Intervention de Brice Hortefeux

Réunion du 30 mars 2010 à 14h30
Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales :

Je vais même un peu plus loin : je suis convaincu que l’embolie inévitable d’un dispositif d’autorisation établi sur le plan national hypothéquerait sensiblement le déploiement des caméras de voie publique dans lequel de très nombreuses communes s’engagent.

Quant au système intermédiaire, avancé par certains, consistant à faire traiter une partie seulement des autorisations au niveau national, je ne suis, à vrai dire, pas persuadé de la constitutionnalité d’un tel dispositif, au regard du principe d’égalité.

La seconde conclusion à laquelle j’arrive est que le dispositif actuel d’autorisation sur le plan départemental est suffisamment protecteur de la liberté individuelle parce qu’il est bien adapté aux besoins. Je le rappelle, le préfet doit, avant toute décision, consulter une commission départementale dont le président est un magistrat du siège. Par ailleurs, les décisions du préfet sont, bien évidemment, soumises aux voies de recours habituelles.

Le système actuel d’autorisation préalable des dispositifs de vidéoprotection établis dans les lieux ouverts au public ou sur la voie publique a donc, à mon sens, prouvé toute son efficacité. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de le modifier, en tout cas, pas en profondeur.

Monsieur Fournier, je veux vous rassurer : j’ai demandé aux préfets de réunir les commissions départementales aussi souvent que nécessaire pour éviter les « files d’attente » dans le traitement des dossiers.

L’expérience montre, en revanche, que le dispositif de contrôle a posteriori du respect des autorisations délivrées mérite, lui, d’être adapté.

Je le dis clairement, le nombre des contrôles effectués sur des installations existantes est insuffisant. Cela démontre une faiblesse du système actuel : 483 contrôles avaient ainsi été effectués en 2007 ; 2 863 l’ont été en 2008, dont 2 166 dans un seul département, les Hauts-de-Seine. Le nombre des contrôles effectués en 2009 revient au niveau de 2007.

Le volume est donc clairement insuffisant alors que, dans notre pays, plus de 100 000 systèmes ont été autorisés depuis 1995 et que des caméras sont installées chaque jour.

Par ailleurs, comme l’a remarqué l’un d’entre vous, la coexistence de cent commissions départementales rend évidemment nécessaire une harmonisation des pratiques et la mise en ordre de la doctrine juridique.

C’est pourquoi, conformément à la proposition du Gouvernement, l’Assemblée nationale a donné un statut législatif à la Commission nationale de la vidéoprotection.

Les traits marquants de son organisation sont d’abord une composition large, puisque des parlementaires, dont deux sénateurs, y siégeront, ainsi que des magistrats et un représentant de la CNIL.

La saisine sera ouverte, puisque la Commission nationale de la vidéoprotection pourra être saisie par un parlementaire, une commission départementale de la vidéoprotection ou le ministre de l’intérieur.

Les pouvoirs en matière de contrôle seront renforcés : la Commission nationale de la vidéoprotection pourra directement faire effectuer des contrôles ou solliciter les commissions départementales dans le même objectif.

Enfin, de réelles prérogatives lui seront accordées pour assurer la cohérence de l’action des préfets et des commissions départementales. Cette commission nationale pourra ainsi émettre des recommandations sur tous les aspects de la vidéoprotection et assurer, selon les termes de M. Jean-Patrick Courtois, « le développement de l’expertise sur les caractéristiques techniques et sur les bonnes pratiques en matière de vidéosurveillance, l’évaluation de la performance des technologies existantes et à venir. »

J’ajoute – parce que, ici aussi, il faut éviter le malentendu – qu’il ne s’agit pas de créer une nouvelle autorité administrative indépendante et donc de nouvelles dépenses publiques. La Commission nationale de la vidéoprotection s’appuiera sur les services et les inspections du ministère de l’intérieur pour exercer les prérogatives qu’elle aura reçues de la loi.

J’ai conscience que, si je m’arrêtais là, il y aurait sur ces travées une certaine déception. J’ai bien compris que le Sénat souhaitait étudier d’autres pistes de travail.

Je suis naturellement attentif aux propositions qui ont été faites à l’instant. Je souligne, toutefois, que nous ne partons pas de rien en la matière et que l’Assemblée nationale a déjà longuement délibéré sur les articles 17 et 18 du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Je suis certain que le Sénat et l’Assemblée nationale pourront trouver un accord qui convienne à tous, dans le cadre de la navette parlementaire.

J’ai aussi entendu le souhait exprimé par certains d’entre vous de confier le pouvoir d’autorisation et le contrôle de la vidéoprotection à la Commission nationale de l’informatique et des libertés. De façon générale, je rappelle que la loi du 6 janvier 1978, modifiée en 2004, ne confie pas à la CNIL de compétences en matière de vidéoprotection. Une telle prérogative ne figure nulle part dans la loi.

