Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 30 mars 2010 à 14h30
Débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qui songerait à remettre en question le formidable potentiel offert par les nouveaux médias et, par là même, la place essentielle qu’ils tiennent dans notre vie quotidienne ? Personne, bien sûr ! De nombreuses voix s’élèvent cependant pour mettre en garde contre le « revers de la médaille » de cette révolution numérique.

Notre collègue David Assouline, au nom de la commission de la culture, dans son excellent rapport d’information consacré aux incidences des nouveaux médias sur la jeunesse a parfaitement relevé la profonde ambiguïté qui existe dans notre relation avec les nouvelles technologies, avec Internet en particulier.

Notons que 95 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans sont internautes et surfent, en moyenne, douze heures par semaine ; 70 % des enfants de moins de onze ans utilisent aussi Internet, et ce depuis leur plus jeune âge, puisque 44 % des petits de six à huit ans sont concernés. Par ailleurs, plus d’un adolescent sur deux aurait créé son profil sur Facebook. La réalité de l’immersion totale de cette génération digital native dans la culture numérique suffit à nous conduire à nous interroger sur le rapport entre les bienfaits et les dangers, réels ou fantasmés, de l’usage d’Internet.

Les atouts des nouveaux médias pour la société, en général, et pour la jeunesse, en particulier, sont indiscutables, ne serait-ce qu’en termes d’accès au savoir, ainsi que de socialisation et d’intégration dans la vie publique. Ces exemples font partie de nombreux autres.

D’un point de vue pédagogique, d’abord, l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication est positive, au moins en raison de la motivation supplémentaire qu’elle induit chez l’élève.

L’utilisation de l’ordinateur est, sans aucun doute, un facteur d’amélioration du plaisir d’apprendre si nécessaire à un apprentissage efficace. L’appréhension de nouvelles compétences doit également être soulignée, même si les professeurs se plaignent, avec raison, des « copier-coller » détectés sur nombre de copies.

Relevons aussi les vertus des nouvelles technologies pour les élèves isolés. Je pense particulièrement aux enfants dont la famille est établie à l’étranger et qui, parfois, n’ont d’autres choix, pour suivre un enseignement français, que de le faire à distance.

Du point de vue de la construction psychique de l’adolescent, les nouveaux médias jouent, de fait, un rôle très positif. En effet, derrière son écran d’ordinateur, l’adolescent se sociabilise tout en restant à l’abri du regard des autres. Les différents réseaux sociaux qu’il fréquente ou les blogs qu’il tient lui permettent également de cultiver une image extrêmement valorisante, de développer sa confiance en lui et d’être reconnu socialement, notamment par le nombre, généralement très élevé, de ses amis. Tout cela est très intéressant, à condition, bien sûr, que sa socialisation ne s’arrête pas là !

Pourtant, ces exemples ne doivent pas masquer les possibles dangers d’un usage sans protection des nouveaux médias.

Les premiers risques que j’évoquerai, sans doute ceux qui suscitent le plus de craintes, sont l’exposition des jeunes à des contenus inappropriés, parce que violents ou à caractère pornographique, impactant le développement de leur personnalité, ainsi que les sollicitations à caractère sexuel auxquelles ils pourraient être confrontés.

Dans le même domaine, un phénomène nouveau, le « sexting », se développe de façon inquiétante. Ce nouveau « jeu » – ou tout au moins perçu comme tel – consiste en la diffusion, consentie ou non, entre les adolescents et via les téléphones mobiles, d’images personnelles à caractère sexuel.

Il pose clairement la question de la responsabilisation des adolescents. En effet, dans ce cas particulier, et comme le relève un récent rapport publié par l’Internet Safety Technical Task Force, ou ISTTF, et l’université de Harvard, les adolescents agissent en toute conscience.

Ils envisagent parfaitement que les images seront sans doute partagées avec d’autres personnes que les destinataires initiaux, et, surtout, les trois quarts des jeunes sont conscients de l’impact négatif que peuvent avoir ces photos. Ce qu’ils ne perçoivent pas, ce sont les conséquences sociales de tels comportements.

