Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur l’accès au très haut débit dans les territoires ruraux, en particulier les plus handicapés d’entre eux : les territoires de montagne.
La semaine dernière s’est tenu à Bonneville le congrès annuel de l’Association nationale des élus de montagne, l’ANEM, qui a débattu de la couverture numérique du territoire.
Avant de revenir sur la motion qui y a été adoptée et ses suites, je souhaite présenter un exemple concret des difficultés et des inquiétudes qui caractérisent ces territoires, lesquels espèrent le très haut débit en attendant encore souvent le simple haut débit. Vous me permettrez de prendre en exemple des territoires que je connais bien : la Corrèze et la région Limousin.
Le déploiement du très haut débit y est suivi par un syndicat mixte appelé DORSAL – pour développement de l’offre régionale de services et de l’aménagement des télécommunications en Limousin –, qui est cosignataire de l’appel des Sept, publié en septembre 2011 et intitulé Très haut débit : le marché ne peut pas tout ! et dont d’autres représentants peuvent intervenir dans ce débat.
Le syndicat mixte DORSAL réunit les principales collectivités du Limousin ayant décidé de prendre en charge, ensemble, l’aménagement numérique de la région Limousin en mutualisant leurs moyens pour la mise en place d’une infrastructure haut débit.
Ce syndicat est né d’un premier constat de carence de l’initiative privée à la fin des années quatre-vingt-dix et témoigne par son existence même des problèmes que pose une telle approche pour des territoires caractéristiques de la moyenne montagne comme ceux de la région Limousin.
Les modalités du programme national « très haut débit » préparées par l’État et confirmées par M. le Premier ministre le 16 août dernier ont, vous le savez, suscité une très vive inquiétude. En effet, selon les dispositions actuelles, le programme national « très haut débit » ne permet pas aux collectivités territoriales de jouer un rôle suffisant et il risque de soumettre l’aménagement numérique de nos territoires au bon vouloir des opérateurs privés, en matière tant de zones couvertes que de délais de déploiement.
Ce constat renvoie le Limousin plus de dix ans en arrière, à la situation qui a motivé la création de DORSAL et la réalisation d’une boucle haut débit sur les trois départements qui, à ce jour, couvrent quasiment la totalité de la population de notre région.
Ainsi, en Limousin, à ce jour, les premières déclarations d’intention d’investissement des opérateurs privés excluent 659 communes sur 747 – soit 80 % du territoire régional – de tout accès à la fibre optique, technologie indispensable à la montée en débit. Ce constat corrobore les observations du récent rapport de l’ARCEP selon lesquelles les opérateurs privés sont peu enclins à déployer le très haut débit dans les zones rurales considérées comme non rentables.
De plus, en ce qui concerne le calendrier, même pour les agglomérations de Limoges et Brive, pourtant classées comme prioritaires par les opérateurs privés, le déploiement total aboutirait au mieux vers 2020, c’est-à-dire bien tardivement dans la compétition actuelle entre territoires.
Le président de DORSAL, avec qui je me suis entretenu récemment, fait valoir que le programme national « très haut débit » déstabiliserait l’économie actuelle du réseau d’initiative publique de DORSAL, en le privant d’une partie importante de ses revenus. En effet, le PNTHD autoriserait les opérateurs privés à construire un réseau de fibre optique sur les zones denses les plus rentables, en excluant toute aide de l’État aux collectivités qui voudraient intervenir dans ces mêmes zones. En Limousin, il s’agit des agglomérations de Limoges, Brive, Tulle et Guéret. Or c’est la péréquation entre zones denses et moins denses, essentiellement rurales et montagneuses, qui assure l’équilibre économique du réseau d’initiative privée de DORSAL et permet de fournir une solution d’accès à l’internet haut débit pour chaque habitant. Sans les revenus tirés des zones densément peuplées, DORSAL aura besoin de participations renforcées des collectivités membres. Autrement dit, si les collectivités sont privées d’intervention dans les zones classées AMII, dans lesquelles les opérateurs ont manifesté leurs intentions d’investissement – et on le sait, entre les intentions et la réalisation, de l’eau peut couler sous les ponts – comme le prévoit le programme national « très haut débit », qui donne la priorité absolue aux opérateurs privés sur ces zones, alors l’équilibre économique des réseaux d’initiative publique fondé sur une péréquation entre zones denses et non denses est mis à mal.
Alors que DORSAL ambitionne de faire évoluer ses réseaux publics vers le très haut débit par la fibre optique, le programme national « très haut débit » l’interdit aux collectivités sur les zones classées AMII.
De plus, devant les besoins de montée en débit à venir, qui sont de plus en plus urgents, les collectivités du Limousin ne pourront qu’être appelées à intervenir pour prémunir 80 % du territoire régional de cette nouvelle fracture numérique, bien pire que celle à laquelle DORSAL a eu à faire face initialement. Or sans péréquation dans le cadre d’un projet intégré d’aménagement à l’échelle de la région, associant territoires ruraux et urbains et pouvant, de surcroît, s’appuyer sur l’infrastructure déjà existante de DORSAL, les conditions de l’intervention des collectivités risquent malheureusement de se révéler très coûteuses.
Ainsi, nous craignons que le Fonds d’aménagement numérique des territoires, qui n’est pas encore doté de ressources pérennes par l’État, ne soit pas en mesure de pallier de manière significative les difficultés prévisibles de financement.
Cet exemple illustre parfaitement la motion de l’ANEM, votée à l’unanimité le 7 octobre dernier, par laquelle les élus de montagne demandent l’abondement immédiat, progressif et étalé sur dix ans du Fonds d’aménagement numérique des territoires, estimant que la charge financière du déploiement du très haut débit dans les zones les moins denses et à faible densité démographique ne peut être supportée uniquement par les collectivités territoriales.