Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, depuis son adoption en première lecture par la Haute Assemblée, le 8 janvier 2008, a fait l’objet d’une profonde contestation de la part des chercheurs et des historiens. L’ampleur de ce mouvement – la pétition lancée le 12 avril dernier a recueilli plus de cinq cents signatures en quelques jours seulement – est à la hauteur des espérances déçues.
En effet, élaboré à l’instigation du ministre de la culture du précédent gouvernement, le projet de loi initial marquait incontestablement une ouverture en permettant aux citoyens d’ « accéder avec plus de facilité aux sources de leur histoire ».
Toutefois, la suite des événements allait démontrer que le chemin vers une meilleure communicabilité des archives n’est pas uniquement pavé de bonnes intentions.
Le projet de loi initial remettait en cause le délai de trente ans, jusqu’à présent applicable à toute consultation d’archives publiques, et posait le principe, réclamé par tous, de la libre communicabilité des archives. En première lecture, le Sénat a d’ailleurs réaffirmé ce principe en précisant que les archives publiques sont communicables de plein droit.
Les cinq régimes d’exception aujourd’hui en vigueur, qui prévoient des délais s’échelonnant de soixante à cent cinquante ans suivant qu’ils remettent en cause ou non la vie privée, la sûreté de l’État, les affaires judiciaires et les données médicales ou patrimoniales, étaient réduits à trois par le texte initial : vingt-cinq, cinquante ou cent ans.
Les délais se trouvaient ainsi raccourcis pour chacune des catégories d’exception. C’est pourquoi tout le monde, à commencer par nous-mêmes, mais aussi les historiens et les chercheurs, voyait dans ce texte une avancée importante en matière de communicabilité des archives par rapport aux dispositions de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives.
Le texte qui nous a finalement été soumis au mois de janvier et que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture s’est toutefois quelque peu éloigné de l’esprit d’ouverture qui avait présidé à sa rédaction.
En effet, le Gouvernement a décidé de créer une nouvelle catégorie d’archives, les archives non communicables. Sont concernés les documents relatifs aux armes de destruction massive, qui ne pourront donc jamais être divulgués.
Étaient également concernés les documents susceptibles de mettre en cause « la sécurité des personnes » ; mais, à la suite de l’adoption d’un amendement du rapporteur de l’Assemblée nationale, ces documents seront accessibles au terme d’un délai de cent ans. Ce n’est pas la panacée, mais cela représente néanmoins un progrès.
Il n’en reste pas moins que certaines archives resteront à jamais incommunicables, ce qui semble pour le moins contestable. En effet, on peut tout d’abord s’étonner, à l’instar de certains historiens, que l’on archive des documents alors qu’on les sait inaccessibles. Dans ces conditions, à quoi bon les conserver ? Ne va-t-on pas à l’exact opposé du principe posé par le projet de loi, selon lequel les archives publiques sont communicables de plein droit ?
Par ailleurs, s’agissant de documents sensibles, tels ceux qui sont relatifs aux armes de destruction massive, il est pour le moins contestable de retirer aux personnes qui en auraient été victimes – je pense notamment aux victimes d’essais nucléaires effectués par la France – le droit, et même l’espoir, d’obtenir un jour des réponses à leurs questions. Cela pose le problème des recherches sur cette question : doit-on interdire aux chercheurs tout travail portant sur les armes de destruction massive ? Cette culture du secret paraît, en l’espèce, bien déplacée : secret-défense ou défense du secret ?
Le deuxième point qui a déclenché la vague de protestation des chercheurs et des historiens concerne le délai de communication des documents portant atteinte à la protection de la vie privée.
Aujourd’hui, le délai de communicabilité de ces archives est fixé à soixante ans. Le projet de loi initial avait réduit ce délai à cinquante ans, justifiant d’ailleurs notre approbation première, malgré nos quelques réserves relatives à l’externalisation du stockage des archives, au devenir des personnels et au traitement des archives des entreprises publiques. Ces dernières restent d’ailleurs toujours d’actualité puisque le projet de loi n’a pas évolué sur ces questions. Mais j’y reviendrai ultérieurement.
S’agissant de la communicabilité des archives portant atteinte à la protection de la vie privée, le délai de soixante-quinze ans prévu par le Sénat en première lecture posait incontestablement des problèmes, puisqu’il interdisait d’accéder à des documents d’archives relatifs à la guerre d’Algérie avant 2037 ; pis, il entraînait la fermeture des dossiers d’archives actuellement ouverts, comme ceux qui portent par exemple sur la Seconde Guerre mondiale.
Nous ne pouvons que saluer l’initiative de nos collègues députés consistant à ramener ce délai à cinquante ans. Néanmoins, nous regrettons que ce retour vers l’esprit et la lettre du projet de loi initial n’ait pas porté sur l’ensemble des documents dont l’accès était possible au terme de cinquante ans, terme que le Sénat a porté à soixante-quinze ans et que les députés n’ont pas remis en cause. Je pense, entre autres, aux minutes notariales ou aux documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions et à l’exécution des décisions de justice.