Intervention de Marie-Agnès Labarre

Réunion du 30 mars 2010 à 14h30
Débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias

Photo de Marie-Agnès LabarreMarie-Agnès Labarre :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure du développement des technologies numériques et alors que l’usage des ordinateurs, des téléphones portables et d’Internet est généralisé tant chez les adultes que chez les enfants, il est important de s’interroger sur la nécessité de protéger les jeunes des risques qu’ils encourent face à ces nouveaux médias susceptibles de véhiculer des contenus dangereux et de susciter des comportements qui le sont tout autant.

Il est nécessaire de réfléchir aux moyens de réguler et de réglementer, dans ce domaine comme dans les autres, pour protéger les utilisateurs.

Les nouveaux médias sont une chance dans la mesure où ils permettent une meilleure circulation des informations, un accès facilité à la connaissance et créent de nouvelles opportunités de s’exprimer. Néanmoins, ces dernières sont également porteuses de dangers réels, que nous ne devons pas exagérer, mais dont nous avons le devoir de tenir compte. Si les risques concernent l’ensemble des utilisateurs de ces nouveaux médias, les jeunes, notamment les enfants, y sont beaucoup plus exposés.

La Convention internationale des droits de l’enfant consacre le droit à l’information, le droit au loisir et au jeu. En ce sens, les nouveaux médias facilitent l’exercice de ces droits. Mais la Convention consacre également le droit à une protection particulière des enfants ; or, nous devons le reconnaître, il est bien difficile de définir les conditions de son exercice.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les dangers sont pourtant bien réels.

La thématique et les enjeux semblent désormais être compris par tous. Il ne s’agit en aucun cas de diaboliser les nouveaux médias, qui représentent a priori un progrès formidable pour la communication, la diffusion de l’information, de la connaissance et de la culture, mais il faut néanmoins « se méfier raisonnablement » d’Internet.

Il ne s’agit pas non plus de porter un jugement moral sur ce qui fait, de toute manière, partie de notre réalité, qu’on la condamne ou non. Cependant, il nous revient de réfléchir à une manière pertinente d’encadrer ce phénomène encore relativement nouveau.

Je le répète, les risques existent. S’ils ne concernent pas exclusivement les jeunes, ils les affectent de manière plus importante : c’est ainsi que les risques de dépendance, notamment, sont à prendre en compte au premier chef. Les jeux vidéo et Internet engendrent des formes d’addiction, qui placent souvent l’adolescent en situation d’isolement psychique et physique.

Lorsqu’il devient compulsif, l’usage de l’ordinateur affecte le comportement de l’enfant dans son ensemble, bouleversant son humeur et ses relations sociales. Et il peut apparaître chez l’adolescent instable des attitudes dangereuses pour lui-même ou pour autrui. Il y a là matière à agir de façon préventive.

L’exposition des enfants à des contenus choquants, violents ou pornographiques est également courante. Elle est facilitée par les nouveaux médias, qui sont, en cela, porteurs de dangers. Les protections mises en place se révèlent faibles et faciles à contourner.

La diffusion et la récupération de données personnelles sur Internet affectent la sphère de l’intimité, avec un risque de manipulation des jeunes, qui ne se rendent pas nécessairement compte de l’impact qu’elles peuvent avoir. Celles-ci sont d’ailleurs souvent utilisées à des fins publicitaires : c’est d’autant plus inadmissible qu’il s’agit d’enfants, par nature influençables.

Le public, notamment le plus jeune, est exposé à des contenus que l’on assimile à de l’information journalistique, c’est-à-dire fondée, vérifiée, y compris lorsque ce n’est pas le cas. Contre les risques de désinformation, nous devons en appeler à l’éveil de l’esprit critique.

Malheureusement, les récents débats n’ont pas eu véritablement de suite.

La prise de conscience est, certes, opérée. En atteste la tenue d’un atelier organisé par Mme la secrétaire d’État à l’économie numérique en novembre dernier sur le droit à l’oubli numérique, ainsi que la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, examinée la semaine dernière par notre assemblée.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne peux que me réjouir de ce débat qui nous réunit aujourd'hui, mais comprenez que je vous exprime mes doutes quant aux effets concrets qu’il produira effectivement.

En effet, si la thématique et la nécessité de protection semblent acceptées assez largement depuis quelques années – à l’exception des entreprises qui y voient un obstacle potentiel à leurs intérêts financiers –, force est de constater que les réponses apportées sont assez peu probantes : soit les moyens techniques appropriés font défaut, soit les acteurs concernés manquent du courage nécessaire pour porter ces propositions jusqu’au bout.

La solution actuellement retenue, l’élaboration de chartes professionnelles de bonne conduite, n’est pas satisfaisante. Une charte se réduit à une déclaration de bonnes intentions : c’est un peu court !

Sur la récente proposition de loi de nos collègues de l’Union centriste et du RDSE, je dirai ceci : elle est louable dans son principe, mais nous ne pouvons que déplorer le caractère peu contraignant des mesures qu’elle édicte, d’autant que l’adoption de certains amendements l’a peu à peu vidée d’une partie de sa substance.

Faut-il légiférer ? Et si oui, comment ? Cette proposition de loi, adoptée par le Sénat, renvoie la protection des plus jeunes à une sensibilisation de ces derniers aux dangers d’Internet dans le cadre des cours d’éducation civique.

