Créer un dispositif d’allégement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles et le faire en instaurant un fonds au sein des branches concernées, c’est reconnaître implicitement que la pénibilité pose la question des conditions de travail et impacte donc directement la responsabilité de l’employeur, une responsabilité dont celui-ci peut se tirer à bon compte.
Le dispositif d’allégement permet au salarié un passage à temps partiel ou l’exercice d’un tutorat, assorti d’une indemnité complémentaire définie par l’accord. Or rien ne dit que cette indemnité couvrira la différence avec le salaire à temps plein.
Le fait que le salarié doive être volontaire afin que l’accord puisse être passé n’offre pas de garantie suffisante. Il est probable que l’état d’usure du salarié le rendra tributaire de la seule proposition du patron.
Ce type de situation, que nous avons dénoncé à de nombreuses reprises, n’est jamais une avancée pour le salarié. Dans le cadre profondément inégalitaire qui définit les rapports entre patron et employé, l’accord de gré à gré entérine le déséquilibre relationnel et permet le plus souvent de résoudre les problèmes de l’employeur, pas celui du salarié.
Le mécanisme de compensation n’est pas plus convaincant. Il peut se traduire, soit par le versement d’une prime, soit par l’attribution de journées supplémentaires de repos ou de congés, qui pourront être placées sur un compte épargne-temps.
Le risque est grand de voir ces salariés, souvent mal payés, faire le choix de la prime au détriment de leur santé ou stocker des jours de repos pour permettre un départ anticipé, alors que le risque auquel ils sont exposés nécessiterait plutôt que les temps de récupération soient pris tout au long de l’année.
Le fonds dédié à la prise en charge de ces dispositifs expérimentaux a fait l’objet d’une rude bataille entre les branches « accidentogènes », comme le bâtiment ou la chimie, et les autres branches, telles que les banques, par exemple. Celles qui sont accusées de casser les salariés auraient souhaité mutualiser les risques entre les différentes branches, ce qui aurait été un bon moyen de ne rien changer à leurs pratiques tout en diluant leurs responsabilités.
Ce n’est pas ce qui a été prévu, au grand dam de la fédération du bâtiment. Reste que, pour certains, le Gouvernement sait offrir une deuxième chance. La puissante fédération du bâtiment a donc su récupérer d’une main ce qu’elle abandonnait de l’autre.
Le Gouvernement a en effet ajouté à cet article, tiré d’un amendement introduit à l’Assemblée nationale par Pierre Méhaignerie, une rédaction de son cru. Il a ainsi créé auprès de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés un fonds national de soutien relatif à la pénibilité, destiné à contribuer aux actions mises en œuvre par les entreprises couvertes par un accord collectif de branche créant un dispositif d’allégement ou de compensation.
Quelles recettes pour un tel fonds ? On imagine que, pour inciter les entreprises à prendre en considération la santé de leurs salariés, celles-ci devraient assumer la charge des dégâts qu’elles créeraient. Eh bien non, l’État versera une subvention pour alimenter ce fonds, et ce sont les recettes de la branche accidents du travail et maladies professionnelles qui serviront de complément !
Pour les employeurs des branches « accidentogènes », c’est réussir à faire payer par l’ensemble des salariés la casse physique de leurs employés, et ce avec la complicité de l’État. Mieux encore, ils récupéreront une partie de l’argent versé à la branche AT-MP sous forme de subvention afin que le coût de la pénibilité leur soit le plus léger possible.
Le principe pollueur-payeur, dont on a critiqué la tendance à se transformer en droit à polluer, n’est même pas appliqué ici. Non seulement le droit de casser les salariés est reconnu, mais tout est fait pour que la responsabilité de l’employeur soit diluée et que l’addition soit édulcorée.
Voilà pourquoi le groupe socialiste ne votera pas un tel article.