Intervention de Virginie Klès

Réunion du 30 mars 2010 à 14h30
Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas viscéralement, définitivement, contre la vidéosurveillance, mais, comme mes collègues de gauche, je suis viscéralement, définitivement, contre le dogme, contre le laxisme, notamment en matière de sécurité, et pour l’amélioration de la sécurité publique et le parler vrai.

Je suis donc venue vous dire quelques vérités, en tout cas pour mes collègues et moi, vous poser quelques questions et affirmer quelques convictions et principes démocratiques.

Pour parler vrai, il importe tout d’abord de ne pas confondre la sécurité, ou l’insécurité, avec le sentiment de sécurité, ou d’insécurité, et de ne pas entretenir la confusion en la matière.

Un exemple suffira à illustrer mon propos. Deux de mes amies ayant emprunté à New York le métro à une certaine heure ont éprouvé un fort sentiment d’insécurité. Un autre de mes amis, qui se trouvait dans le même métro au même moment, s’est quant à lui senti en parfaite sécurité. Je précise qu’aucun d’entre eux ne s’est fait agresser.

Monsieur le ministre, comme, dans votre ministère, on aime les chiffres et les statistiques, et comme un exemple ne vaut pas démonstration, je reprendrai les résultats des enquêtes sur la délinquance et sur le sentiment d’insécurité des femmes. Alors que, statistiquement, celles-ci sont moins agressées que les hommes dans l’espace public, c’est là qu’elles se sentent le moins en sécurité. En revanche, c’est dans la sphère privée qu’elles se sentent le plus en sécurité, alors que c’est précisément là qu’elles sont le plus exposées.

Il me semble donc extrêmement important d’établir une distinction claire entre le sentiment de sécurité et la sécurité : des caméras peuvent sans doute susciter le premier, mais elles ne sauraient créer la seconde. Les deux plans sont fondamentalement différents.

C’est également pour cette raison que je m’oppose au changement de dénomination et au remplacement du terme « vidéosurveillance » par celui de « vidéoprotection ». Appelons les choses par leur nom : jamais une caméra n’a protégé personne, cela se saurait ! Une caméra est là pour surveiller. Certes, cette surveillance peut avoir pour objectif de protéger, de prévenir, d’élucider ou de contribuer à élucider, mais faire de la caméra un outil de protection, c’est confondre la fin et les moyens.

Par « vidéosurveillance », on entend un dispositif qui contribue à donner un sentiment de sécurité et qui, éventuellement, participe à la protection des citoyens, en permettant des interventions humaines subséquentes. Mais ce n’est en aucun cas la caméra elle-même qui assure cette protection !

Faudra-t-il alors donner des noms différents à ces dispositifs selon la finalité qu’ils remplissent ? Pour les caméras servant à réguler la fluidité du trafic routier, on parlera bien de « vidéosurveillance », à moins de prétendre, mais cela sera difficile à prouver, que la circulation doit faire en elle-même l’objet d’une « protection » ! Il en ira de même pour les dispositifs installés aux abords de bâtiments publics, qui relèveront encore de la « vidéosurveillance ». Mais quid en cas de manifestation ? S’agira-t-il alors de « vidéoprotection » ?

Non, encore une fois, appelons les choses par leur nom et restons-en à la notion de « vidéosurveillance ».

Le citoyen a droit à une information pleine et entière. Au sein de la commission des lois s’est dégagé un consensus autour de la nécessité d’informer et de former les citoyens, notamment les plus jeunes, sur toutes les restrictions aux libertés individuelles auxquelles peut conduire l’utilisation d’internet. Je pense au pistage dont on peut faire l’objet lorsque l’on est connecté, aux problèmes de traçabilité. Tous s’accordent sur le nécessaire droit à l’oubli et sur le respect de la vie privée. Ce qui est valable pour internet l’est également dans d’autres domaines, notamment la vidéosurveillance.

Il convient de donner au citoyen les moyens de comprendre ce qu’il y a derrière les termes employés et les technologies utilisées, surtout aujourd’hui.