Les jeunes doivent effectivement être informés et sensibilisés à ces problématiques dans la mesure où ils n’ont pas toujours conscience de l’utilisation susceptible d’être faite des données personnelles, notamment des photos, qu’ils publient sur les sites de réseaux sociaux ou les blogs.

Cela n’est cependant pas suffisant. Le jeune utilisateur ne maîtrise pas toujours la technologie qu’il manipule et n’identifie pas systématiquement les dangers auxquels il s’expose. La responsabilité de sa protection ne lui incombe pas seulement, ni à ses parents d’ailleurs : elle relève aussi de l’hébergeur de contenus, dont le champ d’action mérite d’être encadré et qui doit se voir imposer une réglementation respectueuse de ses usagers.

Introduire cette sensibilisation dans les cours d’éducation civique, comme le suggèrent les auteurs de la proposition de loi, est une bonne idée. Cela étant, pour que l’impact d’une disposition centrée sur la sensibilisation soit optimal, il faut que les professeurs d’histoire et de géographie chargés des cours d’éducation civique bénéficient à la fois d’une formation sur ces enjeux et du temps effectif pour dispenser ces heures sans sacrifier le programme scolaire qu’ils doivent terminer.

Les solutions existantes sont, par ailleurs, insuffisantes.

Certes, l’article 227-24 du code pénal précise : « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. » Toutefois, dans les faits, on constate une absence de contrôle effectif de l’application de ce principe sur Internet.

Le système d’avertissement est, en outre, bien trop faible : sur certains sites de vente d’alcool ou au contenu pornographique, un simple message demandant à l’utilisateur de confirmer qu’il est majeur permet d’y accéder.

De manière générale, le système d’avertissement et de signalement, qui est au demeurant appliqué à la télévision, semble assez peu efficace sur Internet dans la mesure où l’usage d’un ordinateur est individuel et discrétionnaire.

Les logiciels de contrôle parental ont une efficacité limitée : dans la mesure où ils ne bloquent l’accès qu’à certains mots, il est facile de les contourner et, partant, impossible de tout contrôler, notamment sur les sites étrangers. Leur mise en œuvre requiert, du reste, une certaine maîtrise technique, que tous ne possèdent pas. On ne peut que souhaiter, dans ce domaine, comme dans d’autres, une véritable sensibilisation des parents, une réelle éducation à l’art d’être parent.

Par ailleurs, l’absence d’obligation pour les hébergeurs de surveiller les contenus des sites qu’ils accueillent, hormis en ce qui concerne l’apologie de crimes et la pédophilie, pose problème, même si la réglementation nationale se heurte à des frontières qu’Internet ne connaît pas.

Il faut donc renforcer la réglementation, mais sans porter atteinte à la liberté.

Nous ne devons pas prendre le prétexte des difficultés rencontrées dans la construction d’une norme protégeant les utilisateurs, spécifiquement les jeunes, pour céder à la tentation de tout interdire a priori dans le but de mieux prévenir. Ce serait une forme de censure intolérable. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté », écrivait Rousseau. Il est simplement temps pour nous de choisir les règles auxquelles nous voulons soumettre l’usage d’Internet, dont l’encadrement est actuellement insuffisant et qui bafoue de nombreux droits, notamment le respect de la vie privée et la garantie des droits d’auteurs.

Dans ce secteur des nouveaux médias, encore relativement récent et en perpétuelle évolution, nous peinons parfois à réguler ce qui nous est présenté comme une affaire de spécialistes, que seuls les professionnels seraient à même de comprendre, s’arrogeant de ce fait le monopole de la pensée en avançant des critères techniques que nous ne pourrions saisir.

Nous devons dépasser cet état de fait et nous attribuer le droit de penser les conséquences de l’usage de ces nouveaux médias d’un point de vue moral et de mesurer leur impact sur la vie publique ; nous devons refuser cette détention du savoir au nom d’un « progrès » dont nous serions les esclaves.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour conclure, je proposerai quelques pistes de réflexion.

Pourquoi ne pas créer une autorité spécifique relative à la protection des jeunes, dotée des moyens de contrôle et d’application figurant dans les dispositions pénales, déjà existantes, relatives à la protection de l’enfance et de la jeunesse ?

Pourquoi ne pas définir précisément la nature des contenus à interdire en raison de leur caractère choquant ou violent selon des critères précis, afin d’éviter le risque de censure, d’une part, et de faciliter le recours à la sanction, d’autre part ?

Je souhaite également que nous réfléchissions à un renforcement des obligations des hébergeurs concernant les contenus qu’ils éditent. Une législation franco-française sur l’usage d’Internet n’étant pas à même, par nature, d’assurer la protection nécessaire de nos enfants, nous pourrions œuvrer à l’universalisation de certaines dispositions protectrices de l’usager.

Enfin, parce qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité, donc sans éducation, et parce que cette dernière constitue le moyen le plus efficace, ayant potentiellement l’impact le plus fort dans l’immédiat et apparaissant comme le plus facile à mettre en œuvre, nous devons donner une véritable place à la sensibilisation des parents à l’usage de l’ordinateur en général et d’Internet en particulier, et informer également les enfants sur ces sujets dès l’école primaire.

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