Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale sur la recherche, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur, avec François Goulard, de vous présenter aujourd'hui le projet de loi de programme pour la recherche. Ce texte, vous le savez, constitue le volet législatif du Pacte pour la recherche, que le Gouvernement propose à l'ensemble de la nation.
Ce Pacte est le fruit d'une longue et fructueuse concertation, que François Goulard et moi-même avons menée depuis six mois avec la communauté scientifique, mais aussi avec toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté que l'avenir de la recherche intéresse. Je pense aux conseils précieux et judicieux que le président Jacques Valade, notamment, a su nous donner dès notre arrivée au ministère et je veux lui en rendre hommage.
Depuis deux ans, la recherche est au coeur du débat public. Une crise de confiance a eu lieu, résultant d'un sentiment de négligence envers la recherche. Cette crise, le président et les rapporteurs de la commission spéciale sur la recherche l'ont parfaitement décrite dans leur rapport sur ce projet de loi. D'une certaine façon, elle a été salutaire. Elle a eu aussi l'immense mérite de lancer une réflexion de fond et de provoquer une prise de conscience collective.
Ainsi, nous avons pris conscience du rôle capital que joue la recherche pour l'avenir de la France : pour son avenir intellectuel, pour son avenir économique, pour son avenir industriel.
Les prestiges du « tout commerce », du « tout service », du « tout finances » se sont évanouis dans l'esprit public. Tout le monde se rend désormais compte que la science, la technologie et l'éducation sont les facteurs sine qua non d'une croissance durable et responsable.
La recherche est aussi une nécessité pour l'avenir de l'humanité sur notre planète. Les conclusions du sommet de Montréal sur le climat l'ont encore montré récemment, en appelant au développement de la recherche sur les énergies alternatives.
Les illusions anti-scientifiques se dissipent. Bien sûr, la société se méfie encore de la science. Pourtant, elle comprend de plus en plus que les réponses aux problèmes de l'humanité viendront de la science. Ce n'est pas par une fuite romantique, hors de la modernité, que nous surmonterons les problèmes du monde. C'est par plus, et par mieux, de science : plus de science fondamentale, plus de science appliquée, plus de sciences humaines.
Cette crise nous a aussi fait prendre clairement conscience, à nous décideurs politiques, des défis que la recherche française doit absolument relever pour demeurer dans la course mondiale et, si possible, être en tête. C'est pour cela que nous voulons apporter, avec le Pacte pour la recherche, des réponses durables.
Il s'agit, bien sûr, de programmer des moyens massifs à la hauteur de nos ambitions. Car la dépense pour la recherche n'est pas une dépense comme les autres : c'est un véritable investissement pour l'avenir.
Mais il s'agit aussi d'investir cet argent dans un système plus offensif, plus attractif, plus réactif, capable de faire atteindre à nos centres de recherche la masse critique nécessaire, permettant à nos chercheurs, qui sont parmi les meilleurs du monde, de déployer en France leurs talents et d'être reconnus sur la scène internationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour la recherche comme pour le reste, il faut veiller à l'efficience de l'euro dépensé. Dans la situation financière où se trouve notre pays, nous devons dire une vérité d'évidence : investir dans des structures qui ne seraient pas pleinement efficaces serait tout simplement du gaspillage.
C'est pourquoi je refuse de séparer la considération des moyens et des emplois, que nous créons en grand nombre - 3 000 postes de chercheurs, d'enseignants-chercheurs et d'ingénieurs de recherche en 2006 -, de celle des structures et des procédures d'évaluation. Tels sont les tenants de ce Pacte pour la recherche.
Une nation rassemblée autour de sa recherche, parce qu'elle a confiance en elle, confiance en sa capacité à répondre aux aspirations de la société, à relever les défis de la concurrence, à entraîner, par ses retombées, des créations d'emploi, confiance enfin en sa capacité à assurer le rayonnement de la France, c'est là tout l'esprit de ce Pacte !
