Intervention de Charles Revet

Réunion du 12 octobre 2011 à 14h30
Débat sur la réforme portuaire

Photo de Charles RevetCharles Revet :

Un accord-cadre avait été conclu en octobre 2008, et il devait être décliné port par port pour régler les conventions de détachement de chaque salarié. Toutefois, les négociations ont été très tendues, à cause du doute sur la participation financière de l’État au dispositif et de la réforme des retraites qui s’est déroulée en parallèle.

Finalement, la nouvelle convention collective unifiée, les accords de pénibilité et les accords locaux de détachement ont été signés le même jour, le 15 avril 2011. Aujourd’hui, sur les 1 000 personnes concernées par cette évolution, environ 900 ont été effectivement transférées vers des entreprises privées, les autres ayant bénéficié du dispositif de cessation anticipée d’activité.

La loi votée il y a trois ans n’est donc effective que depuis juin dernier seulement. À l’évidence, il faudra des mois, voire des années, pour en ressentir tous les bienfaits. Pour autant, doit-on considérer que cette loi, aussi importante soit-elle, suffira à relancer nos ports ? Peut-on encore attendre, alors que nous avons déjà accumulé tant de retard ? Non, car les causes du déclin des ports français que nous avions identifiées en 2008 restent malheureusement d’actualité. Il n’existe pas une unique raison au déclin de nos ports, mais au moins quatre.

Premièrement, l’État stratège est faible. Le groupe de travail lui fait cinq reproches : il n’a pas mis en œuvre une politique ambitieuse d’investissements portuaires ; il s’est désengagé de ses obligations financières pour l’entretien des accès maritimes des ports ; il n’a pas allégé sa tutelle depuis 2008 ; il n’a toujours pas défini sa politique de dividendes ; surtout, il a failli dans l’organisation des dessertes des ports pour irriguer efficacement l’hinterland de ces derniers.

Deuxièmement, nos ports manquent de fiabilité. Ce problème est bien connu et ne doit pas être occulté, même s’il a concerné essentiellement les portiqueurs et les grutiers, et peu les dockers.

Troisièmement, les ports manquent d’ancrage sur les territoires. La nouvelle gouvernance était censée donner plus d’autonomie de décision. Manifestement, il n’en est rien et aucun projet important ne peut être engagé sans l’aval de l’État. Le statut des ports a changé, mais leur fonctionnement reste très sensiblement ce qu’il était avant la réforme.

Quatrièmement et enfin, la concurrence est faussée sur les places portuaires. Cette situation est peu connue de l’opinion publique, mais l’Autorité de la concurrence a récemment condamné des entreprises de manutention portuaire et des autorités portuaires pour entorse à la libre concurrence. Du reste, la Commission européenne vient d’ouvrir une enquête sur de possibles ententes illicites entre armateurs européens, dans sept pays de l’Union.

Comme vous le voyez, mes chers collègues, les causes du déclin des ports sont nombreuses. Les forces d’inertie existent à tous les niveaux, et il revient au pouvoir politique de prendre des mesures volontaristes pour relancer les ports.

C’est pourquoi le groupe de travail s’est rendu à l’étranger pour prendre le pouls de la compétition internationale. Nous en avons tiré trois grands enseignements.

Premier enseignement, les autorités portuaires ont adopté une gouvernance entrepreneuriale, placée sous le contrôle des pouvoirs locaux plutôt que nationaux, même lorsque, comme en Espagne, l’État est propriétaire des ports.

Deuxième enseignement, l’heure est aux investissements à grande échelle et à l’aménagement du territoire au service d’une économie maritime forte. Pour ne prendre qu’un exemple, les investissements à Rotterdam s’élèvent à 3 milliards d’euros pour le projet Maasvlakte 2, qui consiste à gagner vingt kilomètres carrés sur la mer.

Troisième enseignement, les ports concurrents offrent des services complets et intégrés, du transbordement à la desserte rapide vers l’arrière-pays, avec des équipes commerciales particulièrement importantes et sans commune mesure avec celles de nos grands ports maritimes.

J’en viens maintenant aux quinze propositions du groupe de travail, qui s’articulent selon quatre grands axes.

Le premier consiste à élaborer pour nos ports une stratégie nationale, qui s’inspire de ce qui a manifestement fait la réussite des ports étrangers visités par nous, les deux mots maîtres étant « proximité » et « autonomie ».

Malgré l’engagement des hommes et des femmes que nous avons pu rencontrer dans les ports français, force est de constater que la lourdeur des processus de décision administrative bloque le développement de ces derniers ; j’insiste beaucoup sur ce point.

Nous proposons donc de décentraliser les ports grâce à une réforme à deux étages.

Le premier étage est la poursuite et l’extension aux grands ports maritimes du mouvement de décentralisation des ports amorcé par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Cette décentralisation s’opérerait au cas par cas, de manière pragmatique, et sans idéologie car elle ferait l’objet d’une concertation.