Les évolutions technologiques et notamment l’apparition du numérique permettent en effet une véritable révolution dans l’utilisation des caméras et de la vidéosurveillance. Ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd'hui. Ce qui était vrai avec le minitel ne l’est plus avec internet.

Donnons aux citoyens la véritable information.

Disons-leur que le fait d’enregistrer des images en numérique rend possibles les identifications, par le croisement de fichiers, de mesures biométriques, par les dispositifs de géolocalisation. Ne pas le leur dire revient à leur cacher la vérité et les empêcher de se positionner en adultes responsables. Cessons de les prendre pour des moutons que l’on peut effrayer par des mots et forcer à adhérer à des idées ou à des concepts qui ne leur ont pas été correctement expliqués.

J’abonderai dans le sens de nos collègues coauteurs du rapport d’information, il faut une information visible et lisible quand on installe des caméras de surveillance, et ce où que ce soit. Ce point ne fera pas débat, je pense, entre nous. Mais, pour être visible et lisible, l’information doit également être comprise.

Voilà pourquoi, j’y reviens, il faut parler de « vidéosurveillance » et expliquer aux citoyens toutes les possibilités d’atteintes à la vie privée que recèle le numérique. À eux alors de mesurer le rapport entre l’atteinte à la vie privée et les objectifs de sécurité fixés par l’utilisation de cet outil technologique. Oui, il faut quelquefois porter atteinte à la vie privée pour assurer la sécurité et la protection des personnes, mais cela se mesure et c’est l’appréciation du rapport entre ces deux intérêts contradictoires qui justifiera ou non l’emploi de la vidéosurveillance.

J’en viens à l’exploitation des images enregistrées. Qui en sera chargé ? De quels personnels parlons-nous ? De la police nationale, de la police municipale, de la gendarmerie ? Faudra-t-il des officiers de police judiciaire derrière chaque caméra ? Et quelle sera la formation ? N’est-ce pas là l’occasion de créer de nouveaux métiers, qui s’appuieraient sur une vraie formation, une formation éthique, et d’assigner aux personnels ainsi formés, en toute transparence, des objectifs affichés, et non pas cachés ?

Qui se demande aujourd'hui s’il est licite ou légitime de détourner l’usage d’une caméra, dont la finalité première est de permettre la surveillance aux abords d’un bâtiment public, pour filmer une manifestation qui viendrait à s’y dérouler ? Qui déterminera s’il est licite ou légitime d’enregistrer des images ? Qui déterminera s’il est licite ou légitime de zoomer sur des individus dont le comportement peut amuser, intriguer, inquiéter ?

Qui contrôlera les manipulations de caméras et les enregistrements d’images ? Qui s’occupera de la durée de la conservation de ces images et, le cas échéant, de leur destruction ? Qui vérifiera le droit d’accès à ces images enregistrées ?

En d’autres termes, qui garantira cet équilibre entre le respect du droit à la vie privée, qui a désormais une valeur constitutionnelle, et l’atteinte à cette même vie privée, parfois inévitable en fonction des objectifs ?

Sur ce sujet, je rejoins la position de Jean-Patrick Courtois et de Charles Gautier : la CNIL est une autorité administrative indépendante dotée de toutes les compétences nécessaires, mais aussi de l’expérience et des moyens. Elle est l’institution de référence dont nous devons consacrer la légitimité pour intervenir en matière de vidéosurveillance. Je ne réitérerai pas les propositions formulées en faveur de cette autorité ; elles ont été suffisamment détaillées pour que je n’aie pas à y revenir.

La CNIL doit avoir accès aux rapports et exercer son pouvoir de contrôle. Il faut que le citoyen qui se sent bafoué dans ses droits puisse la saisir. Il faut que les avis qu’elle formule sur les autorisations ne soient pas seulement consultatifs mais qu’ils lient les autorités et qu’un avis conforme soit délivré avant l’installation de tout nouvel appareil ou de tout nouveau dispositif, bien entendu en lien avec les préfets.

