Intervention de René Garrec

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Archives — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de René GarrecRené Garrec, rapporteur :

Je veux revenir sur des articles parus dans la presse laissant entendre que certains historiens suspectaient le Sénat d’avoir le culte du secret et d’avoir fait pression sur Mme la ministre pour que certains éléments soient occultés. Mais nous n’avons rien caché du tout ! En réalité, nous avions le sentiment d’avoir énormément simplifié les règles en vigueur, et nous nous attendions à recevoir des félicitations ! Nous avons donc eu une petite déception à cet égard, mais sans doute nous sommes-nous mal expliqués.

Nous avons souhaité créer un bloc de préservation de la vie privée et avons estimé que tout ce qui relevait de la vie publique devait être le plus transparent possible. C’est une démarche qui nous paraissait simple. J’ai dû parler trop rapidement, si bien que ce point a dû échapper à la sagacité des auditeurs… Non seulement nous n’avons pas remis en cause les délais, mais nous avons inventé le délai de soixante-quinze ans, remplaçant celui de cent ans. C’est tout de même un grand pas en avant !

Je ne répéterai pas les propos que vous avez tenus, madame la ministre, mais je m’arrêterai brièvement sur trois points.

Tout d’abord, le Sénat a proposé, en première lecture, que les collectivités locales puissent mettre en ligne les archives publiques dès l’expiration des délais de communication, c'est-à-dire à partir du moment où elles étaient publiables. Alors que le projet de loi initial posait le principe de la communication des documents tombés dans le domaine public « à toute personne qui en fait la demande », le Sénat a jugé que le plus simple serait de permettre aux administrations des collectivités locales de mettre les documents directement en ligne, afin de faire gagner du temps à tous.

Ensuite, le Sénat a souhaité assouplir le régime de communication des archives judiciaires audiovisuelles. L’amendement adopté par la Haute Assemblée prévoit une communication immédiate de ces archives – elles sont très peu nombreuses, puisqu’elles se limitent, me semble-t-il, à quatre procès – dès lors qu’elle est sollicitée à des fins scientifiques ou historiques et que le procès est définitivement clos. Cet ajout me paraissait une bonne chose.

Enfin, le Sénat a proposé un bloc visant à protéger tout ce qui touche la vie privée. Cette dernière est en effet le seul petit créneau de vie qui subsiste dans notre monde hyperadministré. À l’heure où même les chiens sont poursuivis et classés selon qu’ils sont très méchants, moyennement méchants ou peu méchants, sachons préserver et respecter la vie privée et laissons les gens vivre tranquilles ! Nous avions donc proposé un délai de soixante-quinze ans.

Après l’examen du texte par la Haute Assemblée, j’ai rencontré le rapporteur de l’Assemblée nationale et, allant au plus simple, nous avons coupé la poire en deux. Selon les archivistes, les éléments de la vie privée sont l’adresse et le numéro de téléphone ; mais, dès lors que ces derniers sont publiés dans le Who’s who, le Bottin administratif ou ailleurs, il n’y a aucune raison de ne pas les communiquer dans cinquante ans ! Nous avons uniquement conservé le délai de soixante-quinze ans pour les domaines que vous avez évoqués tout à l’heure, madame la ministre. Le texte adopté par l’Assemblée nationale me semble donc équilibré sur ce point.

J’aborderai également, très brièvement, la question des dérogations. Les historiens ont contesté l’idée de bloquer certaines données pendant vingt-cinq, cinquante, soixante-quinze, ou cent ans pour protéger les agents secrets en opérations extérieures. Je veux souligner qu’il est toujours possible d’obtenir des dérogations. Il suffit d’en faire la demande. À partir du moment où elles concernent un travail scientifique et historique, les demandes de dérogations sont satisfaites dans plus de 90% des cas. Par conséquent, il s’agit de notre part non pas d’un blocage, mais, au contraire, d’une ouverture encore plus grande. En outre, je le répète, ni Mme la ministre ni le Sénat n’avaient cherché à remettre en cause ces possibilités de dérogation, au contraire.

J’ajoute, m’adressant aux archivistes – en l’occurrence à la personne la plus compétente en France dans ce domaine, qui siège aujourd’hui parmi les commissaires du Gouvernement –, que, certes, il faut protéger les archives, mais que l’on peut satisfaire des demandes lorsque la communication des documents « ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ». À cet égard, il y a la jurisprudence du Conseil d’État, la théorie du bilan, et le principe de proportionnalité appliqué par la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA.

J’en viens à présent aux modifications apportées par l’Assemblée nationale.

Les députés ont adopté quatre amendements au projet de loi organique relatif aux archives du Conseil constitutionnel : trois amendements rédactionnels et un amendement visant à donner cinq mois au Conseil constitutionnel pour s’adapter au nouveau régime de gestion et de communication de ses archives. À cet égard, il me paraît logique d’accorder un délai au secrétaire général de cette instance.

Sur le projet de loi ordinaire, l’Assemblée nationale a adopté trente et un amendements.

Certains portaient sur la vie privée et la réputation des personnes. Comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, le rapporteur de l’Assemblée nationale et moi-même avons étudié ensemble ce point après l’examen du texte par le Sénat, et M. François Calvet a été suivi par les députés.

D’autres amendements visaient les documents susceptibles de mettre en cause la sécurité des personnes. Le projet de loi initial, non modifié par le Sénat sur ce point, frappait d’incommunicabilité absolue les documents susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnes. Les députés ont décidé de prévoir un délai de cent ans pour les seuls agents spéciaux et de renseignement et, implicitement, de soixante-quinze ans pour les autres personnes, c'est-à-dire pour les archives relevant du bloc de la vie privée, conformément à la logique du texte. Cela me paraît raisonnable.

Les députés ont ajouté un autre point, que nous n’avions sans doute pas vu, qui concerne les archives des groupements de collectivités. Il s’agit d’ouvrir la possibilité, pour la commune éventuellement désignée pour conserver les archives du groupement de collectivités territoriales dont elle est membre, de gérer également les archives des autres communes membres, et ce afin de favoriser la mutualisation de la gestion des archives communales. Nous sommes pleinement d’accord avec cette disposition qui nous paraît raisonnable.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a supprimé un dispositif, que j’aimais bien, incitant fiscalement à engager des travaux de restauration des archives privées classées. Mme Morin-Dessailly, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et à l’origine de cet amendement sénatorial, évoquera peut-être ce point tout à l’heure. Cette disposition me paraissait sympathique dans la mesure où elle ouvrait aux chercheurs ces archives auxquelles ils n’ont pas accès actuellement. Madame la ministre, vous avez souhaité une étude d’impact à cet égard. Dont acte ! On ne peut rien dire devant un tel argument, car l’étude d’impact a maintenant un caractère quasiment sacré !

Les députés ont également demandé au Gouvernement un rapport sur la pérennité de l’archivage numérique, au motif que la rapidité de l’évolution des technologies risque d’aboutir à ce que l’on ne dispose plus de lecteurs pour les archives anciennes. C’est un vrai problème, et nous ne pouvons qu’approuver une telle disposition.

Le Sénat avait demandé l’harmonisation des règles relatives aux régimes de 1978 et de 1979 qui se superposent mal, donnant lieu à quelques difficultés de compréhension. En la matière, si le juge détient le pouvoir d’appréciation, on peut lui éviter un travail supplémentaire en rapprochant les deux régimes. Vous avez proposé de régler ce point par ordonnance. Même si je n’aime pas les ordonnances parce qu’elles privent les assemblées de leur travail, votre proposition me paraît judicieuse et parfaitement adaptée dans un cas aussi technique.

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