Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Archives — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Il s’agit du principe posé de la libre communicabilité des archives publiques, de la suppression du délai de trente ans actuellement en vigueur pour les documents qui ne mettent pas en cause les secrets protégés par la loi., de la réduction des délais de trente ans à vingt-cinq ans pour les documents relatifs aux délibérations du Gouvernement, de soixante ans à cinquante ans pour ceux qui relèvent du secret de la défense nationale et de la politique extérieure, de cent ans à soixante-quinze ans pour les actes d’état civil.

En première lecture, la Haute Assemblée a recherché un compromis entre les exigences liées au respect de la vie privée et les nécessités du travail des historiens.

Si ce souci est compréhensible, et nous le partageons, je soutiens cependant la position exprimée par de nombreux historiens et usagers des archives nationales, estimant qu’il était pour le moins paradoxal que le projet de loi dont l’objet premier visait à faciliter l’accès aux archives puisse se traduire dans les faits par un allongement des délais de communicabilité par rapport à la situation existante.

C’est pourquoi je me réjouis, monsieur le rapporteur, que vous ayez proposé à la commission de suivre l’Assemblée nationale. Il aurait été difficilement justifiable que le délai de cinquante ans pour les documents relatifs à la vie privée fût allongé à soixante-quinze ans, alors qu’il est de soixante ans actuellement et que les deux textes prévoient de revenir à cinquante ans. Des archives concernant le Front populaire ou la période de l’Occupation, consultables actuellement, eussent été fermées, et les archives de la guerre d’Algérie n’auraient été consultables qu’en 2029, voire en 2037.

Il importe de trouver un équilibre, je l’ai dit, mais il faut se garder de tomber dans une utilisation excessive, voire abusive, du concept de vie privée eu égard aux nécessités de l’histoire.

Et puisque la position que vous proposez au Sénat d’adopter, monsieur le rapporteur, est différente de celle qu’il a prise lors de la première lecture, qu’il me soit permis d’ouvrir une parenthèse au sujet du débat qui nous occupera bientôt, concernant les institutions de notre pays.

Imaginez qu’il n’y ait eu qu’une seule lecture dans chaque assemblée et que, une fois encore, on nous eût infligé la fameuse déclaration d’urgence : c’eût été à coup sûr préjudiciable ! Il est donc bon que les navettes aient lieu et qu’un texte ne soit déclaré d’urgence que d’une façon tout à fait exceptionnelle, car il peut arriver que nous changions d’avis à la suite des débats se déroulant dans l’autre assemblée. Telle est la raison d’être du Parlement.

Nous assistons aujourd'hui à une belle démonstration de ce que, à chaque fois que l’on veut brider le jeu démocratique normal, nous aboutissons à de mauvaises solutions. C’est pourquoi j’ose espérer que la prochaine réforme institutionnelle s’accompagnera d’une stricte limitation des cas où il est fait appel à la procédure d’urgence. Mais nous aurons l’occasion d’en parler.

Restent trois points, madame la ministre, qui continuent à poser problème. Malheureusement, je crains que les amendements déposés ne permettent pas de les résoudre.

Le premier d’entre eux porte sur le caractère éternellement incommunicable – vous avez parlé, pour votre part, d’« incommunicabilité perpétuelle », madame la ministre – de certaines archives. Certes, l’Assemblée nationale a proposé que les documents susceptibles de mettre en cause la sécurité des personnes soient accessibles au bout de cent ans, proposition à laquelle vous avez souscrit, monsieur le rapporteur. Néanmoins, resteront perpétuellement fermées les archives publiques dont la communication serait susceptible « d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue », ainsi que les documents relatifs aux agents spéciaux et de renseignement.

Annette Wieviorka, brillante directrice de recherches au CNRS, a posé cette question simple : à quoi bon, dans ce cas, conserver des documents s’il est impossible d’y accéder, si l’on considère que ceux-ci doivent à jamais demeurer incommunicables à l’humanité ? Ne faudrait-il pas, alors, les détruire sur le champ ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion