Intervention de Nadine Morano

Réunion du 30 mars 2010 à 14h30
Débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias

Nadine Morano, secrétaire d'État :

Nous voyons combien il est nécessaire de sensibiliser à ce problème les parents, certes, mais aussi les nombreuses sociétés qui fleurissent sur Internet pour faciliter les contacts et les « chats » entre les adolescents, car, à l’évidence, leurs modérateurs n’ont presque aucune responsabilité ; vous m’avez d'ailleurs tous interpellée sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.

Il arrive que les modérateurs de ces sites soient des machines, ou qu’ils ne se trouvent pas présents devant les écrans au moment où un pédophile se connecte parce qu’ils sont partis déjeuner !

Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la difficulté de réguler l’internet tient non pas seulement à l’absence de frontières, mais aussi au caractère éphémère de ce réseau : les sites, notamment pédopornographiques, disparaissent parfois quelques jours, voire quelques heures après leur naissance.

Certes, le monde a changé. Internet est entré dans nos vies et il constitue un fabuleux outil d’échange. Il n’est pas question de faire le procès de ce réseau en général, mais seulement de chercher à nous en servir tout en nous protégeant de ses effets pervers.

Dans le combat que nous avons à mener, plusieurs acteurs doivent nécessairement jouer un rôle, notamment l’éducation nationale, qui constitue notre premier allié. Monsieur Lagauche, vous avez cité le B2i, le brevet informatique et Internet. Celui-ci, je le rappelle, figure de manière obligatoire depuis 2008 au programme des collèges – il est nécessaire à l’obtention du brevet des collèges –, avec l’apprentissage des « chartes d’usage », qui indiquent clairement les droits et les devoirs prévus par la loi.

En outre, la semaine dernière, le Sénat a adopté une proposition de loi dont l’article 1er prévoit que : « Dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible […] ». Il est en effet crucial que les élèves adoptent « un comportement responsable dans l’utilisation des outils interactifs, lors de leur usage des services de communication au public en ligne ».

Par ailleurs, de nombreuses actions ont été menées en partenariat avec les associations de protection de l’enfance, comme e-Enfance ou Action innocence. Celles-ci sont très impliquées dans le développement de l’application mobile « Vidéo info parents » qui apporte aux parents des informations complètes sur plus de cinq cents jeux vidéo.

Je pourrais citer également la Délégation aux usages de l’internet, qui s’inscrit dans le programme européen « Internet sans crainte » et propose sur son site des « foires aux questions », des kits de sensibilisation et un numéro vert destiné aux parents, de même qu’un serious game dont la vocation est de sensibiliser les enfants et les adolescents à la protection de la vie privée. En effet, celle-ci est très souvent mise en péril par les jeunes eux-mêmes ou par des tiers peu scrupuleux.

Nathalie Kosciusko-Morizet a réuni de nombreux acteurs de la Toile, afin de trouver une réponse aux problèmes posés par la publication d’éléments de la vie privée des internautes, que ceux-ci soient majeurs ou mineurs. La cause que nous défendons ici est essentielle, j’y insiste, puisqu’il s’agit du droit à l’oubli.

De nombreuses pistes sont apparues, en ce qui concerne la pédagogie, la facilité d’usage des outils de protection des données personnelles ou encore les voies de recours en cas de problème.

Enfin, les nombreux efforts qui sont actuellement déployés pour favoriser le développement d’une offre légale de contenus en ligne sécurisée, en ce qui concerne le respect tant de la propriété intellectuelle que du droit des usagers, dans la continuité, notamment, des travaux menés par la mission Zelnik, permettront de progresser vers un Internet plus civilisé pour les adolescents. Le projet de « carte musique » destinée aux jeunes va également dans le sens d’une promotion d’Internet comme mode d’accès à la culture.

Toutefois, ces actions ne porteront leurs fruits que si nous proposons à nos enfants une véritable éducation positive aux médias.

Éduquer aux médias, c’est d’abord – vous avez été nombreux à le souligner, mesdames, messieurs les sénateurs – réinvestir les parents d’une mission essentielle, à savoir la protection de leurs enfants. C’est aussi créer une dynamique positive, dans laquelle le jeune devient acteur de ses propres consommation et protection.

