Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dix-huit mois après l’adoption du rapport de la mission commune d’information sénatoriale sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse, que j’ai eu l’honneur de rédiger, je me félicite de l’organisation d’un tel débat sur ce thème, qui est à la fois un sujet d’avenir et une source d’inquiétude. Je remercie à cet égard la commission de la culture et son président d’avoir soutenu son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée.
Dix-huit mois, c’est long. Dans le domaine des nouveaux médias, c’est même une éternité. Si j’avais à refaire ce rapport, j’apporterais d’importants compléments. Mais cela permet aussi de faire le point sur les mesures qu’a pu prendre le Gouvernement en la matière. Avançons-nous sur ces sujets ? Si oui, allons-nous dans la bonne direction ? Que reste-t-il à faire ? Je souhaite que le débat éclaire ces enjeux.
Madame la secrétaire d’État, je vous avais rencontrée à l’occasion de cette mission et vous m’aviez alors annoncé une LOPPSI 2 imminente et déterminante. Imminente, elle ne l’a pas été ; heureusement, pourrait-on dire... Déterminante, elle ne le sera a priori pas, sauf si le Gouvernement change radicalement de point de vue. Mais peut-être le fera-t-il à la suite de ce débat, qui est susceptible d’accélérer les choses : soyons optimistes !
Cela étant, revenons à la problématique qui nous occupe.
La jeunesse se situe au cœur de la révolution numérique. En effet, non seulement les jeunes n’ont pas échappé au bouleversement numérique, mais ils en constituent les fers de lance en tant que principaux utilisateurs des nouvelles technologies ; je pourrais nourrir l’hémicycle de chiffres sur cette question, mais ils figurent déjà dans le rapport et le président Legendre en a livré un certain nombre tout à l’heure.
Les jeunes ont tendance à utiliser les nouveaux médias de manière combinée, regardant la télévision en même temps qu’ils « chattent » avec leurs copains et qu’ils envoient des SMS aux énoncés cryptiques. Ils ont créé d’ailleurs des usages originaux, à tel point que leurs pratiques médiatiques contribuent de manière essentielle à la définition d’une « culture jeune ».
Le rapport faisait ressortir que les nouveaux médias étaient à la fois des outils de socialisation, des catalyseurs de compétences, des diffuseurs de culture, des sources de créativité et des supports pédagogiques efficaces. Voilà autant de vertus qu’on peut leur accorder et qui sont probablement à l’origine de leur succès.
Il reste que de tels effets positifs sont fragiles et susceptibles d’être remis en cause selon la manière dont on les utilise. Un débat similaire avait d’ailleurs eu lieu au moment de l’arrivée massive de la télévision dans tous les foyers de France.
Le constat que j’avais pu faire à cet égard était relativement simple : les jeunes éprouvent un sentiment de liberté du fait de leur maîtrise des nouveaux médias, ce qui est un point très positif, mais cette liberté n’est absolument pas accompagnée ou mise à profit par les pouvoirs publics.
En effet, dès lors que l’on parle d’Internet, on évoque les amis, le réseau social, les blogueurs, ceux qui « twittent » toute la journée, le dernier « buzz » sur Skyblog, mais l’on constate aussi l’absence frappante de la famille et de l’école qui laissent les jeunes abandonnés, sans repères, dans un monde multimédiatique omniprésent.
Je suis pourtant convaincu que la République peut jouer un rôle d’émancipation et d’éducation, un rôle réel de libération, c’est-à-dire de responsabilisation, des jeunes, grâce à l’aiguisement de leur regard critique sur leurs pratiques dans le domaine des nouveaux médias et sur le monde numérique en général.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le premier thème que j’aborderai a trait à l’éducation. Oui, l’éducation aux médias est un impératif.
Alors que la fracture numérique ne se creuse plus grâce, notamment, à un effort important des collectivités territoriales en matière d’équipement, c’est une double fracture culturelle et intellectuelle qui menace aujourd’hui les enfants. Il faut leur apprendre les bons usages de l’internet, comme on leur apprenait au siècle dernier à bien manier les livres et les concepts. Le fait que le support soit nouveau n’est pas anodin lorsque l’on parle de l’internet. Puisqu’il s’agit d’une véritable révolution culturelle, il importe, à ce titre, de l’accompagner par des politiques très ambitieuses.
C’est à ce défi que doit répondre, d’abord, l’école, soumise à une double obligation : donner aux élèves les moyens d’adopter une posture critique à l’égard des nouveaux médias, de l’information, de la publicité et des contenus qu’ils diffusent ; démontrer que les médias, notamment Internet, ne sont pas les seuls transmetteurs d’un savoir indiscutable, que la médiation est humaine, multiple et doit pouvoir être discutée et contestée.
L’éducation aux médias devient, dans cette optique, non plus seulement une discipline scolaire supplémentaire, mais bien un « impératif démocratique », qui doit être mis au cœur de tout et considéré comme support et sujet dans l’ensemble des disciplines.
J’avais, par ailleurs, proposé de mettre en place, au collège, un module d’heures spécifiquement dédiées à l’éducation aux médias, avec un travail en faible effectif, faute de quoi on ne pourra ni dispenser cet enseignement ni l’évaluer correctement. Bien évidemment, les heures consacrées à ce sujet seraient prélevées sur le quota horaire annuel et ne viendraient pas alourdir l’emploi du temps, déjà très chargé, des élèves.
En outre, j’avais émis l’hypothèse que l’on puisse confier aux professeurs documentalistes une grande partie de cet enseignement. Ceux-ci pourraient, du reste, être le référent ou le coordinateur pédagogique dans chaque établissement scolaire interdisciplinaire pour l’utilisation de ces supports dans toutes les matières.
