Intervention de Jean-Paul Fournier

Réunion du 30 mars 2010 à 14h30
Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Photo de Jean-Paul FournierJean-Paul Fournier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat du jour s’inscrit plus que jamais dans l’actualité. Les récentes élections ont dessiné des inquiétudes et des aspirations. L’une d’elles est précisément le besoin de sécurité.

Non moins d’actualité, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure consacre une section entière à la seule vidéoprotection.

En conséquence, dans le débat que nous avons aujourd’hui sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance, nous ne saurions ignorer les orientations du texte à venir.

D’abord, la future loi consacrera l’appellation de « vidéoprotection ». Même si les peurs d’un usage liberticide de cet outil technique se sont sensiblement estompées grâce à un encadrement judicieux, le terme réaffirme les intentions des opérateurs, à savoir protéger le citoyen et ses biens, la surveillance n’étant qu’un moyen d’y parvenir.

Jusqu’à présent adapté à la situation, cet encadrement juridique peut-il être pérenne ou doit-il évoluer en fonction non seulement des objectifs de sécurité, mais aussi des techniques ?

Je m’en tiendrai aux seules installations de protection de voie publique et des lieux ouverts au public pour examiner trois questions.

Première question, l’encadrement juridique actuel est-il adapté à la montée en puissance quasi planifiée de cet outil ?

Depuis 1995, il a très peu évolué ; le régime d’autorisation préfectorale après avis de la commission départementale reste la règle.

D’abord, ce contrôle a priori permet-il, concrètement, d’absorber convenablement la recrudescence des dossiers ?

Bien plus que l’État, les élus sont sous la pression directe des victimes et du sentiment d’insécurité très prégnant chez certains administrés. De ce fait, dès que le choix d’investir est fait, la durée de la procédure ne doit en aucun cas perturber sa mise en œuvre. Le délai de consultation de la commission est de trois mois maximum, plus un mois. Il faut s’y tenir.

Même si, aujourd’hui, il est excessif de considérer qu’il existe un engorgement dans le traitement des demandes, cette éventualité ne peut être écartée dans tel ou tel département. Dans ce cas, il devra revenir aux préfets d’augmenter la périodicité des réunions de la commission. Nous le savons tous, si la lutte contre la délinquance est un combat de longue haleine, elle exige de la réactivité dans ses applications locales.

Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel de 1994, qui impose un régime d’autorisation expresse, la souplesse pourrait venir d’une pratique plus courante et étendue de la demande d’autorisation de périmètre vidéoprotégé prévue par le décret du 22 janvier 2009. À ce sujet, bien que la circulaire ministérielle du 12 mars 2009 ait tenté d’apporter des précisions, cette notion de périmètre mériterait d’être approfondie.

Enfin, si, depuis 2006, le préfet peut prescrire la vidéoprotection pour des motifs de défense nationale ou encore dans les transports collectifs et leurs infrastructures, plus récemment, nos collègues députés ont modifié le texte initial du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure qui étendait le droit de prescription aux caméras urbaines. Malgré les intentions louables du Gouvernement, le libre arbitre de l’élu doit demeurer. Je ne doute pas un instant que notre assemblée aura la sagesse d’y veiller à son tour.

J’en viens à ma deuxième question : l’encadrement juridique permet-il une utilisation optimale des sources vidéo par les autorités policières et judiciaires ?

Le rapport de l’Institut national des hautes études de sécurité, l’INHES, est clair : la dissuasion, la prévention situationnelle se délitent très rapidement si la vidéoprotection ne démontre pas ses vertus coercitives. Son efficacité tient donc à deux éléments.

Il est d’abord nécessaire d’avoir des images de qualité. À cet égard, la loi de 2006 et les arrêtés subséquents ont fixé une norme de très haute qualité, à laquelle chaque opérateur est tenu. Il ne faut pas y revenir, mais une actualisation au gré de l’évolution des technologies s’imposera.

