Intervention de Claude Lise

Réunion du 18 octobre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Article 27 ter AG

Photo de Claude LiseClaude Lise :

Je veux saisir l’occasion de l’examen de cet article pour attirer l’attention sur un problème concernant les travailleurs agricoles du secteur de la banane aux Antilles. Ces travailleurs ont été pour la plupart exposés pendant de nombreuses années aux effets toxiques de pesticides, tout particulièrement le chlordécone, pesticide largement utilisé pour le traitement des bananiers contre le charançon.

Dès 1968, la Commission d’étude de la toxicité des produits pharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture, avait préconisé l’interdiction de ce polluant organique extrêmement rémanent et particulièrement toxique. Au milieu des années soixante-dix, des employés d’une usine de production aux États-Unis avaient été victimes de graves troubles neurologiques. En 1979, le Centre international de recherche sur le cancer avait déclaré le chlordécone cancérigène pour l’homme.

Cependant, par des homologations ministérielles et des moyens détournés, le chlordécone a continué à être utilisé à la Martinique et à la Guadeloupe jusqu’en 1993, alors même qu’il était interdit dans l’Hexagone depuis 1990 ! Mal informés, dotés – quand ils l’étaient – d’équipements de protection impossibles à porter sous la chaleur tropicale, les salariés, tout comme les petits producteurs, ont souvent utilisé cet insecticide dans les pires conditions : sans gants, sans combinaison, sans masque.

Or, on observe de plus en plus une fréquence particulière d’affections cancéreuses chez ces personnes. Un rapport, paru l’année dernière, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les impacts de l’utilisation du chlordécone relève une surincidence de myélomes multiples chez l’homme dans la zone bananière du Nord Atlantique de la Martinique. Il évoque l’hypothèse d’une relation entre ces cancers et une exposition prolongée au chlordécone.

Une étude de l’INSERM sur le risque de fertilité masculine avait déjà montré, en 2004, que l’exposition professionnelle et l’ancienneté à ce produit favorisaient la présence de chlordécone dans le sang. En réalité, nous ne connaissons pas encore toute l’étendue des conséquences sanitaires de cette exposition professionnelle, dont les effets sont d’ailleurs difficilement séparables d’usage d’autres pesticides, passés et présents.

Certains scientifiques considèrent que le chlordécone pourrait être un facteur causal du cancer de la prostate, cancer dont la fréquence est particulièrement élevée aux Antilles. Il s’agit là d’un problème d’autant plus aigu que ces travailleurs agricoles percevront pour la plupart une retraite très faible, inférieure au minimum vieillesse et, en conséquence, risquent de ne pas être à même de suivre les parcours de soins adéquats.

Pourtant, ils ont souvent commencé à travailler très jeunes. Mais ils risquent d’avoir des retraites modestes, du fait de l’absence d’affiliation obligatoire à un régime de retraite complémentaire pour les salariés agricoles, de l’inexistence d’un tel régime pour les exploitants agricoles, de l’absence de mutualité sociale agricole, de la faiblesse ou de l’absence de cotisations versées au régime général.

C’est pourquoi il me semble nécessaire que le Gouvernement puisse présenter un rapport sur ce problème. Ce rapport aurait pour objet de faire le point sur l’état de la recherche médicale et de prévoir la mise en place, pour les travailleurs ayant été exposés au chlordécone, d’un système adapté à leur situation particulière.

Celui-ci pourrait s’inspirer des travailleurs de l’amiante, en prévoyant, par exemple, une allocation anticipée de retraite. Il paraît souhaitable qu’un tel rapport soit présenté avant la fin de juin 2011. Car, il faut en avoir bien conscience, il s’agit là de milliers de travailleurs antillais, mais aussi de petits exploitants agricoles, qui, après avoir été longuement exposés à une substance dont on connaissait pourtant la haute toxicité et que l’État a autorisée chez nous pendant plusieurs années, qui ne voudraient pas être les oubliés de l’actuel débat sur les retraites.

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