Il nous faut repenser le système de gouvernance. Bien entendu, l’État doit conserver une mission essentielle, mais il est indispensable de donner une place plus importante aux acteurs locaux, qu’il s’agisse des collectivités ou des organismes économiques. Ceux-ci sont en effet directement concernés, au titre tant de l’aménagement du territoire que du développement économique et de l’emploi qui en découle. La nouvelle entité portuaire gestionnaire devrait avoir pleine compétence pour la stratégie de développement, la maîtrise d’ouvrage des travaux et le financement. C’est ce qui a été mis en place en Espagne, où les ports sont propriété de l’État mais fonctionnent de manière décentralisée.

L’État conserverait la mission de police portuaire, mais aussi celle de coordination entre les ports. La compensation financière de l’État serait garantie, tant pour le volet fonctionnement que pour le volet investissement, et indexée sur la dotation globale de décentralisation.

Le second étage du changement de gouvernance consiste à créer des conseils de coordination portuaire élargis et aux pouvoirs renforcés, dont relèveraient les grands ports maritimes décentralisés, les ports fluviaux pertinents, mais aussi les ports secondaires, ce qui constituerait une nouveauté par rapport au droit en vigueur. La mission de ces conseils élargis serait double : fixer les grandes orientations stratégiques portuaires et coordonner les investissements entre les ports. L’État aurait sa place dans les grands ports décentralisés et dans les conseils de coordination élargis, mais il ne détiendrait plus la majorité des voix.

Nous proposons également d’encourager les investissements portuaires en créant des sociétés de développement local, afin que les collectivités territoriales tirent un avantage financier de leur participation au projet des ports. En effet, ces participations se font aujourd’hui à fonds perdus, pour ainsi dire, sous forme de subventions publiques, ce qui n’incite pas les collectivités territoriales à s’intéresser au développement des ports.

Par ailleurs, il convient d’élaborer une stratégie nationale de coordination portuaire qui soit cohérente avec le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT. L’Allemagne a ainsi, en 2008, établi une « feuille de route » et fixé des objectifs clairs à ses ports ; nous devons suivre cet exemple.

Le deuxième axe vise à donner à l’État un rôle de coordonnateur et de facilitateur.

Concrètement, les ports doivent avoir la maîtrise de leur politique foncière grâce à des schémas d’aménagement stratégique qui accordent au développement économique des ports le même degré de priorité qu’à la protection de la biodiversité. S’il nous faut bien sûr préserver les zones sensibles au regard de la faune et de la flore qu’elles abritent ou du caractère exceptionnel d’un site, nous devons également déterminer les espaces appropriés et indispensables au développement économique.

Sans doute est-il déjà possible, même sur un site protégé, de réaliser des projets de développement économique. Toutefois, la lourdeur des procédures qu’implique ce classement retarde souvent de plusieurs années la finalisation des projets, ce qui constitue un handicap majeur face à la concurrence à laquelle nos ports sont confrontés.

Il est urgent d’établir, pour l’ensemble des axes relevant du développement de nos grands ports maritimes, des schémas globaux, avec, en parallèle, un classement des espaces concernés. Nous disposons aujourd’hui de tous les éléments pour mener à bien ces opérations dans des délais contraints. Cela est plus qu’urgent, compte tenu du retard que nous avons accumulé par rapport à nos concurrents étrangers. Nous ne sommes plus à l’heure des études ou des colloques, mais à celle de l’action concrète. Il nous faut fixer des objectifs ambitieux, à l’image de ceux des autres ports européens, et nous donner les moyens de nos ambitions.

Nous souhaitons également que le recours aux procédures dérogatoires soit encouragé pour réaliser les projets des ports, de Réseau ferré de France et de Voies navigables de France. Je pense notamment à la procédure des projets d’intérêt général, qui a été retenue dans le cadre de la loi relative au Grand Paris.

Il est en outre nécessaire, monsieur le ministre, de modifier rapidement la réglementation des affaires maritimes, afin de permettre la desserte de Port 2000 par des barges fluviales. Nos règles sont trop complexes, plus sévères que celles qui s’appliquent en Belgique, et elles pénalisent notre transport fluvial.

Attribuer à l’État ce rôle de coordonnateur et de facilitateur implique de poursuivre la modernisation des services douaniers, en particulier en termes de communication. D’importants efforts ont été réalisés depuis 2007, notamment en matière de régime de la TVA à l’import. Cependant, ces efforts, qui doivent être approfondis, sont méconnus des entreprises, tant et si bien que l’OCDE recommande, dans un rapport récent consacré à la compétitivité des ports français, de « résoudre les obstacles à une échelle nationale, comme pour la perception de la TVA aux frontières qui pénalise les ports français par rapport aux ports belges et néerlandais ». Depuis 2004, les services douaniers ont pris des mesures qui vont dans le bon sens, mais elles ne sont pas suffisamment connues de nos entreprises.