Ensuite, une bonne image ne sert à rien si personne n’est capable de la traiter. Sur ce point essentiel, l’engagement des acteurs l’emporte sur le cadre juridique. Le traitement des images dans le cadre de la police administrative et des procédures judiciaires relève non pas des collectivités opératrices, mais bel et bien de l’État. Or l’État n’a marqué que récemment son intérêt pour la vidéoprotection.

Il convient toutefois de reconnaître qu’il rattrape son retard, notamment depuis 2007, avec la mise en place du Fonds interministériel de prévention de la délinquance, le FIPD, et sa contribution financière au raccordement des gendarmeries et des commissariats aux centres de supervision urbaine, les CSU. Il serait souhaitable que les contrats locaux de sécurité, les CLS, formalisent l’utilisation optimale de la vidéoprotection pour une automaticité de son usage.

Par ailleurs, la prescription de l’accès des policiers et des gendarmes aux images et aux enregistrements dans le cadre de la police administrative devrait être une disposition obligatoire de l’arrêté d’autorisation.

Dans le même temps, peut-être faut-il s’interroger sur l’opportunité de créer une classification judiciaire spéciale pour une partie des agents opérateurs des CSU. Aujourd’hui, certains sont détachés et affectés à une tâche de repérage et de sélection des images. Dans ma ville, Nîmes, deux opérateurs œuvrent en permanence à la demande des services de l’État.

La réglementation doit aussi accompagner la diversité d’utilisation de la vidéoprotection. Si, en matière de contravention routière, la vidéo devient un outil utile pour les contraventions à la volée, la procédure de verbalisation demeure trop lourde : convocation du contrevenant, transmission au parquet, etc. Ne pourrait-on pas calquer ces procédures sur celles qui prévalent pour les infractions constatées par radar ?

J’en arrive à ma troisième question : l’encadrement juridique actuel prévient-il efficacement les éventuelles atteintes à la vie privée ?

Le sérieux de la procédure d’autorisation plaiderait pour son maintien en l’état. Peu de plaintes, aucune gravité. Pour autant, l’évolution des technologies doit conduire à une évolution de la réglementation ou, plus précisément, des organes de contrôle.

Comme le précisaient les auteurs du rapport d’information de décembre 2008, la compétence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés pourrait fort bien être consacrée avec la « vidéo intelligente », voire biométrique, sans qu’il y ait à redire à cela, sauf, bien entendu, à prendre en compte les récents commentaires du Conseil constitutionnel rappelant que la loi de 1978 ne s’appliquait pas dans le cas d’espèce d’images tirées de parties communes d’immeubles non liées à un fichier à caractère personnel.

Monsieur le ministre, nul n’ignore votre souhait d’attribuer par la loi la compétence de contrôle a posteriori à la Commission nationale de la vidéosurveillance, dans le droit fil de la pensée constitutionnelle. Pour autant, à l’heure de la révision générale des politiques publiques, pourquoi un organisme supplémentaire, alors que la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut offrir ses compétences éprouvées ?

Une troisième voie ne consisterait-elle pas à combiner l’acceptabilité juridique et la rationalité de la charge et de l’organisation publique ? Penser à faire entrer les missions de la Commission nationale de la vidéosurveillance dans le giron du futur Défenseur des droits présenterait peut-être un double avantage : le premier, hautement protecteur des libertés publiques et individuelles, lié à son statut constitutionnel ; le second, plus prosaïque, de rationalité et de lisibilité.

Dans tous les cas de figure, continuons à séparer l’autorisation et le contrôle. Dans un domaine où le préfet est à même de prendre en compte, dans sa décision, le ressenti des réalités du terrain, un éloignement de l’autorité compétente ne doit pas être négligé.

En conclusion, la réglementation actuelle ne présente pas de failles ou de défauts substantiels, notamment pour ce qui est de la vigilance qu’impose le respect de la vie privé. Il s’agira de l’adapter à l’évolution des techniques, à une présence généralisée dans la sphère publique et à son utilisation accrue dans ses applications originelles mais aussi nouvelles.

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