Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ils sont la génération MSN, Facebook, peer to peer et autres plates-formes d’échanges... Le réseau internet est bel et bien la nouvelle cour de récréation de nos enfants et de nos adolescents.
Cette immense ouverture sur le monde et la sphère publique n’est pas sans risques. Sans nier les bienfaits des nouveaux médias, il nous faut néanmoins constater que les enfants sont tout aussi vulnérables en étant seuls devant un écran d’ordinateur ou un mobile que seuls dans la rue.
En ligne de mire : l’exposition involontaire à des images choquantes, les pressions psychologiques, les blogs à caractère diffamatoire, la divulgation des informations personnelles, les fausses identités virtuelles, les rendez-vous suspects, les cyberprédateurs, la consommation excessive...
Il est de bon ton de renvoyer les parents à leurs responsabilités... Pour autant, les parents ont rarement conscience de ces dangers. L’an dernier, le Norton Online Living Report révélait que 53 % des parents pensent que leurs enfants ne courent aucun danger en surfant sur le Net. Par ailleurs, 51 % des adolescents se connectent à Internet sans aucun contrôle parental !
La répression et l’interdiction trouvent rapidement leurs limites. Par définition, la supervision du monde en ligne est difficile. Non seulement le contenu du Web est accessible à tous ceux qui disposent d’un moteur de recherche, mais il est facile pour les enfants d’échapper à leurs parents en se connectant à l’extérieur du foyer familial.
Quant à définir ce que l’on peut mettre en ligne en toute sécurité, il semble que, là aussi, le plus grand flou prévale... La majorité des enfants de moins de 15 ans s’adressent à leurs parents ou à leurs amis. Mais pour plus d’un parent sur trois, Internet est justement l’une des principales sources de conseils, avec leurs amis et le bouche à oreille. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, 15 % des parents d’enfants de 15 ans demandent conseil à leurs propres enfants... Et 21 % des parents avouent même ne pas savoir où s’informer.
Certes, de nombreuses structures publiques, indépendantes, associatives, œuvrent en faveur de la protection et de l’éducation des jeunes face aux nouveaux médias. On peut toutefois regretter que, malgré la qualité de leurs interventions, leur action soit souvent disparate, parfois redondante. Il est d’ailleurs malaisé d’effectuer un bilan exhaustif des différentes initiatives.
Au sein du ministère de l’éducation, notamment, coexistent plusieurs entités œuvrant dans le sens de la formation et de la sensibilisation des jeunes aux dangers de l’internet ; leurs missions recoupent celles d’organismes « satellites » à vocation éducative qui se sont saisis des questions ayant trait à Internet.
Il est donc plus qu’urgent de mettre en œuvre une politique publique cohérente, structurée et forte en direction des jeunes, afin de leur permettre d’acquérir les bases d’une éducation numérique. La protection, c’est d’abord la responsabilisation des individus. Et l’internaute, même jeune, doit être acteur de sa propre protection.
Récemment, le Sénat a adopté une mesure en matière d’éducation aux nouveaux médias. Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, déposée sur l’initiative de nos collègues M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier, et votée, en première lecture, par le Sénat le 23 mars dernier, pourrait constituer un premier pas vers une éducation nationale des jeunes à l’égard des nouveaux médias.
Il pourrait consacrer l’engagement et l’implication de l’État à accompagner et à responsabiliser les jeunes utilisateurs d’Internet, à les former à la maîtrise de leur image publique, à l’analyse réfléchie et critique des informations circulant sur la Toile et à l’utilisation responsable des réseaux sociaux et des applications interactives.
Mais une telle action est-elle possible dans un contexte de forte diminution des moyens octroyés à l’éducation nationale ? Ainsi que notre collègue David Assouline l’a noté dans son rapport d’information, ni la circulaire Haby, ni l’intégration de l’éducation aux médias dans le socle commun de compétences, ni le cahier des charges de la formation des enseignants en IUFM n’ont jusqu’à présent suffi à pleinement intégrer dans le cursus scolaire cette éducation critique aux nouveaux médias. Aussi, comme lui, je souhaite souligner la nécessité de redéfinir le rôle du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information dans cette mission et l’importance de stabiliser ses moyens.
Par ailleurs, l’instauration du brevet informatique et Internet, le B2i, ouvert aux élèves des collèges n’a pas tenu toutes ses promesses. Cette validation d’acquis est généralement limitée au plus strict nécessaire, c’est-à-dire à la maîtrise des outils de base. Les sujets tels que les dangers de l’internet et l’utilisation d’un internet responsable ne sont éventuellement abordés que lors de la validation des autres niveaux du B2i, à la fin du cycle du collège puis au lycée et, encore, très succinctement, selon les dires des jeunes concernés.
En outre, la préparation au B2i se fait de façon extrêmement aléatoire, aucun horaire spécifique n’étant prévu dans les programmes.
Je reprendrai en cet instant deux propositions formulées par David Assouline dans son rapport d’information pour répondre à ces insuffisances : la nécessaire mise en place d’un module d’éducation aux médias de dix heures annuelles en quatrième et en seconde et l’utilisation des nouveaux médias de manière prioritaire comme support pédagogique des cours d’éducation civique.
Enfin, interrogeons-nous sur les modalités de formation des enseignants eux-mêmes, bien souvent moins familiers des usages les plus contemporains d’Internet, notamment des réseaux sociaux, que leurs élèves. De surcroît, ils ne disposent pas toujours du matériel pédagogique adéquat pour enseigner la protection des données personnelles.
Dans le cadre de la mastérisation, la validation d’un certificat informatique et Internet – C2i – comprenant un volet relatif aux problématiques du droit à la vie privée et à la protection des données personnelles serait très utile. À cette occasion, l’expertise de la CNIL pourrait être sollicitée.
En conclusion, la mise en place d’une éducation critique aux nouveaux médias dans la formation des citoyens de demain ne correspond pas à l’introduction d’une simple matière nouvelle, mais constitue bien un « impératif démocratique ». Comme l’écrivait David Assouline dans son rapport d’information, « l’école doit démontrer que les médias ne sont pas les seuls transmetteurs d’un savoir indiscutable mais que la médiation est humaine, multiple et doit pouvoir être discutée et contestée ».
La réussite de cette éducation critique ne sera entière que si elle permet également d’ouvrir le débat aux parents eux-mêmes et d’améliorer les synergies entre le monde de l’éducation et celui des internautes, ainsi que, in fine, l’information du grand public, à l’image de ce qui a été fait dans certains pays européens.