En effet, alors qu’ils sont détenteurs du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré, le CAPES, ces documentalistes ne sont jamais des professeurs, parce que l’éducation nationale ne leur donne aucun rôle de ce type, ce qui suscite d’ailleurs un malaise au sein de la profession.
Lors de la rédaction de mon rapport, j’avais rencontré M. Xavier Darcos, alors ministre de l’éducation nationale, qui m’avait paru particulièrement peu concerné par l’avenir de cette catégorie de personnels : composée essentiellement de femmes, elle se réduit comme peau de chagrin année après année.
Or ces personnels pourraient, à mon sens, jouer un rôle extrêmement intéressant à l’école grâce à leurs compétences spécifiques et à leur connaissance des médias.
Qu’en pensez-vous, madame la secrétaire d’État ? Comment vous-même et le Gouvernement dont vous êtes membre comptez-vous faire vivre l’éducation aux médias dans un contexte général favorisant plutôt la réduction des moyens et des effectifs et singulièrement peu adapté à nos besoins nouveaux ?
Par ailleurs, tous les outils doivent être mis à contribution. Dans le cadre de la réforme de France Télévisions, j’avais émis le souhait que, au lieu de supprimer la publicité sur la télévision publique, on insère dans le cahier des charges du groupe l’obligation de diffuser une émission d’analyse des effets de la publicité et de décryptage du rôle des médias et de l’image. On pourrait toujours le faire, même si la publicité est supprimée.
À l’heure où l’indépendance des médias traditionnels est contestée au point que les jeunes s’en détournent pour explorer l’information sur Internet produite avec plus ou moins de professionnalisme, mais sans tabous, à l’heure où l’on réalise des émissions de « télé trash » avec le désormais célère sur France Télévisions, il faut plus que jamais insister sur l’intérêt de ces émissions critiques de décryptage sur les médias, qui ont disparu de la télévision publique.
Que contient le cahier des charges de France Télévisions sur ce sujet ? Pas grand-chose ! Qu’est-ce qui est fait concrètement ? Presque rien !
Réveillons-nous, sinon les jeunes se détourneront définitivement de l’information traditionnelle, au risque de voir la transmission générationnelle se gripper sérieusement.
J’avais proposé, en outre, que l’on instaure une signalétique positive sur certains programmes « jeunesse », suivant un cahier des charges précis faisant état, par exemple, de non-discrimination entre les genres, d’ouverture à un public élargi, de diffusion de valeurs citoyennes, s’agissant notamment des droits de l’homme.
Que pensez-vous, de cette proposition, madame la secrétaire d’État ? La plupart du temps, les signalétiques traduisent une interdiction. Ne pourrait-on en imaginer certaines qui encouragent à regarder telle ou telle émission ?
J’évoquerai ensuite les problématiques d’encadrement de l’utilisation d’Internet, parce qu’il s’agit de la priorité affichée par le Gouvernement, mais aussi de la stratégie la plus simple et la plus intuitive à mettre en œuvre.
Pour lutter contre les problèmes, luttons contre la source des maux, c’est-à-dire contre tous ceux qui diffusent de mauvais messages sur Internet. Si l’on prend ainsi le risque d’être simpliste, risque auquel nous n’échappons pas plus que le Gouvernement, on répond à une partie du problème.
J’avais formulé, dans mon rapport, un certain nombre de préconisations sur l’utilisation de listes blanches pour les jeunes enfants et de listes noires pour les adolescents. Il apparaît que les fournisseurs d’accès ont progressé sur ces questions, grâce à la livraison de logiciels de contrôle parental de plus en plus efficaces intégrant lesdites listes. Je sais, madame la secrétaire d’État, que vous y avez contribué.
Cependant, le problème majeur, très concret, n’est pas résolu : il est lié à la gestion des profils, les parents ayant des difficultés à créer des mots de passe spécifiques et à privatiser leurs sessions sur Internet.
À cet égard, nous avons affaire à un problème de culture et de communication. Si les campagnes de prévention télévisuelle ont un grand intérêt, le renforcement des outils pédagogiques et explicatifs à destination des parents est aujourd’hui un impératif. Or la mise en place et la fonction de ces listes de sites sont importantes, notamment sur la question de la pornographie ; dans mon rapport, j’en soulignais l’impact particulièrement néfaste sur les comportements adolescents présents et futurs.
Madame la secrétaire d’État, où en est le Gouvernement sur cette question très pratique ?
J’avais également émis quelques propositions élémentaires, telles que la régulation dans les messageries instantanées de l’utilisation de la webcam par les mineurs, notamment les plus jeunes, qui ne savent pas qu’ils sont exposés dans leur environnement personnel, leur chambre. Il doit y avoir au moins l’obligation de diffusion d’un message de prévention et d’alerte en page d’accueil des plateformes de blogs et des sites de réseaux sociaux.
Je n’ai rien vu venir, me semble-t-il, sur ce sujet, et je le regrette. Mais peut-être est-ce en voie ?
On me dira, je l’anticipe, que le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPPSI 2, répondra à un certain nombre de questions que j’évoque ici. Admettons…
De même, des dispositifs spécifiques ont été adoptés dans le cadre de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, ou loi HADOPI, et du projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.
La proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, votée au Sénat alors que le Gouvernement freinait étrangement des quatre fers – vous me l’expliquerez peut-être, madame la secrétaire d’État –, représente également une avancée dans la protection des jeunes, dont il faut se réjouir, alors que la sphère de l’intime est de plus en plus réduite.
À cet égard, sur Internet, paradoxalement, c’est souvent le masque qui libère et la transparence qui enferme.