Intervention de Bernard Vera

Réunion du 22 novembre 2007 à 15h00
Loi de finances pour 2008 — Question préalable

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances pour 2008 ne déroge pas aux orientations imprimées par les lois équivalentes depuis 2002 que nous avons combattues sans la moindre ambiguïté.

Par cette motion tendant à opposer la question préalable, notre groupe propose donc de ne pas débattre d'un texte dont nous rejetons les dispositions.

La raison principale est que le cadrage économique et les hypothèses qui sous-tendent le projet de loi de finances pour 2008 sont manifestement trop optimistes au regard de la conjoncture.

Je ferai d'ailleurs observer que la prévision de croissance des lois de finances votées depuis 2002 n'a jamais été finalement enregistrée : le taux constaté a toujours été inférieur à celui qui était attendu. Et il y a fort à parier qu'il en sera de même pour le présent projet de budget.

Notons simplement que, chaque année, les lois de finances ont prévu de 2 % à 2, 5 % de croissance du produit intérieur brut, et que nous avons peiné, tous les ans, à nous retrouver aux alentours des 2 %, nous situant le plus souvent en dessous de ce chiffre.

Évidemment, nous pourrions nous demander pourquoi cette situation économique plutôt dégradée, avec une croissance « molle », ne se traduit pas par une aggravation des déficits publics plus marquée qu'elle ne l'est aujourd'hui ?

Sur ce point, il est intéressant de relever l'explication fournie par l'INSEE, qui indique dans la présentation des comptes nationaux pour l'année 2006 : « La consommation des ménages et l'investissement restent dynamiques. Le pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages gagne de la vigueur et leur taux d'épargne progresse. Le taux de marge des sociétés non financières se maintient. Le déficit public se réduit, sous l'effet d'une hausse du taux de prélèvements obligatoires et d'un ralentissement des dépenses publiques. »

Soulignons ce dernier point, tout à fait essentiel : le déficit public se réduit sous l'effet d'une hausse du taux de prélèvements obligatoires et d'un ralentissement des dépenses publiques.

Ainsi, chers collègues de la majorité, vous avez voté depuis 2002 des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale qui n'ont pas permis de réduire le taux de prélèvements obligatoires, mais qui ont conduit, dans le même temps, à la réduction de la dépense publique !

Pour les Français, tout est donc très simple : depuis 2002, ils paient plus d'impôts et ils disposent en retour de toujours moins de services publics !

Tout au plus, ces prélèvements obligatoires sont simplement distribués différemment, la perception de droits indirects prenant une part sans cesse plus importante dans l'ensemble des prélèvements, au détriment de l'impôt direct.

Autre résultat de vos choix politiques : la distribution de l'impôt sur le revenu est aujourd'hui différente et celui-ci frappe plus nettement les salariés modestes et moyens que les très hauts revenus. J'évoquerai quelques chiffres fournis par le ministère des finances sur l'un de ses sites d'information en ligne.

Les contribuables disposant d'un revenu fiscal de référence supérieur à 78 000 euros, c'est-à-dire un ensemble constitué de 1 % environ du total des contribuables de ce pays, ont capitalisé depuis 2002 le quart de la hausse du revenu imposable ! Le taux de prélèvement apparent frappant ces revenus n'a pourtant pas suivi le même chemin et est resté stable, se situant aux alentours de 23 %.

Dans une ville comme Paris, nous obtenons un résultat encore plus spectaculaire. Les contribuables parisiens les plus aisés ont en effet cumulé les trois quarts de la progression des revenus imposables entre 2002 et 2005, et pourtant, le taux de prélèvement apparent pesant sur leurs revenus s'est réduit, passant de 26, 9 % à 26, 4 % !

Nul doute que l'optimisation fiscale sous toutes ses formes, largement permise par l'ensemble des dispositions que vous avez ajoutées depuis 2002 aux niches fiscales et aux divers dispositifs dérogatoires déjà existants, a trouvé à s'appliquer à la situation de nombre de ces 70 000 privilégiés.

Attendons d'ailleurs avec intérêt les chiffres de l'année 2006 - année de la réforme de l'impôt sur le revenu - pour mieux constater encore le résultat !

Attendons notamment de mesurer à quel point la suppression de l'abattement de 20 % et son intégration dans le barème permettront encore mieux aux très hauts revenus de tirer pleinement parti de la pseudo-réforme de l'impôt, votée à la fin de 2005.

Examinons maintenant la question de la dépense publique.

Cette dépense publique a globalement été freinée depuis 2002, et ce freinage conduit d'ailleurs, si l'on s'en tient aux termes de ce projet de loi de finances pour 2008, au blocage pur et simple.

Cette situation n'est pas bonne pour la croissance, car le ralentissement de la dépense publique a clairement un impact sur l'activité de très nombreuses entreprises fournisseurs de l'État comme des autres collectivités publiques.

Mais elle n'est pas non plus satisfaisante pour le compte de l'État lui-même. En effet, l'effondrement de la formation brute de capital fixe des administrations publiques, c'est-à-dire de leurs dépenses d'équipement, contribue au ralentissement de l'activité économique.

Cela signifie que le déficit budgétaire de l'État ne participe pas à l'équipement de la nation.

Cependant, d'autres facteurs pèsent aujourd'hui dans les comptes publics et dans ce projet de loi de finances pour détériorer la situation à long terme.

