En outre, écoutons ce que dit, par exemple, M. Gilles Morin, historien et président de l’Association des usagers du service public des Archives nationales, l’AUSPAN : « Il suffit qu’un seul document soit manquant pour rendre tout un dossier incompréhensible. Nous ne saurons jamais ce qu’il contenait, puisque aucun inventaire ne sera fait. Les documents sur les essais nucléaires en Algérie et à Mururoa et leurs effets sur les personnes contaminées ne pourront jamais, par exemple, être consultés. Établir des délais longs et révisables serait une meilleure solution. »
Je souscris à ces propos. Nul ne peut considérer qu’il est bon pour notre démocratie et pour la connaissance du problème, éventuellement pour la réparation du préjudice que d’aucuns auraient subi, que les archives concernant, par exemple, les essais nucléaires de Mururoa demeurent par principe à jamais inaccessibles, même si des dérogations restent possibles.
Notre collègue François Calvet, rapporteur à l’Assemblée nationale, a lui-même déclaré ceci : « Ne jamais connaître les archives laisse place au fantasme ou au révisionnisme. »
En deuxième lieu, l’officialisation du recours à des sociétés d’archivage privées nous pose problème. Celui-ci est contraire à la quatrième des quarante propositions du rapport Braibant, auquel il est souvent fait allusion, qui, pour des raisons évidentes tenant à la notion de service public, vise à « exclure, en dehors des prestations techniques ponctuelles, le recours à des entreprises d’archivage pour la collecte et la conservation des archives publiques ».
Madame la ministre, ces opérations relèvent le plus souvent des missions régaliennes de l’État. Aussi, vous comprendrez aisément que l’officialisation, prévue dans ce projet de loi, du dépôt d’archives publiques auprès de sociétés privées spécialisées dans l’archivage suscite quelques interrogations.
Je profite de l’occasion pour vous demander de préciser le rôle des fondations. Nombre d’entre elles, qu’il s’agisse de l’Institut Charles-de-Gaulle, de l’Institut François-Mitterrand, de la Fondation nationale des sciences politiques ou de la Fondation Jean-Jaurès, nous ont saisis en vue de se voir accorder l’autorisation d’effectuer une partie du travail d’archivage tel que le présent projet de loi entend, de manière problématique ainsi que je viens de le souligner, le confier aux entreprises privées d’archivage.
Je sais que, sur l’initiative de notre collègue Marietta Karamanli, cette question a été abordée lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale. Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer votre position ?
En troisième et dernier lieu, j’évoquerai l’habilitation à légiférer par ordonnance, délivrée au Gouvernement par l’article 29 du projet de loi.
M. le rapporteur, notre cher collègue René Garrec, n’a pas manqué de nous dire que cette habilitation ne portait que sur des questions techniques. Toutefois, avisé comme il l’est, et parce qu’il fut un brillant conseiller d’État, il sait très bien que, dans sa rédaction actuelle, l’article 29 du projet de loi autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur l’ensemble des questions relatives à la communicabilité des archives. Or il s’agit là d’un point tout à fait essentiel. Par conséquent, nous ne saurions nous satisfaire que cette question de fond, qui n’est aucunement une simple question technique, ne soit pas débattue devant le Parlement.
À cet égard, je me permets d’ouvrir une parenthèse sur le projet de réforme institutionnelle. Je regrette que, dans sa rédaction actuelle et à défaut d’être amendé de manière heureuse, il laisse perdurer ce mécanisme totalement absurde en vertu duquel une ordonnance est ratifiée de facto dès lors que le Gouvernement a déposé sur le bureau du Parlement un projet de loi de ratification, rendant cette procédure purement formelle.
Pour les trois raisons que je viens d’invoquer, madame la ministre, le groupe socialiste s’abstiendra sur ce projet de loi, sauf à ce qu’il soit modifié au cours du débat, ce qui est peu probable, et en dépit des avancées enregistrées au cours de sa première lecture devant le Sénat, alors inspiré par les forces de l’Esprit. Monsieur le président de la commission, j’emploie cette expression à dessein !