Afin d’aider les familles dans cette tâche, en 2008 j’ai demandé aux fournisseurs d’accès de proposer gratuitement un logiciel de contrôle parental à tous leurs abonnés. Quelque 95 % des parents connaissent désormais l’existence de ces programmes, mais ils sont seulement 40 % à les utiliser. Ce dernier chiffre est nettement insuffisant – j’y insiste ! –, d’autant que nous évaluons régulièrement les dispositifs de contrôle parental et avons établi un classement de ces outils selon leur performance.

Bien qu’ils connaissent ce logiciel et l’aient à leur disposition, les parents ont tendance à ne pas le faire fonctionner ou à le désactiver à certains moments de la journée, mettant ainsi en péril leurs enfants. Il faut donc communiquer fortement sur la nécessaire activation de ces dispositifs.

J’ai chargé l’an dernier l’Agence française de normalisation, l’AFNOR, de créer une norme d’évaluation des performances des logiciels de contrôle parental offerts gratuitement par les FAI, les fournisseurs d’accès à internet. Issu d’un travail de concertation entre les acteurs industriels, les associations de protection de l’enfant et les pouvoirs publics, ce standard expérimental a été publié en janvier dernier. Il fera prochainement l’objet de tests, qui serviront de base à la réalisation d’une norme française dans le courant du second semestre 2010.

Aujourd’hui, je le répète, 72 % des parents admettent laisser leurs enfants surfer seuls sur Internet. En lien avec le ministère de l’éducation nationale, nous avons élaboré une plaquette pédagogique d’information, qui a été tirée à quatre millions et demi d’exemplaires et diffusée lors de la dernière rentrée dans toutes les classes de CM2, afin de donner aux parents « Huit conseils destinés à mieux protéger [leurs] enfants sur Internet ». Ce document propose des gestes simples pour permettre aux enfants de naviguer sur le Web en toute sécurité.

Afin de faire entrer ce sujet dans les conversations des familles, nous avons aussi diffusé le clip Où est Arthur ? sur l’ensemble des chaînes télévisées. Je rappelle que j’ai fait traduire ce spot de l’allemand, puisqu’il s’appelait à l’origine Wo ist Klaus ? Nous avons décidé, avec nos partenaires européens, de le diffuser dans l’ensemble des pays de l’Union – le Luxembourg l’a fait récemment –, parce que nous devons développer une communication cohérente, dynamique et percutante en direction de toutes les familles.

Cette large diffusion intervient en complément des dispositifs qui existent déjà, en matière d’éducation, dans les médias dits « traditionnels », notamment sur le service public de l’audiovisuel.

À cet égard, je tiens à saluer le travail mené par les médiateurs de France Télévisions, de même que certaines émissions emblématiques, telles que Toutes les télés du monde, qui fut lancée voilà cinq ans sur Arte.

Hors antenne, nous soutenons bien entendu les initiatives qui contribuent à former le regard des jeunes sur les médias. Je pense notamment au programme Télémaques, créé par l’association Savoir au Présent. Au cours de l’année scolaire 2009-2010, 9 000 jeunes issus de quatre-vingt-dix établissements y participent, dans trente départements répartis dans six régions.

Afin de coordonner l’ensemble des actions d’éducation aux médias, j’ai chargé Mme Agnès Vincent-Deray, ancien membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui est à l’origine de la signalétique destinée aux enfants à la télévision et qui a rédigé le rapport Famille, éducation aux médias, de mettre en place une fondation public-privé dédiée à l’éducation aux médias. Ce nouvel outil de pilotage servira de véritable tour de contrôle de l’éducation aux médias dans notre pays.

Je souhaite que cette fondation soit chargée, notamment, d’assurer une veille autour des actions d’éducation aux médias et d’organiser les actions d’information, de communication et de formation de personnel aux médias, notamment à destination des éducateurs.

Notre objectif est de lutter contre les dangers d’Internet tout en proposant une éducation positive aux médias. Il pourra être atteint grâce à cette mobilisation. Cette fondation, je le précise, sur laquelle un rapport m’a déjà été rendu, sera mise en place d’ici à la fin du premier semestre de l’année 2010.