Sur ce sujet, vous le savez, le Président de la République et le Premier ministre se sont engagés très fermement : une mobilisation totale a été décidée, un calendrier a été fixé, et tenu, des moyens sans précédent depuis trente ans ont été programmés malgré la situation budgétaire que vous connaissez bien, des moyens au service d'une politique ambitieuse pour la recherche.
Cette politique ambitieuse pour la recherche s'inscrit dans une stratégie plus vaste en faveur de la compétitivité de notre recherche et de notre industrie, que le Président de la République a définie. La politique de recherche est en effet complétée par une nouvelle politique industrielle qui doit permettre à notre économie de corriger ses faiblesses structurelles, en développant davantage les activités de haute technologie.
D'importantes décisions ont été prises ces derniers mois par le Premier ministre. La France mobilise et concentre ses forces pour renouer avec le grand dessein dont elle n'a jamais perdu l'ambition.
Les pôles de compétitivité ont été constitués, l'Agence de l'innovation industrielle a été mise en place avec un seul objectif : construire de nouveaux avantages comparatifs et conquérir de nouveaux marchés. Nous devons absolument être plus offensifs et réaliser des percées sur des technologies innovantes.
Ne soyons pas « bons seconds », « bons quatrièmes » partout ! Soyons premiers, grâce à la recherche !
Ainsi, les politiques que le Gouvernement met en place donnent les moyens à la France et à notre science de changer de braquet afin d'affronter la compétition mondiale.
Nous retenons cinq objectifs pour donner un nouveau souffle à notre recherche, en corrigeant les principales faiblesses de notre système. François Goulard y reviendra dans son intervention ; je vous les présente donc très rapidement.
Premier objectif : renforcer nos capacités d'orientation stratégique et de définition des priorités.
Le « pilotage automatique » en matière de recherche n'est pas une bonne méthode ; dans le monde complexe où nous vivons, un arbitrage est nécessaire entre les aspirations des scientifiques, les intérêts économiques et les préoccupations des citoyens. Des choix sont nécessaires, des orientations doivent être prises et tenues sur le long terme. Ce sont des choix complexes, mais forts d'enjeux et de conséquences.
C'est pourquoi nous voulons mettre en place un Haut conseil de la science et de la technologie, qui sera chargé d'éclairer les décisions du pouvoir politique. Les débats au sein du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie auront également toute leur place dans le processus d'élaboration de la stratégie nationale.
Deuxième objectif : bâtir un système d'évaluation de la recherche unifié, cohérent et transparent. Car l'évaluation objective et systématique est la contrepartie nécessaire de la liberté de la recherche. Sans liberté, c'est le dirigisme, sans évaluation, c'est le laxisme.
C'est la nouvelle Agence d'évaluation de la recherche, l'AER, qui jouera ce rôle. Je sais que votre commission souhaite élargir son rôle.
Troisième objectif : rassembler les énergies et faciliter les coopérations entre les acteurs de la recherche. Vous le savez, notre recherche souffre d'un manque de visibilité internationale et d'un manque de synergie nationale. Les deux problèmes sont liés. Pour y remédier, ce projet de loi prévoit la création de nouvelles formes de coopérations entre acteurs, leur permettant de rassembler leurs énergies en vue d'accroître leur taille critique ; j'y reviendrai dans quelques instants.
Quatrième objectif : offrir des carrières scientifiques attractives et évolutives. Là aussi, le problème est connu. La recherche, c'est avant tout des femmes et des hommes de vocation. Il nous faut susciter ces vocations, les développer, les entretenir tout au long des carrières scientifiques. Cela passe par une attention particulière pour les jeunes, sur lesquels repose l'avenir de la recherche.
