Depuis les années quatre-vingt, la représentation à la télévision de la diversité des origines et des cultures de notre société est une question récurrente. Une prise de conscience s'est produite et des actions ont été menées, mais les résultats demeurent insuffisants. Il faut dire que la voie est étroite puisque, dans le respect des principes républicains, c'est la méthode incitative qui a été privilégiée.
Je crains cependant que, devant la lenteur du processus, les chaînes généralistes ne soient déjà perdantes. À force de ne pas se reconnaître dans ce miroir de la société, nombreux sont ceux en effet qui se tournent vers des réseaux de diffusion à vocation ethnique, pour se réapproprier une image plus respectueuse de leurs identités. On peut penser que c'est l'une des raisons du nombre impressionnant d'antennes paraboliques installées sur les immeubles des quartiers populaires de nos grandes villes et de nos banlieues, où se concentrent les familles issues de l'immigration.
Qu'elles diffusent les programmes proposés par les sociétés de diffusion des pays d'origine à destination de leurs diasporas - l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie - ou réalisés en France par des producteurs spécialisés - BRTV pour les Berbères, ATV pour les Antillais -, les chaînes communautaires rencontrent visiblement un véritable succès populaire. Ce phénomène vaut aussi pour la radio, je pense notamment au réseau radiophonique national Beur FM.
Pourquoi le paysage audiovisuel français résiste-t-il donc et ne s'ouvre-t-il pas à certaines catégories de son public, qui contribuent pourtant, comme les autres, à ses recettes ?
Quand le principal, voire le seul critère d'évaluation de la qualité d'un programme devient sa capacité à attirer les annonceurs, on cherche forcément l'audience à tout prix. Nous avons tous en tête la fameuse ménagère de moins de cinquante ans. C'est la classe moyenne que les annonceurs veulent toucher en priorité, avec leurs spots publicitaires, et que les chaînes pensent choyer en leur proposant des programmes supposés leur ressembler. Cette marchandisation de la programmation empêche la représentation de la diversité sur le petit écran.
À cet égard, le témoignage d'Olivier Rousselle, directeur général du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, le FASILD, à propos du colloque « Écrans pâles ? Diversité culturelle et culture commune dans l'audiovisuel », organisé conjointement par le FASILD, le HCI et le CSA en avril 2004, est éloquent :
« La représentation des minorités à l'écran, en particulier à travers des fictions et des documentaires, n'a pas encore atteint le stade qui lui permettra de se priver d'appuis. Le témoignage exemplaire de Yamina Benguigui lors du colloque d'avril montre les difficultés que rencontrent aujourd'hui encore les producteurs pour monter des projets intégrant ce thème. Ce qui est vrai pour les documentaires l'est aussi pour les fictions. Dans ces conditions, nos financements constituent souvent un apport indispensable sans lequel ces projets n'aboutiraient pas. Même lorsqu'ils ne représentent qu'une part très minoritaire des budgets, ce qui est le cas des fictions que nous soutenons, ils offrent un effet de levier très puissant. L'apport du FASILD, dans sa dimension financière, comme le regard que nous portons en amont sur les scenarii, est généralement décisif.
Nous ne devons donc pas relâcher nos efforts, mais au contraire rester vigilants et poursuivre notre rôle de stimulateur extérieur prêt à relancer le processus jusqu'à ce que celui-ci trouve son autonomie. »
Afin de toucher l'ensemble des publics, le FASILD soutient tous les genres télévisuels : fictions, documentaires, magazines, divertissements. Le FASILD, c'est également la semaine pour l'intégration et contre les discriminations, en partenariat avec France 3.
Le FASILD étant appelé à disparaître, pouvez-vous, monsieur le ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, nous garantir que les actions et les financements assurés jusqu'à maintenant en faveur de la diversité culturelle dans l'audiovisuel seront poursuivis par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances ?
Il serait en effet plus que dommageable que le Gouvernement ne s'en tienne, sur ce sujet comme sur bien d'autres, qu'à un effet d'affichage, en adoptant un dispositif législatif tout en se désengageant de ces missions d'intérêt général et de leur financement.
Cette discrimination à l'écran est d'autant plus préjudiciable que tout le monde reconnaît le rôle crucial de l'image dans la construction de l'identité individuelle et collective. Désormais, une société qui assume sa diversité est celle qui est capable d'introduire ses minorités dans l'imaginaire collectif et accepte de les voir incarner à l'écran des valeurs positives, auxquelles la majorité aspire.
Pourtant, pour Jean-Marie Charron, chercheur au CNRS, « le problème est peut-être moins de voir les minorités à l'écran que la manière dont on parle d'elles dans l'ensemble des médias [...] ainsi que les rôles dans lesquels elles sont cantonnées. On peut affirmer que le traitement de l'information pèche dans l'ensemble des médias ». En fait, il faut les deux.
Nous n'atteindrons pas notre objectif en faisant juste apparaître sur nos écrans plus de personnes de couleur et issues de l'immigration, d'autant moins si l'on ne les voit que dans des rôles stéréotypés ou dans des niches télévisuelles. Dans cette hypothèse, ce ne serait qu'une présence alibi.
Alors que l'immigration constitue une chance et une source de vitalité pour notre culture commune, 35 % des téléspectateurs l'assimilent, dans sa version télévisuelle, aux faits divers et 30 %, au folklore. Il faut dire que, dans les médias, l'immigration est plus associée à la ségrégation, à la misère et à la délinquance qu'à des qualificatifs positifs.
À ce titre, le traitement de l'information dans les journaux télévisés est symptomatique : on entend systématiquement citer l'origine des auteurs de crimes ou de délits, parler de « jeunes » au lieu de « délinquants ». Ce genre de dérives quotidiennes est attentatoire à la cohésion sociale et agit sans conteste de manière néfaste sur notre inconscient collectif. Non seulement la télévision ne montre pas la réalité de notre société, mais elle peut même être considérée plutôt comme le reflet, voire l'amplificateur des préjugés et des exclusions qui la traversent.