Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, les dispositions de l'article 24 de ce projet de loi sont particulièrement inacceptables. Ce que le Gouvernement nous propose est non pas un contrat de responsabilité parentale, mais bien un contrat de culpabilité parentale !
Perpétuant les inégalités anciennes, dans la cohérence du principe de méritocratie qui caractérise ce projet de loi, ce contrat vient formaliser une vieille idée, celle de la suspension des prestations familiales aux familles non méritantes.
En effet, ce contrat suppose la modification de la nature des prestations familiales. Jusqu'alors, elles avaient pour fonction de soutenir les familles afin que ces dernières disposent d'un minimum de moyens pour le développement et l'éducation de leurs enfants. Désormais, ces prestations deviennent une prime au mérite et leur versement est conditionné non plus au niveau de ressources de la famille mais au comportement de l'enfant.
Conforme à la notion de société du mérite, qui rime avec société qui réprime, le contrat de responsabilité répond également à l'obsession sécuritaire du Gouvernement.
Ce contrat vicie le travail social, car sont introduites dans son champ injonction et contrainte dont le prononcé est confié à une autorité administrative non investie d'un pouvoir judiciaire.
Or de tels dispositifs d'injonction et de contrainte ne sont pas étrangers au cadre d'intervention actuel des travailleurs sociaux.
L'aide sous contrainte ou sur injonction de justice existe et permet d'ailleurs une pratique de travail social, dans la mesure où il s'agit d'un cadre posé par une instance tierce hautement légitime, le juge, qui laisse au travail social la possibilité d'aide, sa finalité initiale.
Encore une fois, je le répète, le projet de ce gouvernement est global. Il passe, à tous les échelons de la sphère sociale, par l'affaiblissement des juges, notamment grâce à l'incursion toujours plus grande des autorités administratives dans la périphérie du domaine judiciaire, et en ne donnant que des réponses sécuritaires. Or cela est inacceptable !
Ce que criminalise ce contrat de responsabilité parentale c'est hélas, le comportement des parents lu dans celui de l'enfant.
Dans ce projet, seuls les parents sont considérés comme responsables du comportement de l'enfant. Or, les travaux en psychologie du développement montrent que l'évolution d'un enfant dépend de facteurs multiples : éducation, moyens, structure familiale, mais aussi lieu et environnement de naissance, conditions de logement, de travail des parents, conditions sociales...
En outre, pour ce qui est de l'absentéisme ou l'échec scolaire, la question de la politique d'accueil des établissements est l'un des paramètres qui peuvent expliquer les différences de fréquentation. Au-delà de l'établissement, les causes des difficultés liées à la fréquentation ou au comportement sont multifactorielles.
Ce contrat ne se limite pas à responsabiliser les parents, il incrimine l'enfant mis en cause, qui devient alors coupable de la perte des prestations sociales, renforçant ainsi les difficultés ou les tensions relationnelles entre parents et enfants. Cela implique de nombreux effets pervers au sein de la famille. Il s'agit d'une double stigmatisation : celle de l'enfant dans le regard de ses parents et celle des parents dans le regard de l'enfant.
Le contrat de responsabilité parentale introduit aussi une double ou une triple peine : l'enfant lui-même est tout d'abord victime de la suspension des prestations, mais aussi ses parents, voire les autres membres de la fratrie.
En plus d'avoir des conséquences néfastes sur la famille, ce contrat aura des effets désastreux sur l'ensemble de la chaîne du travail social.
Les professionnels des services éducatifs et sociaux des départements sont ainsi placés dans une position qui change jusqu'à la nature même de leur intervention. La contrainte et la sanction deviendraient des parties intrinsèques de leur action, modifiant la relation et l'objet de leur intervention auprès des usagers.
Enfin, ce contrat exclut de fait le service social scolaire. Celui-ci est absent de ce projet de loi, le Gouvernement assumant ainsi la méconnaissance des missions et de la fonction d'un service pourtant essentiel au sein de l'établissement.
Ces missions relatives à la prévention de l'échec scolaire auraient dû faire l'objet de renforcements de la part du Gouvernement, lequel élude totalement la question du manque de moyens de l'ensemble des travailleurs sociaux, notamment ceux des établissements scolaires.
Je connais ces travailleurs, notamment ceux que représente l'Association nationale des assistants de service social : ils préfèrent aujourd'hui avancer des solutions alternatives, innovantes et efficaces et se mobiliser contre le rapport Bénisti que nous avons évoqué.
Monsieur le ministre délégué, je peux vous garantir que ces travailleurs sociaux ne pourront pas tolérer plus longtemps que vous tentiez de vicier la nature et la valeur de leur métier. Ils ont affirmé avec force qu'ils refusaient de devenir des délateurs dans le cadre des projets terrifiants de la détection de la violence. Ils affirmeront, avec la même force, qu'ils refusent de devenir les auxiliaires d'une police, la police sociale que le Gouvernement veut nous imposer.