Nous devons permettre à nos jeunes scientifiques de réaliser leur projet chez nous, en France. Pour cela, nous devons leur offrir des carrières plus flexibles, moins cloisonnées. Dans le monde d'aujourd'hui, ces carrières sont internationales par essence. À nous de proposer un environnement de qualité pour leur travail et des conditions qui permettent à nos scientifiques de partager en France l'expérience acquise à l'étranger.
Cinquième objectif : tisser des liens plus étroits entre la recherche publique et la recherche privée. C'est impératif si nous voulons que nos découvertes scientifiques génèrent des richesses, donc de l'emploi sur notre territoire plutôt qu'ailleurs.
Au service de ces objectifs, nous avons prévu non seulement des outils, mais aussi, je vous le disais en commençant, des moyens sans précédent. Ce projet de loi de programme prévoit en effet un effort public considérable : 19, 4 milliards d'euros supplémentaires par rapport à 2004 en cumulant les efforts sur les années 2005 à 2010.
Avec cette progression, le budget total de la recherche sera de 24 milliards d'euros pour l'année 2010, soit 27, 3 % de plus que le budget de l'année 2004.
Notre ambition est de redessiner le paysage de la recherche française et d'adapter ses structures aux réalités du monde d'aujourd'hui.
Pour atteindre ces objectifs, nous avons fait des choix.
En premier lieu, nous avons fait le choix de la liberté et de l'esprit d'initiative pour dessiner le paysage de la recherche de demain.
Le rôle de l'État est d'impulser une évolution plutôt que d'imposer une révolution. C'est le choix de bâtir à partir de notre héritage scientifique qui remonte au Moyen Âge, plutôt que de faire table rase et de plaquer mécaniquement des modèles observés ici ou là.
C'est aussi le choix de la confiance faite aux acteurs pour porter cette évolution. Et cette confiance va en particulier aux universités, qui doivent reprendre le rôle qui est le leur dans notre recherche, c'est-à-dire former les jeunes et susciter des vocations.
En deuxième lieu, nous avons fait le choix de la lutte contre la précarité des jeunes chercheurs, qui sont le sel de la recherche de demain.
Des engagements ambitieux et courageux sont pris pour la première fois pour remédier à cette dérive sur le début des carrières scientifiques. Nous voulons permettre aux plus jeunes de mener leurs études doctorales, les aider à choisir leurs filières, à s'orienter à l'issue du doctorat, encourager les plus talentueux avec des bourses. Et surtout, nous souhaitons consolider les périodes post-doctorales, qui sont déterminantes pour l'ensemble de la carrière scientifique en facilitant l'insertion dans la vie active, qu'il s'agisse d'une carrière dans la recherche publique ou d'une carrière en entreprise. François Goulard s'intéresse particulièrement à ce sujet, qu'il développera avec brio tout à l'heure.
En troisième lieu, nous voulons développer notre capacité à construire une recherche européenne. La science d'aujourd'hui n'avance désormais plus que sous forme de coopérations. La meilleure preuve, c'est que les prix Nobel sont remis, depuis les années quatre-vingt, quasi exclusivement à des équipes de scientifiques, qu'il s'agisse de la physique, de l'économie ou de la médecine. Le récent prix Nobel de chimie attribué à Yves Chauvin ne fait pas exception, puisqu'il travaillait dans une équipe internationale.
Dans ce contexte, les acteurs européens de la recherche souffrent du même mal que nous : une taille insuffisante.
Le Pacte pour la recherche prépare nos structures à construire de meilleurs partenariats en France, au sein de l'Europe, mais aussi au-delà. Les nouvelles structures de gouvernance de la recherche, comme l'Agence d'évaluation de la recherche ou l'Agence nationale de la recherche, affichent délibérément l'ambition de devenir des acteurs influents dans la construction de l'Europe de la recherche.
Pour affronter la concurrence internationale, la solution est claire : c'est la synergie des forces. Sans cela, nous serions rapidement condamnés à l'invisibilité et à l'inefficacité !
Cette synergie, nous voulons la développer par deux moyens : les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les PRES, et les campus. J'en rappelle très rapidement la finalité.
