Intervention de Jean-Paul Alduy

Réunion du 30 mars 2010 à 14h30
Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Photo de Jean-Paul AlduyJean-Paul Alduy :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage les conclusions du très bon rapport de Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier et fais miennes les onze recommandations qui y sont formulées. Ce rapport devrait permettre de dépassionner le débat.

Les évolutions rapides des technologies nous obligent à revoir sans cesse l’encadrement juridique, pour apporter la souplesse nécessaire mais aussi pour garantir les libertés individuelles.

Je l’ai entendu dire, il serait pour certains préférable, plutôt que de multiplier les instances, de recourir tout simplement à la CNIL, avec tout ce que représente aujourd'hui cette autorité, à la fois pour la délivrance de l’autorisation et l’exercice du contrôle et, j’y insiste, pour les deux volets. Si en effet on limitait sa compétence au seul contrôle, la CNIL perdrait toute l’information en amont de l’autorisation, sur la genèse des projets. D’où la nécessité de la doter également de la compétence d’autorisation. À partir de cette double compétence, une jurisprudence peut se construire peu à peu, permettant au cas par cas de faire évoluer la réglementation et de mieux maîtriser ces technologies.

Mais il me semble que le débat s’est déplacé. Aujourd'hui, il n’est plus temps de s’effrayer de la menace que feraient peser ces technologies sur les libertés individuelles ; en revanche, il convient de s’inquiéter dans une plus large mesure de l’efficacité même des dispositifs de vidéosurveillance.

Permettez-moi de vous livrer mon sentiment sur ce sujet à partir de mon expérience d’une quinzaine d’années d’animation de la ville de Perpignan.

Tout d’abord, lorsque l’on parle de vidéoprotection, on ne joue pas sur les mots, on tend au contraire à « coller » à la réalité du sujet. Il s’agit non pas seulement d’exercer une surveillance aux fins de protéger des méfaits de la délinquance, de la criminalité ou du terrorisme, mais tout simplement d’observer tous les incidents intervenant dans l’espace public.

À Perpignan, par exemple, le dispositif a permis de sauver des vies humaines. Alors qu’un pyromane s’apprêtait à faire sauter une parfumerie, les personnes dans les étages ont pu être sauvées grâce à l’appel très rapide des pompiers.

En revanche, permettez-moi d’évoquer devant vous les émeutes récentes dans cette même ville, déclenchées à la suite d’un assassinat que l’on avait d’abord cru de nature raciste, mais qui s’est révélé être un crime de jalousie. Une caméra était bel et bien installée depuis un an, et précisément au-dessus du lieu du crime, mais elle ne fonctionnait pas, faute d’autorisation…

Cet exemple renvoie au problème de la souplesse et de la rapidité des décisions en matière d’installation des mécanismes de vidéoprotection.

Personnellement, je pense qu’il faut en quelque sorte troquer la rigueur dans la planification de la politique de protection contre une certaine souplesse pour l’adaptation du système au coup par coup, permettant, par exemple, de déplacer ou d’ajouter une caméra, si nécessaire.

En d’autres termes, il faut à tout prix obliger les collectivités locales à bâtir de vrais plans, qui soient complets, c'est-à-dire qui intègrent, au-delà de la simple vidéoprotection, l’ensemble de leur politique de prévention et de lutte contre la délinquance, ainsi que tous les éléments devant contribuer à l’information du citoyen et permettre le contrôle, l’évolution, le suivi du système.

Une fois la planification soumise au regard attentif de la CNIL et validée par cette dernière, pour reprendre la proposition de nos deux corapporteurs, il importe alors de se montrer souple pour pouvoir déplacer les installations en cas de besoin.

D’ailleurs, l’idée de « zones vidéosurveillées » pourrait être très judicieuse. Ainsi, dans la lutte contre le deal, il faut pouvoir se déplacer en même temps que les dealers. À l’heure actuelle, dès qu’un système de vidéoprotection est installé, ces derniers quittent les lieux.

Cela montre bien la nécessité d’introduire de la souplesse dans l’utilisation de ces technologies et donc d’adapter l’encadrement juridique à cet effet.

Ensuite, l’efficacité dépend du fonctionnement de la chaîne des acteurs.

La coordination entre la police municipale et la police nationale donnera une véritable efficacité à ces investissements. Selon les faits constatés, il faut mobiliser soit la police municipale, soit la police nationale lorsqu’il s’agit de solliciter les moyens dont elle est seule à disposer, notamment juridiques ou de formation.

Mais la chaîne des acteurs comprend également le parquet. Grâce à la vidéosurveillance, demain la vidéoprotection, il dispose d’éléments d’information permettant d’établir le constat du flagrant délit et de procéder à des comparutions immédiates. Ces dernières sont appelées à se développer, y compris pour les mineurs, puisque la loi a mis en place des mécanismes comparables pour ces derniers.

Enfin, j’en viens au problème du coût du dispositif. Il serait erroné de croire que la vidéoprotection limiterait le nombre de policiers nationaux ou de policiers municipaux. Au contraire, plus on déploiera ces instruments, plus il faudra disposer de moyens d’intervention rapides, donc situés à proximité des lieux de constatation.

Par conséquent, outre les investissements matériels, pour lesquels vous avez mis en place un système de subvention, monsieur le ministre, le coût sera élevé.

Par exemple, dans le cas d’une ville de 120 000 habitants, assurer la présence de quinze personnes devant les écrans pour observer les quatre-vingts caméras installées représente chaque année une dépense de 450 000 euros…

Donc, compte tenu des sommes importantes en jeu, je demande que, sur ce sujet, on raisonne en coût global, c'est-à-dire fonctionnement et investissement, et en coût partagé entre l’État et les collectivités locales.

Si j’ai largement dépassé le thème aujourd’hui en débat, c’est que la question de l’encadrement juridique de la vidéosurveillance ne peut plus être dissociée de celle de l’amélioration de l’efficacité de ces dispositifs. Ne l’oublions pas, aujourd'hui, le vrai sujet, ce sont les résultats !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure actuelle, la vidéoprotection est non seulement acceptée, mais elle est demandée. Il ne faut donc pas décevoir.

Pour me résumer, il faut certes revoir l’encadrement juridique, qui date de 1995, tout en améliorant le mécanisme d’information de nos concitoyens, la coordination de la chaîne des acteurs et les mécanismes de financement.

Je terminerai en citant l’une des recommandations formulées par nos collègues dans leur rapport d’information, qui me paraît essentielle et qu’il convient de ne pas sous-estimer : « Ne pas déléguer la vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées, ni permettre aux autorités publiques de vendre des prestations de vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées. »

J’insiste sur ce point dans l’ultime phrase de mon intervention, parce que je crois que c’est une ligne jaune à ne pas dépasser si l’on veut donner aux pouvoirs publics l’entière maîtrise de l’évolution de ces technologies au service de la sécurité de nos concitoyens.

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