Laissez-moi exprimer quelques doutes sur les objectifs chiffrés, quantitatifs, qui sont aujourd’hui affichés. Le Gouvernement entend multiplier par trois en deux ans le nombre de caméras. Pourquoi par trois ? Pourquoi pas par quatre, par dix ou par deux et demi ?

Rien, à ma connaissance, ne justifie cette multiplication du nombre de caméras. À quoi serviront-elles ? On les multiplie, mais pour les installer où ?

Pourquoi l’équipement et les achats de matériels sont-ils seuls à être budgétés ? Pourquoi n’est-il jamais question des moyens humains à mettre devant et derrière ces caméras ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de l’usage qui sera fait des images ?

Ces caméras seront-elles installées dans les grandes villes, dans les petites villes, jusque dans les coins les plus reculés de nos campagnes ? Pourquoi pas, après tout, car les routes de campagne sont parfois dangereuses, on s’y fait agresser aussi.

Je m’explique d’autant moins cet objectif de multiplier par trois le nombre de caméras en deux ans que l’expérience de la Grande-Bretagne est riche d’enseignements à cet égard : un très grand nombre de caméras ont été installées un peu partout chez nos voisins, mais sans que cela fasse l’objet d’une réflexion approfondie, et, aujourd'hui, on ne sait que faire des images enregistrées, au point que 80 % des images ainsi collectées ne sont pas traitées par les services publics britanniques. C’est considérable, monsieur le ministre, mes chers collègues.

Puisqu’il est question de sécurité, pourquoi les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance sont-ils consacrés à plus de 50 % à ce projet d’équipement en caméras ?

Et pourquoi une telle précipitation, alors que les études ont démontré que ces dispositifs n’étaient efficaces qu’au prix d’une étude en amont longue, de plusieurs mois à quatre ans parfois, afin de déterminer précisément où implanter les caméras ?

Pendant ce temps qui aurait dû être consacré à la nécessaire maturation du plan, pourquoi « geler » les autres projets, par exemple la présence de travailleurs sociaux dans les gendarmeries pour accueillir les femmes victimes de violences ? Ces projets existent, ils ont reçu l’aval du Gouvernement, mais ils sont « gelés » au profit du financement de l’équipement en caméras…

Encore une fois, pour faire quoi ? Qui sera derrière ces caméras ? Où les mettra-t-on ? Quelles sont les zones qui seront surveillées ? Ne risque-t-on pas ainsi de déplacer la délinquance ? Quels sont les espaces publics ou privés ouverts au public qui nécessitent d’être équipés ?

Mais non, tous ces aspects doivent être traités en quelques semaines, avant que l’on ne signe les bons de commande de matériels !

Maire d’une petite commune de 6 000 habitants, j’ai déjà reçu plusieurs propositions de fabricants. Cède-t-on au lobbying, aux pressions des fabricants de caméras, à l’attrait de l’argent ou tout simplement à la fascination pour un nouvel outil technologique ? Je m’interroge.

L’extension de la vidéosurveillance qui se dessine ici risque d’être, au mieux, inefficace, au pire, dangereuse. On installera des caméras partout sans avoir rien préparé en amont. On déléguera peut-être même à des sociétés privées la gestion des dispositifs et des images, c'est-à-dire, mes chers collègues, la gestion de la sécurité publique… Voilà un réel danger pour notre démocratie.

Le même prestataire qui vendra le matériel, et le projet écrit afférent, assurera la maintenance et exploitera des données qui sont pourtant considérées comme personnelles.

Nous préparons l’avènement de la société de Big Brother – ce n’est pas moi qui ai employé cette expression la première –, voire de petits Big Brothers, pour reprendre les termes d’une personnalité dont je tairai le nom et qui n’est pas de gauche.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, attachée à la sécurité, à la prévention et à la répression de la délinquance, mais aussi à la protection qui est due à tout individu, je nourris de grandes inquiétudes face à l’utilisation de cet outil. La vidéosurveillance nous est en effet présentée comme la panacée, au détriment de tous les autres moyens, notamment humains, indispensables pour assurer la sécurité de tous sur notre territoire.

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