Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dispositif proposé à l’article 34 est qualifié pompeusement de « réforme du contentieux des mesures d’éloignement ».
Au regard des nouvelles mesures introduites et de la complexité croissante du contentieux qui en découle, si le projet de loi est adopté, nous serons devant un régime d’exception applicable aux seuls étrangers, mais cela ne sera pas la première fois !
L’article 34, qui est important, n’atteint pas vraiment le but recherché d’une simplification. Bien au contraire ! Nous sommes loin du temps où Stendhal voulait écrire comme le code civil ! Je doute qu’il prendrait aujourd'hui pour exemple le texte du présent projet de loi.
En multipliant les possibilités – les critères permettant à l’administration de prononcer une obligation de quitter le territoire français sont larges et flous – offertes à l’administration pour éloigner les étrangers – avec ou sans délai de départ volontaire, possibilité d’une interdiction de retour; assignation à résidence, etc. –, le Gouvernement a créé les conditions d’un contentieux complexe, qui, d’ailleurs, mais c’est la règle avec ce gouvernement, n’est pas assorti des moyens budgétaires. J’ai déjà fait remarquer que l’absence de moyens budgétaires nourrit l’arbitraire : sans un nombre suffisant de policiers, le travail est bâclé ; par ailleurs, les droits des étrangers ne s’exercent pas, sans compter toutes les entraves mises au fonctionnement de la justice et les moyens insuffisants dont disposent tant les juges administratifs que les juges judiciaires.
Qu’en sera-t-il pour l’étranger qui ne maîtrise pas la langue française et devra contester toutes ces mesures, en urgence, dans un délai de quarante-huit heures ? Qu’en sera-t-il pour le juge administratif qui pourrait être amené dans certains cas à statuer simultanément sur six décisions administratives ?
Ainsi, dans le cas d’une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, l’étranger disposera de quarante-huit heures pour contester la mesure d’éloignement, alors que le délai sera de trente jours dans le cas d’une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire.
Or, dans le cas d’un délai de quarante-huit heures, l’intéressé peut être amené, en vertu de l’alinéa 6 de l'article 34, à contester dans un même recours non seulement l’obligation de quitter le territoire, mais aussi la décision relative au séjour, la décision refusant un délai de départ volontaire, celle qui mentionne le pays de destination et, le cas échéant, celle qui concerne l’interdiction de retour sur le territoire français, ainsi que le placement en rétention, soit six décisions administratives.
En raison de la complexité de la procédure et de l’extrême brièveté des délais de recours, la plupart des étrangers n’auront pas la possibilité de déposer un recours dans les délais impartis. Et ceux qui y parviendraient n’auront pas la possibilité de respecter les conditions de fond et de forme indiquées, ce qui impliquera un rejet de leur requête.
Cette justice d’exception a été renforcée par un amendement adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale prévoyant la possibilité d’organiser des audiences « foraines », « à proximité immédiate [du] lieu de rétention ou en son sein », pour juger du contentieux administratif.
Après l’extension des zones d’attente à l’ensemble du territoire, des audiences foraines, maintenant, et le spectacle de juridictions tenant audience dans des lieux divers et variés, notamment dans les centres de rétention…
Autrement dit, les étrangers pourront être jugés à part, séparés qu’ils seront des autres justiciables - encore une exception.
De surcroît, c’est un juge unique, et non la formation collégiale du tribunal, qui devient compétente.
Comment l’indépendance des juges peut-elle être assurée lorsque les audiences ont lieu à proximité ou dans l’enceinte d’un centre de rétention sous haute surveillance policière, même si l’on assiste en ce moment à un rapprochement des magistrats et des policiers, victimes, les uns et les autres, des réflexions que vous savez ?
Nous partageons le point de vue des syndicats de magistrats administratifs, pour qui cette mesure est « à la fois injustifiable sur le plan des principes, notamment au regard de la solennité de la justice et de sa nécessaire indépendance vis-à-vis de “l’administration d’accueil”, intenable en pratique compte tenu des temps de déplacement et des délais très contraignants dans lesquels il faudra les effectuer, et dommageable sur le plan de la réflexion du juge, isolé et dont l’accès à ses outils de travail restera plus qu’aléatoire ».
Une fois encore, ce sont les conditions d’une justice bâclée, donc, déplorable.