Nous avons devant nous un étrange projet de budget, dont le premier poste de dépenses est constitué par la mission « Remboursements et dégrèvements » : son montant, particulièrement important - 83, 16 milliards d'euros, dont 67 milliards d'euros de transfert aux entreprises -, est supérieur au montant des crédits engagés au titre des missions « Enseignement scolaire » et « Recherche et enseignement supérieur ».

Mais ce n'est pas tout.

Quand on procède à l'examen de l'évaluation des voies et moyens, on constate que la somme des dépenses fiscales intégrées dans ce document dépasse aujourd'hui 71 milliards d'euros.

Nous sommes donc en présence d'un projet de loi de finances qui prévoit des impôts supplémentaires et des dépenses indirectes de plus de 140 milliards d'euros, afin de corriger les effets de la fiscalité, sans que l'évaluation économique de la pertinence de toutes les mesures soit effectuée.

De plus, le projet de loi de finances n'interrompt guère le mouvement d'accroissement des dépenses liées à la dette publique.

L'encours de la dette atteignait à la fin du mois d'octobre 924 milliards d'euros, dont 288 milliards d'euros en bons du Trésor.

Les lois de finances qui ont été adoptées ces dernières années n'ont pas empêché la dette de l'État de progresser de 207 milliards d'euros depuis la fin de 2002, l'année en cours étant d'ailleurs marquée par un nouvel accroissement de la dette globale.

Et cette charge de la dette est d'autant plus lourde que les taux d'intérêt remontent, avec un taux de 4, 14 % pour la dette à un an, de 4, 19 % pour la dette à cinq ans, et de 4, 33 % pour la dette à dix ans.

Le budget de l'État est assez largement contraint, nous le voyons encore avec ce projet de loi de finances, par les transferts de fiscalité liés à la décentralisation comme à la prise en charge des allégements de cotisations sociales.

S'agissant de ce dernier point, que constate-t-on ? Si l'on additionne les crédits ouverts pour les politiques publiques que recouvrent les missions « Travail et emploi », « Solidarité, insertion et égalité des chances » et « Santé », nous constatons qu'ils sont inférieurs aux sommes dédiées, par la voie du transfert de ressources fiscales, à la prise en charge des exonérations de cotisations sociales !

Alors même que l'efficacité des politiques d'allégement des cotisations sociales sur les bas salaires est directement mise en cause, notamment par des rapports parlementaires, et qu'aucune évaluation concrète n'est produite à l'appui de ces politiques, on va faire en sorte de dépenser encore plus !

Nous ne sommes pas partisans de telles orientations.

Le développement des politiques d'allégement visait, par principe, à permettre aux entreprises de faire face à la concurrence internationale et à renforcer leur compétitivité.

Quels résultats enregistre-t-on ?

Depuis 2002, année où vous avez voté la généralisation des allégements de cotisations sociales, l'emploi industriel n'a cessé de décroître, avec près de 420 000 emplois de moins entre juin 2002 et juin 2007 !

L'emploi dans le secteur tertiaire a connu une progression globale concentrée de manière quasi exclusive sur les services aux particuliers et les services aux entreprises, pour un ensemble proche de 500 000 postes de travail.

Nous avons donc remplacé beaucoup d'emplois industriels qualifiés par des emplois de service déqualifiés ; cette situation trouve d'ailleurs une traduction concrète dans les comptes publics : la croissance exponentielle de la prime pour l'emploi.

En outre, les principaux bénéficiaires des politiques d'allégement des cotisations sociales sont, bien souvent, les chaînes de restauration rapide ou les grands groupes de la distribution, qui ne courent strictement aucun risque face à la concurrence étrangère !

Cette politique d'allégement de cotisations sociales ne fait d'ailleurs pas le bonheur des salariés, dans la mesure où, cela est largement admis, elle tend à écraser les rémunérations au plus bas et au plus près des bornes de l'allégement de cotisations. C'est aussi là qu'il faut voir la source des difficultés de pouvoir d'achat des salariés !

Quand, de surcroît, l'État employeur gèle pratiquement la rémunération de ses propres fonctionnaires avec, chaque année, une revalorisation indiciaire largement inférieure à l'inflation, il n'incite pas le secteur privé à faire mieux.

Enfin, sur un plan budgétaire, cette pseudo-politique de l'emploi a des coûts cachés.

À cet égard, je mentionnerai au premier chef l'ensemble des moins-values qui résultent de niveaux de salaires maintenus trop bas pour alimenter réellement le dynamisme de la consommation.

Mais il y a aussi les dommages collatéraux, comme la prime pour l'emploi ou la prise en charge des exonérations de fiscalité locale, qui découlent de cette incitation à la sous-rémunération du travail.

Le tout se déroule dans un contexte où l'État n'assume pas en totalité la charge qu'il impute à la sécurité sociale. Il s'en faut en effet de 2 milliards à 3 milliards d'euros par an pour que les allégements de cotisations sociales soient intégralement compensés.

Tout, dans ce projet de loi de finances pour 2008 - et je n'ai pas évoqué la question des collectivités locales qui, à elle seule, mériterait de longs débats - persiste à inscrire les politiques publiques dans la ligne des orientations que je viens de détailler.

Tout montre qu'il est temps de revoir la copie, de décider d'un usage plus pertinent et plus efficace des deniers publics, permettant de faire du budget de l'État l'outil de la croissance économique, du développement de l'activité et de l'emploi.

C'est le sens de cette motion tendant à opposer la question préalable que nous vous invitons à adopter.

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