Cette réflexion pourra s’appuyer sur des mécanismes qui existent déjà et qui font leurs preuves. Je pense en particulier, madame Morin-Desailly, au système de classification et de signalétique en vigueur pour la diffusion d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Les dispositifs de protection de l’enfance mis en place pour la diffusion linéaire de ces œuvres et programmes doivent être étendus, notamment, à la télévision de rattrapage et à la vidéo à la demande. Sur ces deux thématiques essentielles, le CSA adoptera dans les prochaines semaines un projet de délibération, qui sera soumis ensuite aux acteurs du marché pour consultation.

Afin de faire face aux nouveaux dangers qui peuplent Internet, le Gouvernement doit poursuivre une politique active en matière de prévention, certes, mais aussi dans le domaine de la répression.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais citer l’exemple de la division de lutte contre la cybercriminalité de la gendarmerie nationale de Rosny-sous-Bois ; j’ai pu observer son travail, qui n’a fait que me conforter dans l’idée qu’il était nécessaire de bloquer les sites pédopornographiques, comme le fait déjà la Norvège. Je rappelle que le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit « LOPPSI 2 », prévoit, en son article 4, un tel blocage.

Enfin, un système de veille global a été mis en place, avec la création de la plate-forme de signalement du ministère de l’intérieur, qui, en 2009, a permis d’enregistrer environ 20 000 alertes mettant en cause des sites à caractère pédopornographique, hébergés à l’étranger et gérés par des trafiquants de l’internet.

Parallèlement, depuis un an, certains policiers et gendarmes sont autorisés à réaliser des « cyberpatrouilles » : grâce à l’utilisation de pseudonymes, qui leur permettent de se faire passer pour des mineurs, ils ont pu traiter une vingtaine de dossiers et déférer les coupables devant la justice. Le Gouvernement s’en félicite et prévoit d’ores et déjà la formation d’un plus grand nombre de policiers et de gendarmes qui viendront grossir les rangs de ces cyberpatrouilles, et ce dès 2010.

Ajoutons que nous disposons aussi d’une législation qui permet de sanctionner les auteurs de sites pédopornographiques sévissant sur Internet : le code pénal punit de peines de cinq ans d’emprisonnement le fait de diffuser, d’enregistrer ou de transmettre l’image d’un mineur lorsque celle-ci présente un caractère pornographique.

Mais un nombre croissant d’infractions sont commises depuis des pays étrangers, par le biais d’Internet, notamment pour ce qui concerne la pédopornographie. Nous avons l’obligation morale d’adapter la loi pour y faire face.

Le dispositif de protection contre les contenus illicites, institué par la loi du 21 juin 2004, ne peut s’appliquer qu’aux sites hébergés en France. Nos outils juridiques actuels ne sont pas adaptés à la protection contre les sites hébergés à l’étranger et la coopération internationale n’a pas encore permis d’aboutir à une solution globale.

C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité mettre en place un dispositif pragmatique et réactif pour lutter contre les expositions non intentionnelles à des sites pédopornographiques. En effet, ces sites utilisent souvent des adresses que l’on peut facilement confondre avec celles de sites légaux.

J’observe que de nombreux pays ont déjà mis en œuvre ces dispositifs de blocage. J’observe également que le Président de la République a tenu ses engagements en ce domaine, le blocage des sites pédopornographiques faisant l’objet de l’article 4 de la LOPPSI.

La France a, en outre, pris l’initiative de la création d’une plate-forme de signalement européenne, qui sera opérationnelle en 2011. Cela permettra aux différents pays d’échanger plus aisément les listes de blocages des sites pédopornographiques.

Si Internet ne connaît pas de frontière, il en est de même pour les nouvelles formes de criminalité. J’appelle de mes vœux une coopération internationale, qui, seule, permettra d’en venir à bout. À cet égard, je suis favorable à la proposition de Mme Najat M’jid Maalla, auteur d’un excellent rapport de l’ONU, laquelle préconise une mobilisation onusienne sur ce sujet. En effet, Internet pose des problèmes de niveau mondial. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une législation nationale, ni même d’une coopération européenne. Il nous faut aller beaucoup plus loin, pour encadrer la société virtuelle. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, je suis profondément convaincue qu’une police internationale devra être spécifiquement dédiée à Internet.

