Intervention de Georges Othily

Réunion du 22 novembre 2007 à 15h00
Loi de finances pour 2008 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Georges OthilyGeorges Othily :

À bord de nouveaux titans des mers pouvant transporter plus de 15 000 conteneurs, ces biens de consommation, essentiels pour l'équilibre de notre économie, bravent de nombreux dangers : les détroits indonésiens fréquentés par des pirates, celui de Bab el-Mandeb où les terroristes sévissent autour des îles Hanish, convoitées par les pays riverains, les canaux de Suez et de Panama, gérés par des pays soucieux de leur souveraineté et de leur produit intérieur brut, avant de se présenter devant le Pas-de-Calais où l'intensité du trafic augmente les risques de catastrophes maritimes.

Quant aux pétroliers et aux méthaniers, avant d'emprunter cette route, ils ont également bravé les eaux dangereuses du détroit d'Ormuz : les détroits voient passer 62 % du trafic pétrolier. Chacune de ces menaces représente un risque important pour notre économie. Alors que le prix du pétrole ne cesse d'augmenter à chaque fois qu'une rumeur, une analyse défavorable ou un début de menace de pénurie se précise, nous ne pouvons ignorer cette réalité.

Des flux ininterrompus de navires marchands franchissent le détroit du Pas-de-Calais pour décharger leurs marchandises dans les ports européens, belges et néerlandais pour les plus importants. Ces flux abritent des trafics comme celui des stupéfiants ou encore celui de l'immigration clandestine. Le trafic permet tous les trafics !

Ces flux croissants augmentent aussi les risques d'accidents et de pollution. La lutte pour la protection de l'environnement est devenue une priorité nationale et européenne autant qu'un enjeu mondial.

L'action de l'État dans ces différents domaines, dont certains revêtent une importance capitale ou peuvent nous apporter un véritable avantage stratégique et économique, suppose la volonté d'acquérir un degré suffisant de maîtrise des espaces maritimes utiles.

Cela passe par le maintien d'une activité de défense pour assurer la protection des citoyens et la préservation de la paix au-delà du continent européen : nous devons nous donner les moyens de respecter nos engagements internationaux.

Mais il s'agit, plus largement, de se doter des moyens suffisants pour remédier aux vulnérabilités de la France et de l'Europe.

Les préoccupations sécuritaires de nos concitoyens sont devenues une priorité. Elles concernent leur bien-être, notion qui recouvre leurs modes de vie et de consommation, le développement de leurs activités économiques, industrielles voire culturelles, autant que leur sécurité physique. Considérée en termes de moyens et d'étendue des zones à contrôler, la maîtrise des mers n'est pas réellement à la portée d'un pays isolé mais doit se concevoir au sein de groupes de pays et dans des coalitions, auxquelles la France peut apporter son savoir-faire.

Indépendamment des moyens qui doivent lui être consacrés, une meilleure maîtrise de l'espace maritime exige avant tout de répondre à la contradiction entre deux problématiques : d'une part, le principe de liberté des mers, qui nécessite une sécurisation accrue du transport maritime dans tous ses aspects, et, d'autre part, les difficultés d'organisation au sein de l'espace européen. Le développement de la sécurité maritime s'élabore dans un paysage évolutif et mouvant.

Les marines militaires s'équipent, élargissent ou consolident le champ d'une capacité fondamentale de sécurité maritime. De leur côté, et loin de nos regards, les pays émergents renforcent leur puissance navale : la Chine et l'Inde se réarment.

Les États-Unis, première puissance navale mondiale, formulent leur stratégie maritime à partir de leur stratégie nationale de sécurité et ont développé un outil de défense d'un haut niveau technologique. Pour rester un partenaire apprécié et recherché, il faut veiller à ne pas être distancé et à conserver un niveau suffisant d'interopérabilité.

Çà et là apparaissent des initiatives diverses en matière de surveillance maritime, fondées sur des approches interministérielles et se traduisant par l'organisation de coopérations régionales et sous-régionales. Pour être réellement efficace, la sauvegarde nécessite des dispositifs régionaux de surveillance maritime et des capacités nationales d'intervention, ainsi qu'un organisme pour coordonner leur action. Plutôt que de mobiliser d'importants effectifs de forces de police sur la totalité des territoires, peut-être faut-il aussi chercher à endiguer les trafics au plus près de leur source en utilisant des moyens hauturiers. Il vaut mieux, en effet, intercepter une grosse cargaison en haute mer plutôt que de courir après les millions de doses individuelles disséminées sur le territoire après la livraison.

La protection des voies de communication au large de nos côtes contre les trafics et les catastrophes fait partie des préoccupations européennes. Dans cette perspective, il faut se féliciter de la réflexion conduite par l'Union européenne sur une politique maritime intégrée. Le Livre vert sur lequel la Commission européenne s'est appuyée vise à mieux intégrer la dynamique économique à une problématique environnementale et a pour objectif de stimuler la croissance et la création d'emplois.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la mondialisation renforce l'importance stratégique des espaces maritimes. Les grandes puissances ont bien réalisé l'importance de ces derniers espaces de liberté et développent des capacités navales en conséquence. La mondialisation redistribue dans le même temps les cartes de la puissance ; l'hégémonie américaine cède la place au multilatéralisme et les États-Unis, tout en restant la superpuissance, perdent de leur pouvoir d'attractivité stratégique. Le coeur économique du monde s'est déplacé vers l'Asie où sont désormais situés les quatre premiers ports mondiaux.

De nouvelles puissances émergent, telles que le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, les BRIC, qui s'affirment comme les pôles d'activité de demain, s'appuyant sur leur démographie et leur dynamisme économique. Ces pays se tournent eux aussi vers une stratégie du large. Le cas emblématique est celui de la Chine, pour laquelle la libre circulation maritime est une condition de survie.

La Chine comme l'Inde se dotent des attributs de la puissance, en particulier de la puissance navale. La Russie, revigorée par ses revenus du gaz et du pétrole et par la restauration de l'État, entend peser à nouveau sur les affaires du monde. Enfin, l'Amérique du Sud, tirée par le Brésil, dispose d'un potentiel réel. Pour subsister, l'Union européenne doit clarifier ses ambitions de puissance. À ce titre, la montée du multilatéralisme, la rivalité asiatique et les tensions au Moyen-Orient imposent de renforcer l'alliance d'intérêts entre l'Europe et les États-Unis, tout en repensant nos relations avec la Russie.

Je souhaite que notre pays soit un acteur, et non un spectateur, des grandes évolutions de notre monde. Pour l'heure, la France, tant que la politique maritime et portuaire européenne appelée de ses voeux n'aura pas été définie et mise en place, doit encore agir pour son propre compte si elle veut conserver son influence sur la scène internationale. La mondialisation nous force à dépasser le pré carré national, à regarder loin au-delà des frontières européennes et, surtout, à anticiper pour ne pas assister impuissants à la conquête d'avantages stratégiques par d'autres pays.

Monsieur le ministre, l'avenir économique de la France est évidemment maritime.

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