Intervention de Philippe Leroy

Réunion du 12 octobre 2011 à 14h30
Débat sur la couverture numérique du territoire

Photo de Philippe LeroyPhilippe Leroy :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, président de conseil général pendant près de vingt ans, sénateur depuis dix ans, je m’exprimerai devant vous en homme de terrain.

Les résultats relativement satisfaisants que nous avons obtenus dans la couverture numérique de notre pays, nous les devons aux collectivités locales, qui ont pu « s’introduire » dans le modèle économique initialement retenu, et ce grâce au fameux article L. 1425–1 du code général de collectivités territoriales, inséré de manière quelque peu informelle par l’excellente loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, dont Bruno Sido et Pierre Hérisson étaient les rapporteurs au Sénat. Jean-François Le Grand et moi-même avions alors bataillé pour faire adopter des amendements visant à autoriser les collectivités locales à prendre part au grand bal des opérateurs.

De fait, le modèle économique que nous avons créé en 2004 n’est pas seulement fondé sur les initiatives privées ; il l’est aussi sur les initiatives publiques à travers les réseaux d’initiative publique. Depuis cette date, les collectivités locales ont investi au bas mot 3 milliards d’euros. Ce n’est pas rien ! Grâce à leur action, la situation du haut débit dans notre pays, si elle n’est pas brillante, n’en est pas pour autant catastrophique.

Il est bon de rappeler quelques postulats.

Grâce à l’expérience que nous avons acquise, nous sommes tous d’accord pour considérer que tous les territoires, quels qu’ils soient, doivent bénéficier du très haut débit, en privilégiant la technologie de la fibre optique, comme on a privilégié celle du cuivre dans le passé, avec des points de mutualisation plus ou moins proches de l’abonné.

Le coût exorbitant des investissements nécessaires au déploiement du très haut débit ne doit pas être un prétexte pour laisser à l’écart certaines zones rurales ou certains départements. Cet argument n’est pas recevable. Ce serait trahir leurs habitants que de laisser ces zones en déshérence, avec des systèmes intermédiaires. Je le répète, nous devons déployer le plus rapidement possible la fibre optique, avec éventuellement des points de mutualisation.

L’expérience montre aussi que, sans l’apport des infrastructures et des réseaux exploités par les collectivités locales, les opérateurs privés ne réussiront pas seuls à satisfaire nos ambitions en la matière.

Pendant dix ans, j’ai participé avec enthousiasme à la conquête de ce nouvel eldorado que sont les nouvelles technologies. Or toute conquête d’un eldorado est dangereuse ; nous naviguons en terre largement inconnue, nous maîtrisons encore mal ces technologies et leur environnement juridique demeure incertain. En réalité, l’État a toujours eu tendance à se tenir quelque peu à l’écart de ce western, préférant généralement laisser au shérif ARCEP – quelquefois un peu solitaire – la responsabilité d’assurer la cohésion du système et de veiller au respect de la concurrence. Toujours est-il que notre richesse de demain dépendra de notre capacité à maîtriser ces nouvelles technologies.

La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dont notre collègue Élisabeth Lamure était corapporteur, reprenant une proposition de loi que j’avais déposée avec plus de soixante-dix de mes collègues, a étendu le champ de l’article L. 1425–1 du code général des collectivités territoriales. Ce fut un nouveau progrès.

La loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, issue d’une proposition de loi de Xavier Pintat et dont Bruno Retailleau était le rapporteur, a créé les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique et le Fonds d’aménagement numérique des territoires, contribuant à transformer un modèle économique entièrement privé initialement en un modèle mixte.

Depuis lors, le Gouvernement a mis en place le programme national « très haut débit », qui donne de bons résultats. En outre, la publication de l’excellent rapport de notre collègue Hervé Maurey devrait assez rapidement déboucher sur une proposition de loi afin d’améliorer la situation actuelle. Comme on peut le constater, le paysage est sans cesse mouvant.

Cet été, j’ai présenté à Aurillac un mémorandum rédigé par sept collectivités locales de droite et de gauche. Ce mémorandum, que j’ai adressé aux membres de la commission de l’économie, tout comme le rapport de notre collègue Maurey ou les travaux de l’AVICCA, l’association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel, doivent nous conduire à préparer un nouvel outil.

Monsieur le ministre, je partage l’inquiétude manifestée par certains des intervenants qui m’ont précédé. Nous redoutons ce que j’appelle une « vitrification » du territoire, c’est-à-dire un développement rapide de ces nouvelles technologies sur les territoires les plus densément peuplés et un abandon des zones moins rentables. Nous craignons d’assister à une sorte de « Yalta » des télécommunications, qui séparerait les territoires dévolus à l’initiative privée et ceux qui seraient laissés aux réseaux d’initiative publique.

Si l’on ne veut pas en arriver là, évitons de faire peser des contraintes exagérées sur les réseaux d’initiative publique et plaçons les opérateurs privés sous liberté surveillée. Le législateur doit donc rapidement moraliser ce secteur. Comme l’ont suggéré plusieurs intervenants, notamment M. Maurey, il convient de légiférer rapidement sur quelques points précis. Ainsi, il faudra doter les réseaux d’initiative publique de statuts qui leur permettent d’intervenir partout. Ils peuvent déjà le faire, mais avec des contraintes financières quelquefois lourdes. Il faudra aussi réfléchir au statut des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique.

Le bon fonctionnement du modèle mixte public-privé que nous avons choisi suppose une concurrence loyale et un suivi accentué de l’État, qui ne doit pas laisser à la seule ARCEP le pouvoir d’effectuer les choix techniques. Si nous légiférons dans ce sens, nous pourrons, à brève échéance, réaliser de larges progrès.

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