Voilà dix ans, Hubert Haenel et moi-même avions l'honneur d'être les rapporteurs du texte sur la réforme qui allait scinder la SNCF en deux et créer Réseau ferré de France, RFF.
Dix ans, c'est un anniversaire symbolique qui exige que soit dressé un premier bilan. Cette loi instituant un gestionnaire des infrastructures distinct de l'opérateur ferroviaire historique a été un succès, même si un certain nombre de modifications pourraient être apportées.
Elle a résisté à cette « leucémie » du doute qui accompagne tous les grands projets. Elle a fait face à de nombreuses épreuves et elle est aujourd'hui confrontée à des réalités nouvelles : irruption de la concurrence privée dans le transport par rail, mise en place d'organismes traduisant l'implication de l'Union européenne dans ce secteur et émergence d'acteurs inédits, notamment privés, palliant par leur intervention la raréfaction des ressources publiques d'État.
Publié à la fin de 2005 à la demande de RFF par l'École polytechnique fédérale de Lausanne, l'audit sur l'état du réseau ferré national français a fourni une photographie alarmante et toujours d'actualité de la situation de nos infrastructures ferroviaires, qui pose la question cruciale des priorités à assigner à l'évolution du rail en France.
Il est naturel que le Parlement se saisisse de ce sujet, le cas échéant, par tous les mécanismes et procédures à sa disposition qui répondent à la légitimité de nos interrogations.
Tel est le sens, madame la secrétaire d'État, de la question que je pose aujourd'hui. Comment éviter l'arbitrage entre les ambitions grisantes mais onéreuses du TGV pour lequel on ne cesse de rêver de nouvelles lignes et la nécessité d'un entretien urgent, permanent et digne de ce nom du réseau existant, perspective moins spectaculaire mais plus sage et plus réaliste ?
Nous disposons à ce jour du réseau de lignes à grande vitesse le plus étoffé d'Europe. Or les projets en cours en doubleront l'étendue dans les vingt ans à venir. Ces projets devront être financés, et c'est là le premier problème : comment trouver les 40 milliards d'euros indispensables pour régler ce qu'il est convenu d'appeler le « prix de la grande vitesse » ?
C'est un lourd choix d'aménagement du territoire, à la vérité, qui met directement l'État et le Gouvernement face à leurs responsabilités.
De fait, un tel chantier a vocation à être au coeur des discussions du prochain comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, le CIADT, car il justifie par son ampleur la mise en oeuvre d'un schéma directeur national fournissant des projections à moyen terme.
Le CIADT de 2003 avait débouché sur une liste de projets épars, dénués de cohérence d'ensemble. À rebours de cette logique, nous devons aujourd'hui nous appuyer sur un calendrier clair et structuré des investissements envisagés, seule véritable parade aux polémiques, surenchères et amertumes de tous ordres, ce que je nomme pour ma part « le printemps des impatiences » !
Si elle est un motif de satisfaction, la récente annonce à l'horizon de 2025 d'une nouvelle ligne à grande vitesse reliant Paris à Lyon, par Vierzon, Bourges et Clermont-Ferrand, suscite aussi un certain nombre d'inquiétudes, car elle compromettrait gravement la viabilité de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, dite POLT, entre Vierzon et Limoges.
C'est une perspective que nous pouvons envisager sereinement pour le sud du Berry et pour Châteauroux, sa capitale.
Dans le même ordre d'idée, est-il opportun de programmer à l'horizon de 2015 une liaison à grande vitesse entre Limoges et Poitiers dont l'utilité reste à démontrer depuis son irruption dans le débat lors du CIADT de 2003, et dont la réalisation détournerait immédiatement les financements publics du renforcement du POLT ?
Des gains de vitesse significatifs peuvent pourtant être obtenus sur cet axe historique et primordial grâce à la modernisation des voies et à l'acquisition de matériels roulants plus adéquats, assorties de l'instauration de fréquences rentables qui accroîtront la rationalité économique et financière du POLT.
Au final, le projet de TGV Limoges-Poitiers doit être reconsidéré, voire abandonné, car il est clair que, coincé entre le TGV à venir qui circulera dans vingt ans entre Vierzon, Bourges et Clermont-Ferrand, et la dérive des passagers du sud de Limoges vers Poitiers, la liaison Vierzon-Limoges risque d'être singulièrement affaiblie et de n'être plus qu'un pointillé sur la carte de notre réseau ferroviaire !
À la demande conjointe des trois régions traversées par le POLT, une étude a été réalisée en 2007 par un cabinet de conseil. Ce document mériterait une publicité et une diffusion à la hauteur de ses préconisations, rendues plus pertinentes encore par la proximité d'un CIADT aux orientations apparemment sensiblement différentes de celles de 2003.