Le développement des entreprises de manutention et des zones logistiques doit également être encouragé, notamment par la création de zones franches douanières. Pour l’heure, il n’en existe qu’une seule dans notre pays, située à Bordeaux, or l’instauration de telles zones est très positive pour l’attractivité de nos ports. Je rappelle que les grands ports maritimes représentent aujourd’hui 225 000 emplois directs, indirects et induits, et que, si l’on réussissait à doubler le nombre de conteneurs traités en France – nous demeurerions alors très loin de ce qui se fait à l’étranger –, on créerait environ 30 000 emplois. Bien entendu, avec davantage d’ambition, nous pourrions espérer beaucoup plus.

Le troisième axe de réflexion du groupe de travail porte sur la nécessité de garantir une desserte de qualité de l’arrière-pays des ports par le fer, le fleuve et la route. C’est en effet actuellement l’un des gros points faibles de nos ports, alors même que, selon un adage bien connu, « la bataille de la mer se joue à terre ».

La mise en place d’une desserte de qualité passe par une meilleure représentation des opérateurs de transport ferroviaire, fluvial et routier dans les conseils de surveillance des ports, afin de favoriser le transport ferroviaire et fluvial et de mieux coordonner les investissements. Il faut à tout prix éviter de répéter « l’erreur historique » de Port 2000, projet qui a été conçu sans que soient pris en compte, en parallèle, les transports fluvial et ferroviaire. Ainsi, lorsque la première tranche de Port 2000 a été inaugurée par M. Perben, aucun train ni aucune barge ne pouvait y accéder directement. Pourtant, selon les techniciens, des aménagements simples et peu coûteux, tels que la création d’une chatière, permettraient un accès direct des barges au port toute l’année et par tout temps.

L’amélioration de la desserte de l’arrière-pays des ports passe aussi par une réforme radicale de la gestion des sillons ferroviaires, par la création systématique, dans chaque port, d’opérateurs ferroviaires de proximité, et par la mise en place rapide des corridors de fret ferroviaire européens, comme l’impose un règlement européen de septembre 2010.

Quant au transport fluvial, son renouveau implique d’autoriser la navigation en permanence sur le réseau magistral, notamment sur la Seine, et d’imposer un tarif unique pour les manutentionnaires portuaires, quel que soit le mode d’acheminement retenu pour les marchandises. Cette mutualisation des prix est en vigueur dans le nord de l’Europe, où elle rencontre un grand succès. Encore faut-il que les nouveaux contrats proposés par les ports avec les armateurs comprennent de telles clauses incitatives…

Il faut en outre encourager le développement des ports secondaires et des ports fluviaux, par une harmonisation fiscale et une réforme de la gouvernance et de la manutention, car ces ports sont indispensables pour relayer le développement des locomotives que sont les grands ports.

Le quatrième et dernier axe de nos réflexions a trait à l’amélioration du fonctionnement des ports.

Il faut créer dans chaque port une équipe de promotion commerciale dédiée à l’international et mieux anticiper les investissements futurs. À cet égard, je ne peux que regretter le retard pris par le Gouvernement dans l’élaboration du rapport sur les nouvelles installations portuaires en vallée de Seine que j’avais demandé lors de l’examen du projet de loi relatif au Grand Paris ; monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous nous éclairer sur ce point.

Il convient également de garantir une saine et loyale concurrence dans les ports, notamment ultramarins, par exemple en créant une entreprise privée à capitaux publics spécialisée dans la manutention des conteneurs et qui ne soit pas affiliée à un armateur en particulier. La concentration dans le domaine du transport maritime, qui conduit à ce que des opérateurs maîtrisent, au travers de filiales, les opérations de manutention, peut aboutir à dissuader certains armateurs de choisir nos ports pour faire accoster leurs navires. Là aussi, l’organisation mise en place dans certains ports étrangers mérite que l’on s’en inspire ; je pense notamment à HHLA pour le port de Hambourg.

Monsieur le ministre, la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire a été une avancée incontestable, mais son application a montré ses limites. Tous, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, nous ne pouvons que constater l’immense retard pris par nos grands ports maritimes sur leurs concurrents étrangers. Il est inacceptable, je le répète, que nous soyons aujourd’hui les derniers, et de loin, alors que nous disposons du meilleur positionnement géographique, et donc stratégique, tant au nord qu’au sud de l’Europe. Il nous revient de savoir développer ces atouts en remédiant par la loi aux insuffisances ou aux incohérences que nous avons constatées.

Il y a urgence, car les autres grands ports investissent afin d’être prêts pour le redémarrage économique qui interviendra à un moment ou à un autre. Les grands opérateurs se positionnent en fonction des conditions d’accueil qui leur sont proposées. Dans cette perspective, nous devons apporter une réponse qui les incite à choisir les ports français, s'agissant tant du fonctionnement que des moyens disponibles pour l’acheminement. C’est dans cet esprit que nous avons rédigé notre rapport ; c’est dans cet esprit que nous avons élaboré les suggestions qui nous paraissent indispensables en vue d’engager la relance de nos ports.

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