Le même raisonnement peut être appliqué à la divulgation d’informations personnelles sur les réseaux sociaux. Le profil pouvant, en effet, servir de véritable exutoire. En outre, via le « mur », des conversations de nature privée sont tenues en public. C’est ici la distinction entre la vie intime et la sphère publique qui est balayée.

À ce propos, l’universitaire américaine, spécialiste des réseaux sociaux, Danah Boyd, formule une métaphore très pertinente que je vous livre : « À l’occasion d’une fête, des petites conversations peuvent se nouer à droite ou à gauche, elles sont couvertes par la musique. Mais avec les réseaux sociaux, on peut toujours éteindre la musique… »

Ce déferlement d’informations intimes, accessibles au plus grand nombre, présente le risque d’intimidation ou de harcèlement par les jeunes entre eux, puisque les réseaux sociaux regroupent, le plus souvent, des adolescents qui entretiennent déjà des relations sociales non virtuelles et potentiellement conflictuelles.

Il constitue aussi une véritable mine d’or pour les publicitaires, les enfants internautes devenant de véritables cibles de marketing. Quoi de plus facile en effet que d’utiliser les informations personnelles pour affiner le ciblage de cette catégorie de population, particulièrement réceptive à ce genre de sollicitations ? Le groupe Sony BMG a d’ailleurs été condamné par la justice américaine, il y a quelques mois, pour avoir recueilli illégalement, c’est-à-dire sans l’accord exprès des parents, des données personnelles d’enfants via des sites d’artistes.

Pour rester dans le domaine de la publicité, il me semble important également d’alerter sur l’absence de responsabilité de certains éditeurs de contenus pour la jeunesse. En effet, même sur ces sites spécialement dédiés aux jeunes, voire aux très jeunes internautes, peuvent apparaître des publicités pour des produits ou des liens renvoyant sur des pages assurément non adaptées aux mineurs, ou même vantant des produits dont l’usage leur est interdit, comme les jeux d’argent.

Alors que le projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, qui va occasionner l’afflux d’une multitude de sites de jeux d’argent sur le Web, est en cours de deuxième lecture à l’Assemblée nationale, il me semble important de souligner les dangers que présentent ces jeux pour les jeunes internautes.

Certes, le texte confirme l’interdiction pour les mineurs de participer à ces jeux, qu’ils soient en ligne ou non. Toutefois, le péril demeure, puisque les méthodes de protection des mineurs sur Internet donnent un résultat très illusoire, comme nous allons le constater maintenant.

Les outils de protection existant pour les médias traditionnels sont totalement dépassés et, de toute façon, inadaptés aux nouveaux médias. À titre d’exemple, je citerai les services de médias audiovisuels à la demande qui ont rendu absolument obsolète la réglementation mise en place par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ou CSA.

En effet, comment appliquer à la vidéo à la demande – VOD – un dispositif de protection qui repose sur des contraintes horaires de diffusion fixées par tranche d’âge ? Malgré l’adoption de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision qui prévoit une réglementation ad hoc, rien n’a encore été proposé.

Un an après, où en est-on, madame la secrétaire d’État ?

De multiples organismes, qu’ils soient étatiques, indépendants ou de type associatif, participent, plus ou moins harmonieusement, à la protection des mineurs face aux risques des nouveaux médias. Ainsi le CSA est-il compétent pour veiller à la protection de l’enfance à la télévision et à la radio.

Certes, sa compétence s’étend naturellement aux diffusions via les téléphones mobiles ou Internet, mais uniquement sur les contenus des émissions télévisées ou radiophoniques : une goutte d’eau, comparativement à l’ensemble des contenus potentiellement diffusables sur la Toile !