Je signale à cet égard que le commentaire publié par le Conseil constitutionnel à l’appui de sa décision du 25 février dernier, qui concerne notamment le statut de la vidéoprotection dans les parties communes des immeubles, confirme que « ne s’y applique pas non plus de manière automatique la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dite “informatique et libertés”, dans la mesure où des traitements automatisés de données à caractère personnel n’y sont pas systématiquement mis en œuvre ».

Cette hypothèse est néanmoins vérifiée, et déjà prévue par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, par exemple dans le cas de la « vidéo intelligente », c’est-à-dire quand les images des caméras font appel à des éléments biométriques – c’est-à-dire, en clair, la reconnaissance faciale – et sont couplées à des traitements de données à caractère personnel.

Par ailleurs, j’attire votre attention sur le risque qu’il y aurait d’encombrer la CNIL, qui se consacre, avec le succès que l’on connaît – nous avons pu l’apprécier au cours des derniers mois encore -, à la protection des libertés dans le domaine des bases de données informatiques.

J’ai bien compris également le sens de la proposition de M. Courtois quant au rôle de la CNIL, proposition qui, je crois, ne choque pas le sénateur Türk. S’éloignant un peu des conclusions du rapport du 10 décembre 2008, M. Jean-Patrick Courtois a rappelé à juste titre la pertinence du dispositif actuel, qui confie au préfet de département le soin d’autoriser les systèmes de vidéoprotection.

Permettez-moi enfin de revenir sur les questions que vous avez soulevées concernant le fonctionnement et le déploiement des systèmes de vidéoprotection.

Certains d’entre vous l’ont rappelé également à juste titre, il s’agit d’un outil en permanente évolution technologique. Il revient donc au Gouvernement et au Parlement de construire une réponse juridique qui soit la plus adaptée possible.

Je voudrais préciser d’abord la portée de certaines dispositions contenues dans le projet de loi « LOPPSI » telles que l’Assemblée nationale les a adoptées et qui vont toutes – toutes, mesdames, messieurs les sénateurs ! – dans le sens du renforcement de l’efficacité de la vidéoprotection.

En effet, comme l’a indiqué dans son rapport l’Inspection générale de l’administration, la vidéoprotection est efficace, madame Escoffier, mais à condition tout d’abord qu’elle soit déployée à bon escient. C’est la raison pour laquelle le Royaume-Uni ne saurait constituer un bon exemple, puisque le déploiement de la vidéoprotection ne se fait absolument pas dans les mêmes conditions que celles qui prévalent en France. On ne peut donc pas comparer les deux systèmes. Vous arrivez d’ailleurs à la même conclusion après étude du cas.

Pour que la vidéoprotection soit efficace, il faut donc qu’elle soit déployée à bon escient. Le visionnage doit en outre être effectif et facilité par des prises de vue de qualité, et les images enregistrées doivent pouvoir être facilement exploitées par la police et la gendarmerie à des fins d’investigation, sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

Pour parvenir à cette efficacité, il est nécessaire, dans les communes les plus importantes, de réunir les images dans des centres de supervision et de raccorder ceux-ci à la police ou à la gendarmerie, comme cela se fait déjà beaucoup.

Le projet de loi « LOPPSI » permettra donc concrètement de mutualiser le visionnage d’images provenant de plusieurs personnes morales au sein d’un même centre de supervision urbaine. Cette mutualisation a l’avantage de constituer un gain en termes de coûts de fonctionnement et de frais de raccordement aux forces de l’ordre.

Plus de 200 raccordements ont été effectués depuis 2007 et l’État soutient très fortement leur réalisation par des subventions importantes allant, dans certains cas, jusqu’à 100 % du coût. Je précise que, dans un souci d’efficacité opérationnelle bien compréhensible, le soutien de l’État est réservé aux projets de vidéoprotection qui prévoient un visionnage des images, pas seulement leur enregistrement, et une liaison avec les forces de l’ordre ; il faut naturellement que ce soit équilibré.

Un autre dispositif du projet de loi « LOPPSI » permet aux personnes morales de recueillir des images et de les faire visionner par des opérateurs publics ou privés dont c’est le métier. Je le rappelle, le projet de loi prévoit que des personnes privées ne peuvent en aucun cas avoir accès aux enregistrements, qui sont réservés à l’exercice de la police judiciaire. Elles peuvent seulement visionner les images, c’est-à-dire, comme tout citoyen, être conduites à signaler une infraction aux forces de l’ordre. Par ailleurs, des conditions d’agrément préalable sont prévues.

J’en viens à l’observation de Jean-Paul Alduy concernant les coûts de fonctionnement induits pour les communes par l’exploitation de ces systèmes de vidéoprotection. Il est vrai que le Gouvernement conçoit les mesures que je viens de rappeler comme un moyen de réduire ces coûts par la mutualisation des moyens, par exemple à l’intérieur d’une commune ou sur un plan intercommunal.

Comme vous le savez, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance autorise les intercommunalités à exploiter des systèmes de vidéoprotection. Cette loi et les mesures à venir répondent en partie à votre préoccupation, monsieur Alduy.

