Intervention de Jacqueline Alquier

Réunion du 4 mars 2006 à 21h00
Égalité des chances — Article 24

Photo de Jacqueline AlquierJacqueline Alquier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 24 prévoit la mise en place d'un contrat de responsabilité parentale, proposé aux familles par le président du conseil général en cas d'absentéisme scolaire ou de toute autre difficulté manifestant une carence de l'autorité parentale.

Dans la foulée, l'article 25 introduit dans le code de la sécurité sociale la possibilité de suspendre le versement de tout ou partie des prestations familiales.

Et c'est bien cela qu'il s'agit de nous faire voter aujourd'hui : la possibilité de sanctionner les « mauvais » parents, reconnus uniques responsables de l'absentéisme scolaire de leurs enfants ou de leur comportement « incivique ».

Il est vrai qu'il est plus facile de sanctionner que de comprendre et d'apporter des solutions.

Il est vrai que culpabiliser les plus fragiles, déjà stigmatisés par leur précarité, est la réponse privilégiée de l'État aujourd'hui, qui, dans la même logique, propose de sanctionner les chômeurs, de sortir du système scolaire les élèves les plus démunis et de détruire le droit du travail, seule protection des salariés les plus fragiles.

C'est ce que vous voulez nous faire appeler tout au long de ces débats « l'égalité des chances ». Or ici, hélas, l'objectif est de produire non pas une société égalitaire « mais une société dans laquelle chacun peut concourir à égalité dans une compétition visant à occuper des positions inégales », et il s'agit d'une égalité des chances qui « risque de transformer la vie sociale en une sorte de compétition continue dans laquelle chacun serait le concurrent, sinon l'ennemi de tous, afin d'acquérir des positions et des ressources relativement rares » : telle est la démonstration de François Dubet, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, qui montre combien cette formule « l'égalité des chances », correspond aux fondements de la doctrine libérale individualiste et inégalitaire.

Alors, plutôt que de viser l'égalité des chances, essayons déjà d'instaurer plus de justice sociale.

Le contrat de responsabilité parentale nous est présenté avec l'objectif de « responsabiliser les parents défaillants ». Comme si on avait attendu aujourd'hui pour accompagner les familles en difficulté ! Les élus des collectivités locales et des collectivités territoriales ont du mal à entendre cette provocation.

Quelle considération pour tous les travailleurs sociaux qui accompagnent au quotidien un nombre toujours croissant de familles et luttent pour préserver ce qui peut et doit l'être !

On parle ici d'un nouvel outil de l'action éducative en milieu ouvert. Mais pourquoi un nouvel outil quand les moyens alloués à la protection de l'enfance, notamment à la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, sont en baisse constante au profit des établissements pénitentiaires pour mineurs ?

Là encore, il est plus facile de sanctionner que d'accompagner !

Je prendrai un exemple. Dans mon département, le Tarn, le centre d'action éducative de la PJJ, dont la mission est de travailler avec les mineurs et leurs familles, aussi bien au civil qu'au pénal, fonctionne avec des moyens de plus en plus restreints : les personnels à la retraite ne sont pas remplacés ; il n'y a plus d'argent pour prendre en charge les jeunes majeurs ; le nombre de mesures ordonnées est de plus en plus important pour un nombre d'éducateurs en baisse constante.

Ces éducateurs, dévoués et compétents, trouvent inadmissible que l'on sanctionne en quelque sorte leur travail. D'ailleurs, pour le faire savoir, des mouvements de grève sont annoncés en riposte à ce qu'ils perçoivent comme une provocation insupportable.

Vous le savez, à Lavaur, comme par hasard, dans cette petite ville de moins de 10 000 habitants, placée en zone essentiellement rurale, un établissement pénitentiaire pour mineurs ouvrira en 2007, alors que les vrais besoins ne sont pas là. Nous ne sommes pas dans le Tarn dans une zone de grande délinquance, à moins que cet établissement n'accueille ceux qui viennent de plus loin : Toulouse, Bordeaux, Montpellier.

Cet établissement bénéficiera de pléthore d'éducateurs, qui seraient bien plus utiles pour la prévention, pour soutenir les enfants en difficulté sociale, victimes des crises structurelles que connaissent nos bassins en reconversion vivant l'après textile.

Cet article 24 aborde le problème de l'absentéisme scolaire, phénomène particulièrement mis en exergue comme un signe de carence parentale. On le présente surtout comme le symptôme d'un décrochage par découragement, démotivation, donc comme une marque de l'inadaptation de notre système scolaire à l'évolution de notre société. Et alors ?

Le chômage, la précarité, la paupérisation d'une trop grande partie de la population, comme la difficulté pour ces familles de transmettre dans ce contexte un modèle sécurisant, porteur d'espoir pour l'avenir, nécessitent effectivement l'intervention de l'État. Son rôle est de compenser les inégalités, et non de faire porter la responsabilité des problèmes à ceux qui en sont les premières victimes.

Comment être un élève présent et avoir un comportement irréprochable quand, année après année, on se trouve en échec scolaire, passant de classe en classe au bénéfice de l'âge, que l'on est de plus en plus stigmatisé, voire humilié, et sans aucune possibilité de se valoriser ?

Comment s'inscrire positivement dans une institution qui, loin d'intensifier ses efforts pour donner une chance à tous, supprime peu à peu toute forme nouvelle de pédagogie ou d'aide ?

Toute la communauté éducative réclame des psychologues, des assistantes sociales, des surveillants. Or, depuis quatre ans, on supprime ces postes. On réduit les moyens des dispositifs relais qui, pourtant, apportent des réponses.

On a laissé à l'abandon les ZEP alors qu'on sait qu'avec des effectifs réduits à quinze, des enseignants formés et volontaires, des méthodes pédagogiques adaptées, on aurait des résultats.

On supprime des moyens aux associations périscolaires et de quartiers. On a même voulu supprimer le fonds social pour les cantines !

Si je récapitule, les solutions apportées par ce projet de loi sont donc l'apprentissage à quatorze ans et la suspension des allocations familiales à tous les parents dont les enfants manifestent, par leur comportement, leur sentiment d'exclusion.

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