Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, ce chapitre est un point « dur » du projet de loi.
La médecine du travail – cela a déjà été dit sur les travées de la gauche de l’hémicycle – est trop sérieuse pour que nous nous contentions d’à-peu-près.
Face aux difficultés rencontrées, la proposition que vous nous faites, monsieur le secrétaire d’État, est un pis-aller, je le comprends bien. Cependant, si d’autres réponses ne sont pas apportées, ce pis-aller deviendra structurant dans le temps, nous le savons, et nous assisterons à un accroissement de cette misère de la médecine du travail dont j’ai déjà eu l’occasion de parler ici.
Vous nous dites que la médecine du travail pourra être prise en charge par des médecins non spécialistes. Concrètement, nous pensons que ce seront des médecins généralistes, car nous n’imaginons pas des médecins exerçant en secteur II ou dans le secteur optionnel, des spécialistes, accepter en nombre de faire de la médecine du travail pour le salaire qu’on leur offrira !
Or nous manquons de médecins généralistes. Ce corps est, lui aussi, globalement vieillissant, et de surcroît très féminisé. Dans les grandes villes, certains quartiers, vous le savez, n’ont plus de médecins généralistes. Certaines parties de l’Hexagone sont d’ores et déjà, c’est patent, de véritables déserts médicaux. Nous le déplorons.
Les généralistes ont de très longues journées, je ne vois donc pas comment ils pourraient en plus s’occuper de médecine du travail ! J’ai passé une partie de ma vie à tenter d’organiser des enseignements postuniversitaires pour les médecins généralistes afin de leur permettre de suivre au mieux l’évolution de la technicité et les avancées médicales dans leur spécialité ou dans des spécialités voisines. Où trouveront-ils donc le temps, sauf en sacrifiant leur vie familiale, sur laquelle ils empiètent déjà au maximum, de faire de la médecine du travail ?
En fait, il y a un problème de fond. Nous savons que le corps des médecins du travail compte environ 6 000 médecins et qu’il est vieillissant. Il faut prendre le problème à bras-le-corps et essayer de rendre plus attractif un métier très spécialisé, très complexe, qui demande de grandes compétences, dans un champ qui, scientifiquement, est très vaste.
Revenons sur le cas des mannequins, que nous évoquions tout à l’heure. Il faut savoir que les jeunes femmes, ou les jeunes hommes, d’ailleurs, qui exercent cette profession, risquent un ensemble de pathologies liées à l’anorexie et des décompensations qui peuvent être dépressives, du fait des canons de beauté et des normes strictes qui leur sont imposés. Si les médecins n’ont pas de très sûres connaissances en matière d’hygiène alimentaire, ils risquent de passer à côté de catastrophes potentielles. Je donne cet exemple, mais on pourrait en citer d’autres.
Je le répète : il faut prendre ce problème à bras-le-corps et rendre financièrement plus attractive cette filière professionnelle, ne serait-ce que pour modifier la perception qu’en ont les membres du corps médical eux-mêmes, qui voient souvent dans la médecine du travail la spécialité des derniers de la classe qui ne l’exerceraient que faute d’avoir pu faire autre chose.
Se pose également un problème d’organisation globale. Dans la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, on l’a vu, le volet « santé » a été escamoté. On nous a renvoyés à une loi de santé publique qui viendra peut-être un jour, du moins je l’espère. Mais quid des agences régionales de santé mises en place par la loi ? Peut-être pourraient-elles tenir compte de cette dimension du problème dans la réorganisation territoriale des politiques de santé ?
Et puisque, dans les rapports qui lui sont consacrés, on lit que le Service de santé des armées, qui emploie beaucoup de monde, coûterait très cher pour un service, en fin de compte, assez modeste, pourquoi ne pas intégrer dans la médecine du travail les médecins extrêmement pointus qu’il compte ?
Il faut repenser l’ensemble de cette question et non pas proposer un simple pis-aller, cette petite formation que les généralistes n’auront de toute façon pas le temps de suivre. Pourquoi ne pas saisir la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat ou de l’Assemblée nationale afin qu’elle nous remette un rapport sur cette question et nous soumette des propositions ? Car des solutions sont possibles.
Peut-être faudra-t-il investir un peu d’argent, je le concède