Dans le même souci d’efficacité, je proposerai au Sénat de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel relative à la vidéoprotection dans les parties communes des immeubles. Comme l’a demandé le Conseil constitutionnel, un amendement précisera les garanties attachées au transfert d’images prises dans ces parties communes vers un centre de supervision urbaine géré par la police municipale ou directement vers le commissariat ou la brigade.

Ainsi, ce transfert d’images ne pourra pas intervenir tant qu’une convention n’aura pas été conclue avec le préfet et, si le transfert est fait vers la police municipale, avec le maire de la commune.

La convention devra préciser les modalités d’information des usagers et la durée de conservation des images. La commission départementale de la vidéoprotection donnera un avis préalable au préfet, qui pourra, avant de signer la convention, renforcer, si c’est nécessaire, les dispositions de celle-ci.

Une autre condition de l’efficacité de la vidéoprotection est d’assurer un continuum de la prise d’images dans l’espace. Concrètement, il ne doit pas y avoir de rupture dans un secteur que l’on sait sensible. C’est pourquoi le projet de loi « LOPPSI » étend la capacité des personnes privées – les entreprises, par exemple – à visionner les abords de leurs bâtiments, et non plus seulement les abords immédiats, pour assurer une meilleure liaison avec les systèmes municipaux de voie publique.

J’ai bien entendu les demandes de simplification des procédures d’autorisation que MM. Courtois et Fournier ont formulées. Louis Nègre était d’ailleurs lui aussi sur cette ligne. Ces suggestions vont dans le sens d’une accélération du déploiement de la vidéoprotection. J’y souscris donc, naturellement, et ferai des propositions très précises dans le cadre des travaux que la commission des lois entamera la semaine prochaine sur le projet de loi « LOPPSI ». J’ai d’ores et déjà demandé à mes services d’examiner la faisabilité d’un certain nombre de propositions de la mission d’information, au regard notamment – c’est la limite de l’exercice – de la jurisprudence constitutionnelle, qui est très exigeante dans ce domaine.

Une seule proposition me paraît d’emblée assez difficile à satisfaire, celle qui concerne le contenu du dossier de renouvellement d’autorisation. Il est en effet nécessaire que le préfet et la commission départementale puissent examiner le dossier au regard de l’ensemble des changements qui auront pu intervenir dans le secteur concerné depuis la première autorisation. Une telle modification me paraît donc compliquée à mettre en œuvre.

Je voudrais revenir un instant sur le pouvoir de substitution du préfet aux communes. Il est indispensable dans trois cas très précis, et je les mentionne en considération des communes qui refuseraient obstinément la vidéoprotection pour des raisons idéologiques : la prévention des actes terroristes, la protection des installations sensibles – on pense aux centrales nucléaires - et la protection des intérêts fondamentaux de la nation. L’idée est d’assurer une continuité, une efficacité entre les systèmes de protection que les exploitants de sites sensibles ont l’obligation de mettre en place – par exemple, dans les gares – et les systèmes qui sont aménagés sur la voie publique par les communes.

Je l’indique dès maintenant, il n’y aura pas de dépense obligatoire à la charge des communes. Il est cependant nécessaire que le préfet puisse imposer l’installation de caméras à une commune. Cet investissement se ferait aux frais de l’État, la commune pouvant bien évidemment accorder sa contribution financière.

Enfin, vous avez évoqué les évolutions que pourraient entraîner les progrès technologiques en matière de vidéoprotection. Il est vrai que, dans ce domaine, rien n’est figé et que les techniques changent rapidement. Certains développements technologiques comme le système de lecture automatisée des plaques d’immatriculation, ou LAPI, ont déjà fait l’objet de dispositions législatives. Nous faisons des efforts très importants sur ce plan. Nous avons décidé cette année d’ajouter 500 dispositifs de lecture de ce type.

Ces évolutions sont extrêmement rapides. Je fais étudier actuellement un régime propre aux caméras embarquées. Je rappelle d’ailleurs que les images provenant de ces caméras sont prises uniquement au cours d’interventions de la police ou de la gendarmerie et sont destinées à être utilisées dans le cadre d’une procédure et non pas à tout va. Elles ne sont pas reliées à une base de données.

Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président de la commission des lois, la vidéoprotection connaît un développement sans précédent, qui est justifié. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un outil majeur au service de la protection des honnêtes gens.

Ce développement doit bien évidemment s’accompagner d’une adaptation du système de contrôle, au nom d’une bonne appréciation des situations au plan local et, encore une fois, de la protection de la liberté individuelle.

Le Gouvernement a fait des propositions, l’Assemblée nationale les a retenues. Il est aujourd’hui à l’écoute du Sénat. Nous sommes tout à la fois déterminés à mener une lutte implacable contre les délinquants et profondément attachés aux libertés individuelles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas l’un ou l’autre, ce n’est pas l’un sans l’autre, c’est tout simplement l’un et l’autre.

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