Monsieur Assouline, je vous rappelle que les collectivités territoriales ne sont pas les seules à contribuer à la réduction de la fracture numérique. Le Gouvernement a prévu de consacrer 2 milliards d’euros de l’emprunt national aux infrastructures, afin que l’ensemble du territoire puisse bénéficier du très haut débit.

Vous m’avez également interrogée sur un « CSA de l’internet ». Je l’ai rappelé tout à l’heure, la Toile est un réseau mondial. N’importe qui peut mettre en ligne du contenu. À la différence de l’audiovisuel, dans lequel le nombre d’émetteurs est limité et où chacun d’eux doit détenir une autorisation, il est impossible de réguler a priori. Seule est envisageable une régulation a posteriori. Celle-ci fait l’objet aussi bien de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui détermine les responsabilités des hébergeurs et des éditeurs, que de la LOPPSI 2, laquelle permettra de bloquer les sites pédopornographiques.

Vous vous êtes aussi interrogé, monsieur Assouline, sur les intentions du Gouvernement en ce qui concerne la transposition du « paquet télécom » et une éventuelle modification de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Le Gouvernement travaille à la transposition de cette directive, qui a été adoptée à la fin de 2009 et devra être transposée avant la fin de l’année 2011. Le texte, qui modifiera, en tant que de besoin, la loi pour la confiance dans l’économie numérique et la loi informatique et libertés, est en préparation dans les services.

Pourquoi le Gouvernement est-il opposé à la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique ? Certes, nous souhaitons mieux protéger la vie privée sur Internet et nous soutenons à cet égard certaines des mesures proposées. Toutefois, d’autres dispositions prévues s’avèrent inopportunes. Je pense notamment à la transposition partielle du « paquet télécom », qui ne permettrait pas d’adapter l’ensemble de la directive de façon cohérente. Je pense également aux dispositions sur les fichiers de police, sans lien avec celles qui ont été adoptées à l’Assemblée nationale. Je pense encore à l’obligation de mettre en place un correspondant informatique et libertés, mesure dont l’impact n’a pas été mesuré et qui présente plus d’inconvénients que d’avantages.

Vous avez aussi évoqué la régulation de l’usage des webcams. Techniquement, une telle mesure est irréalisable. Il convient donc d’informer et de sensibiliser les parents à l’utilisation de ces nouvelles technologies.

Quant à la mise en œuvre d’une signalétique positive, je vous rappelle, monsieur le sénateur, que les jeux vidéo en bénéficient d’ores et déjà, grâce à un partenariat entre le Gouvernement et les associations de protection de l’enfance. Au demeurant, je suis favorable à votre idée. Pourquoi ne pas guider les parents dans le choix des programmes télévisuels de leurs enfants ? Certaines émissions sont extrêmement intéressantes ! Il nous faut mener une telle réflexion, notamment dans le cadre de la Fondation famille, éducation aux médias.

Enfin, sur les filtrages, qui font l’objet de l’article 4 de la LOPPSI, la Commission européenne, vous le savez, envisage de rendre obligatoire le blocage des sites pédopornographiques au niveau européen, et je m’en réjouis car nous ne pourrons réussir seuls dans ce domaine.

Comme la télévision au siècle dernier, Internet a bouleversé nos modes de vie et de représentation, et nous a fait entrer dans une nouvelle ère, qui n’est plus seulement celle de l’image.

À chaque tournant de notre histoire, à chaque découverte, qu’elle soit mirifique ou terrifiante, nous avons réagi par la sidération, avant d’inventer une nouvelle codification juridique et culturelle.

Il est temps aujourd’hui de sortir du silence et d’agir. Rendons-nous maîtres de notre propre création. C’est l’honneur de l’homme que de protéger ses enfants, qu’il s’agisse d’Internet, des consoles de jeux ou des téléphones portables.

Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce débat, qui n’est cependant pas clos. En effet, nous avons un important travail à mener : nous devrons continuer à faire face aux évolutions technologiques, à sensibiliser les parents, à adapter les moyens de sécurité et notre législation. Surtout, nous devons comprendre que ce sont essentiellement nos enfants qui sont menacés sur Internet.

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