Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la lettre du Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, de décembre dernier, son président, M. Dominique Baudis écrivait : « Les mesures annoncées par le Président de la République doivent contribuer à faire de notre télévision un reflet exact de la société française. [...] Ensemble, nous devons trouver des solutions novatrices, respectueuses de notre tradition républicaine et ouvertes à la diversité des origines et des cultures de la population française. »
En lisant l'article 23 de ce projet de loi, M. le président Baudis a dû être déçu !
Il est vrai que, au moment où il écrivait ce billet, Dominique Baudis ne connaissait évidemment pas encore la teneur du présent projet de loi. Il était en droit d'attendre que le texte fournisse un cadre légal solide pour promouvoir la diversité à la télévision, comme le lui avait assuré le Président de la République.
Dans les premières pages de cette lettre, le CSA faisait le point sur la situation actuelle des chaînes de télévision et sur les réflexions engagées avec l'ensemble des diffuseurs.
Le CSA s'est en fait soucié de cette question dès 1999, même s'il n'avait pas de compétences juridiques en la matière. Ainsi, dans le rapport d'activité qu'elles lui communiquent chaque année, les chaînes détaillent les initiatives qu'elles ont prises pour améliorer la représentation de la diversité des origines et des cultures de la communauté nationale.
Nous étions donc en droit d'attendre que le présent projet de loi s'appuie sur ces différents rapports, ainsi que sur les expérimentations qui y sont décrites, les réflexions et les propositions qu'ils contiennent, afin de permettre des généralisations et l'ouverture de nouvelles pistes.
Hélas, il n'en est rien ! L'article 23 est en retrait de ce qui se fait aujourd'hui et en deçà des espoirs suscités. Cet article, comme l'ensemble de ce projet de loi, n'a été discuté avec personne.
Cet article ne permettra pas, loin de là, de réduire le décalage entre la réalité de la société française et sa représentation sur les différentes antennes, décalage qu'a souligné le Haut Conseil à l'intégration, le HCI, dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre au mois de mars 2005.
Dénonçant la « pâleur » des écrans nationaux, le Haut Conseil a énoncé quelques principes destinés à valoriser la diversité culturelle dans l'audiovisuel.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui ne reprend qu'un seul de ces principes, et seulement en partie.
En effet, dans une formulation beaucoup moins claire et précise que celle du Haut Conseil, l'article 23 prévoit que les chaînes doivent veiller à ce que leurs programmes reflètent « l'unité de la société française dans sa diversité ». Aux termes de cet article, le CSA ne fait que « contribuer » aux « actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations ».
Nous sommes donc bien loin du cadre légal solide que tout le monde attendait. Le flou, pensons-nous, va demeurer la règle.
Le Haut Conseil demandait que les chaînes de télévision veillent à ce que leurs programmes donnent une image la plus réaliste et équilibrée possible de la société française dans sa diversité et une vision plurielle de sa réalité.
Pour parvenir à la mise en oeuvre de ce principe, le Président de la République annonçait, le 22 novembre dernier, un certain nombre de mesures. Il demandait, entre autres, l'inscription d'actions nouvelles dans les objectifs, les missions et les obligations du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
L'article 23 inscrit ces actions dans les objectifs généraux et les finalités du CSA, mais nullement dans ses missions, ni dans ses obligations.
Cet article ne constitue en fait qu'une simple mesure d'affichage politique, car il n'impose aucune obligation réelle. De plus, ne sont visés ici que les programmes. Rien n'est dit sur ce qu'il est tristement convenu d'appeler « les minorités visibles », qui connaissent pourtant de réelles difficultés pour accéder aux médias, aux différents métiers et aux responsabilités dans ce secteur, et souffrent d'une insuffisante visibilité sur les antennes. Ce sujet n'est même pas abordé !
Enfin, une autre question de fond n'est pas abordée non plus : la prise en compte dans l'audiovisuel - tant dans sa structure que dans ses programmes, en particulier dans ses informations - de toutes les réalités et de toutes les différences sociales, sociétales et politiques qui font notre pays. En ne prenant pas réellement en compte cette réalité, vous portez en fait une vision ethniciste et communautariste de la diversité culturelle.
Que dire, par exemple, du parisianisme qui règne dans les médias ? Que dire du système de cooptation entre gens du même milieu, formés dans les mêmes écoles, issus des mêmes couches sociales ? Que dire d'une vision de la France et de son histoire qui fait passer à la trappe la majeure partie de notre population ?
Que penser du fait que la programmation d'un téléfilm sur l'histoire d'une famille ouvrière fasse la une de l'actualité, tant ce type de sujet est rare à la télévision ?
Que penser d'une information qui assimile en permanence banlieue et délinquance, jeunes et délinquance, pauvreté et délinquance, et qui ne rend pratiquement jamais compte de l'actualité sociale, des mouvements qui se déroulent, des critiques qui se formulent, des recherches qui sont menées ?
Que penser des magazines qui parlent toujours des mêmes acteurs, réalisateurs et chanteurs, qui invitent toujours les mêmes pour assurer leur promotion, qui ne rendent compte que de certaines activités culturelles ou sportives, décrétées comme étant les plus porteuses, leur financement publicitaire étant déjà assuré ?
Oui, vraiment, il est urgent que l'ensemble de nos chaînes aient à coeur de faire vivre au quotidien les diversités qui font la richesse de la France.
En recul par rapport aux pratiques actuelles du CSA, votre projet de loi ne constitue même pas une légère avancée dans ce domaine. Vous passez une nouvelle fois à côté d'une exigence majeure de notre société.