Intervention de Joël Bourdin

Réunion du 22 novembre 2007 à 15h00
Loi de finances pour 2008 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Joël BourdinJoël Bourdin :

Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, m'exprimant en effet en qualité de président de la délégation du Sénat pour la planification, je souhaiterais mettre en perspective le projet de loi de finances pour 2008 avec les engagements de politique budgétaire à l'horizon 2012 que le Gouvernement lui a associé. Ils préfigurent sans doute le programme de stabilité pluriannuel que la France notifiera en application des règles du pacte de stabilité et de croissance européen.

D'emblée, il apparaît que le projet de loi de finances pour 2008 présente une grande singularité par rapport à la politique budgétaire programmée à moyen terme. Le déficit de l'État sera-t-il réduit ou augmenté par rapport à l'année en cours ? On ne le sait, compte tenu des chiffres que vous avez annoncés hier, monsieur le ministre.

Ce qui est certain, en revanche, c'est que l'effort structurel de l'État sera très loin d'atteindre le niveau que vous entendez mettre en oeuvre entre 2009 et 2012. Je rappelle que celui-ci est décrit dans deux scénarios qui figurent dans le rapport économique, social et financier.

Dans le premier scénario, que je qualifierai de « central », la croissance s'accélère, pour atteindre 2, 5 % par an à partir de 2009, et le déficit public structurel baisse de 0, 5 point de PIB par an, conformément aux exigences du pacte de stabilité. À ce rythme, les comptes publics se trouveraient à l'équilibre en 2012.

Dans un second scénario, dit « scénario haut », la croissance atteint cette fois 3 % à partir de 2009, tandis que, dès 2011, les comptes publics présenteraient un excédent grâce à une diminution encore plus énergique du déficit public.

Dans un récent rapport d'information que j'ai présenté au Sénat, je m'interroge sur les conditions de réalisation de ces engagements, mais aussi, au moins partiellement, sur leur sens.

En ce qui concerne les conditions de réalisation, il s'agit, au fond, de trouver comment une croissance soutenue peut se concilier avec un ajustement budgétaire qui, en soi, exerce une impulsion négative sur la croissance, de l'ordre de 0, 5 point par an.

La baisse du déficit public constitue d'une certaine manière une « réépargne » publique qui, dès lors, doit être plus que compensée par une « désépargne » privée afin de permettre une accélération de la croissance.

Malgré une progression du pouvoir d'achat freinée par la réduction des déficits publics, la demande des ménages doit être assez dynamique pour soutenir la croissance, qui conditionne, en retour, la réussite de l'ajustement budgétaire. Ce dynamisme de la demande suppose une baisse importante du taux d'épargne des ménages.

Les scénarios de croissance impliquent aussi une forte hausse de l'investissement, dont chacun sait, depuis Keynes, qu'il participe au soutien de la demande. En outre, par ses effets d'offre, l'investissement renforce la croissance potentielle.

À cet égard, les taux d'intérêt ont un rôle central à jouer. La Banque centrale européenne conditionne la mise en oeuvre d'une politique monétaire accommodante à la réduction des déficits publics.

Mais il faut aussi, pour que les entreprises prennent effectivement la décision d'investir, conforter leurs perspectives de débouchés, tant sur le marché domestique que sur les marchés extérieurs, ainsi que leur compétitivité

Dans ces conditions, une politique économique européenne davantage tournée vers la croissance s'impose clairement : la politique monétaire doit favoriser non seulement la stabilité des prix, mais aussi l'activité économique ; les politiques économiques en Europe doivent être plus coopératives. Nous insistons sur le fait qu'une politique de change européenne, animée bien évidemment par la BCE, doit voir le jour.

Dans tous ces domaines, le manque de perspectives est tel qu'il suscite la mise en place en Europe de politiques économiques nationales égoïstes, qui, collectivement coûteuses, ne réussissent qu'aux dépens du voisin.

Depuis plusieurs années, la politique de désinflation compétitive menée en Allemagne coûte à la France, en moyenne, 0, 3 point de croissance. Plusieurs petits pays d'Europe exercent une concurrence fiscale destinée à attirer les capitaux. Tout cela nous prive de ressources publiques et creuse nos déficits.

Dans ces conditions, à quoi sert-il de coordonner les politiques budgétaires entre pays européens alors que des pans entiers de l'économie ne le sont pas ? La question mérite d'être posée.

Madame, monsieur le ministre, vos ambitions sont grandes et nous nous en réjouissons. Elles reposent sur un pari économique qui comporte des risques. Elles reposent aussi sur des engagements en matière de finances publiques qui représentent une véritable rupture.

Le président de la commission des finances, Jean Arthuis, et le rapporteur général, Philippe Marini, ont remarquablement éclairé la Haute Assemblée sur les questions que pose le projet de loi de finances pour 2008. Au sein de la délégation, nous partageons le même diagnostic sur la norme d'évolution des dépenses publiques pour la période 2009-2012, mais l'amélioration de la productivité du secteur public ne suffira pas. Cette norme suppose des réformes structurelles de très grande ampleur pour être tenue.

J'indiquerai seulement, pour conclure, mon scepticisme quant au renoncement à l'emprunt qu'implique la trajectoire du solde public dans laquelle vous vous engagez. Cette trajectoire suppose que le secteur privé prenne le relais, dans des domaines où l'intervention publique est souvent, et pour d'excellentes raisons, la règle.

Si tel n'était pas le cas, l'augmentation potentielle de la croissance et le développement durable nécessiteraient des investissements publics massifs en infrastructures, en formation et en recherche, qu'il faudrait bien évidemment financer.

Il faut donc aborder sans complexe et avec réalisme la question de la soutenabilité de la réduction de la dette publique. Nous ne pourrons échapper à un véritable débat sur ce sujet, quitte à démontrer de manière un peu caricaturale que l'endettement public n'est peut-être pas excessif au-delà du ratio de 60 %, dans une zone caractérisée par un taux de change excessivement élevé.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà les quelques remarques que je tenais à formuler, tout en insistant sur les relais que le Gouvernement doit impérativement trouver dès lors que son objectif est de comprimer la dépense publique et que le taux de croissance du PIB est volontairement choisi à un haut niveau.

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