Bien plus, l’exemple de la vidéo à la demande, exposé à l’instant, révèle l’inadéquation actuelle des techniques de contrôle dont dispose le CSA et, par là même, le retard pris pour la mise en place par l’État d’une réelle protection des mineurs, quel que soit le support de diffusion utilisé.

À cet égard, l’on ne peut que souscrire entièrement à la proposition de David Assouline visant à créer un organe de corégulation « enfance et médias » compétent pour assurer la protection de l’enfance sur l’ensemble des médias, qu’ils soient écrits, télévisuels, cinématographiques ou électroniques.

Dans le souci d’efficacité qui doit guider l’action de l’État dans ce domaine, il importe en effet d’apporter une réponse globale à cette question. La recherche d’une démarche concertée est extrêmement positive, au regard de l’action importante, mais souvent dépourvue de coordination, de nombreuses structures, en termes de prévention et d’éducation des jeunes dans le secteur des nouveaux médias.

Plus largement, et cela va s’en dire, au regard du caractère transfrontalier d’Internet, une approche internationale est souhaitable. La proposition de la Défenseure des enfants, Dominique Versini, de mettre en place « un petit “ONU” de l’internet », véritable instance de contrôle international, est, de ce point de vue, très intéressante.

À l’échelon européen, diverses démarches de la Commission visent à responsabiliser les opérateurs et à sensibiliser les jeunes. Déjà en 2009, la Commission a signé un accord avec une vingtaine de sociétés afin qu’elles s’engagent à rendre les réseaux sociaux plus sûrs. Le bilan dressé au bout de quelques mois est relativement prometteur, mais beaucoup reste à faire, notamment quant au principe de la non-accessibilité, au-delà des amis, des informations personnelles des mineurs.

Cette approche est nécessaire mais doit s’accompagner d’une véritable prise de conscience des jeunes. Dans le cadre de la dernière édition de la Journée pour un internet plus sûr, en février dernier, la Commission a lancé un appel aux jeunes internautes : « Tu publies ? Réfléchis ! ».

En effet, il importe de les avertir de toutes les implications, y compris à long terme, des informations personnelles qu’ils mettent en ligne. Voyez, par exemple, combien d’employeurs potentiels accèdent à des données que je qualifierai sobrement d’inadéquates, en quelques clics !

Cette sensibilisation des jeunes est, sans doute, le meilleur rempart contre les risques inhérents aux nouvelles technologies.

Aux côtés de l’école qui doit améliorer son rôle éducatif dans le domaine, notamment par une véritable intégration de cette discipline dans les programmes, ce sont bien sûr les parents qui sont les mieux placés pour alerter et, ai-je envie de dire, simplement pour éduquer leurs enfants.

Les chiffres de récents sondages laissent songeurs et témoignent du chemin qu’il reste à parcourir dans, si je puis dire, l’éducation initiale des parents ! Une récente étude de l’association e-Enfance et de l’institut IPSOS révèle que 53 % des parents pensent que leurs enfants ne courent aucun risque sur Internet, 78 % considèrent qu’ils ne communiqueront pas de données personnelles de façon non protégée ou encore 43 % reconnaissent ne pas donner systématiquement de règle à leur enfant pour l’usage d’Internet.

Cette insouciance des parents est inquiétante, d’autant que les systèmes de contrôle parental, qui pourraient sembler la parade idéale, montrent leurs limites.

Limites, ne serait-ce qu’en raison des connaissances techniques minimales que leur installation nécessite. Et je sais combien les compétences des jeunes en la matière surpassent souvent largement celles de leurs parents !

La meilleure arme de protection des jeunes sur Internet passe donc bien par la responsabilisation des parents, qui requiert, d’abord, leur sensibilisation puis leur information.

Ne nous y trompons pas : ce qui est dangereux, ce n’est pas Internet, c’est l’usage que l’on en fait. J’approuve, d’ailleurs, les propos de Viviane Reding, alors commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias, qui déclarait : « L’internet est devenu indispensable à nos enfants, et il est de notre responsabilité à tous de le rendre plus sûr ».

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