que les procédures soient harmonisées sur l'ensemble du territoire.

Si l'État doit demeurer un acteur prépondérant de la prévention, il faut qu'il privilégie une approche horizontale et décloisonnée.

Dans cet esprit, l'extension, après son expérimentation dans trente départements, de la présence de travailleurs sociaux dans les commissariats et les groupements de gendarmerie sera très précieuse non seulement pour les victimes, mais aussi pour les mineurs et les cas sociaux que les policiers ne savent pas accompagner.

Il revient également à l'État d'adapter régulièrement les instruments juridiques permettant de prévenir la délinquance, en particulier pour éradiquer le hooliganisme, le racisme et la violence dans le sport.

À ce titre, la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives est aujourd'hui opérationnelle, contrairement à ce que je viens d'entendre.

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