Les PRES sont des rapprochements géographiques, qui remédieront au morcellement actuel de la recherche, souvent dans une même ville ou un même département. Nous voulons donc inciter les acteurs qui travaillent sur un même territoire à se regrouper pour renforcer l'efficacité de leurs actions et accroître leur reconnaissance internationale. Le président Jacques Valade, qui connaît bien la situation de Bordeaux, sait de quoi je parle. Dans ce cadre, nous devons donner leur chance à tous les établissements d'enseignement supérieur, y compris les plus modestes.
Les campus, de leur côté, sont des rapprochements thématiques. Il s'agit de « mettre en réseau » des centres de recherche parfois éloignés les uns des autres dans l'espace, mais très proches par la nature de leurs travaux. Aujourd'hui, l'espace de la recherche est immatériel ; nous ne devons pas être empêchés de former la masse critique nécessaire par un simple éloignement spatial entre des laboratoires.
Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de mutualiser des forces, de les unifier et non de déposséder qui que ce soit. Les réussites des PRES et des campus profiteront à tous les organismes et à tous les établissements qui y participeront, libres à eux de s'organiser comme bon leur semble. La loi n'impose rien, elle propose des outils.
L'effet attendu de l'accroissement de la taille critique, c'est simplement plus de concrétisations de nos découvertes, donc plus de brevets, plus de croissance et plus d'emplois !
En rapprochant nos capacités et en les concentrant sur de grands thèmes bien identifiés, nous aiderons aussi les jeunes étudiants à se repérer dans le paysage de la recherche, jusqu'ici trop confus.
Les thématiques des PRES et des campus permettront d'attirer des chercheurs, tout en leur laissant une grande latitude pour creuser dans le sens le plus prometteur. C'est, par exemple, l'un des objets des projets de coopération qui sont en train d'émerger à Lyon autour des universités, des écoles et des laboratoires de recherche, tant publics que privés, pour constituer un ensemble, notamment dans les domaines de la biologie et de la santé.
Cette clarification sera également utile aux entreprises, qui pourront s'approcher du monde de la recherche avec moins d'appréhension et saisir plus rapidement les opportunités de partenariats ou de développement industriel.
D'ores et déjà, ces deux outils suscitent l'enthousiasme. Des projets très sérieux sont en cours de finalisation dans toutes les grandes villes universitaires de notre pays. Je viens de faire allusion à Lyon, mais j'aurais pu également parler de Montpellier, de Bordeaux, de Strasbourg, de Grenoble ou de la Normandie, pour ne citer que quelques exemples qui me viennent en tête immédiatement. En région parisienne aussi, les projets fourmillent.
Partout, c'est le même engouement pour définir un projet scientifique cohérent et déterminer la meilleure organisation et le meilleur outil pour le mettre en oeuvre. Notre communauté scientifique a besoin de la « boîte à outils », pour reprendre votre expression, monsieur Valade, pour concrétiser ces projets et les mettre en oeuvre.
Les effets de ces rapprochements ne se feront pas attendre. Qu'on en juge !
Si tous les PRES annoncés aujourd'hui se mettent en place, par un simple effet mécanique, la France fera un bond dans le fameux « classement de Shanghai ». Sept de nos pôles y figureraient, contre trois universités aujourd'hui. Le meilleur serait vraisemblablement classé sixième ou septième mondial, au même rang qu'Oxford ou Princeton. Aujourd'hui, la première université française est quarante-sixième.
Or, remonter dans le classement, c'est redevenir capable d'attirer des talents étrangers, qu'il s'agisse de chercheurs, d'enseignants-chercheurs ou d'étudiants doctorants ou post-doctorants. C'est enclencher le cercle vertueux de la réputation et du dynamisme.
Le Pacte pour la recherche a des effets bien au-delà de la science et de l'économie. Nous attendons aussi de ce Pacte qu'il permette à la recherche de répondre aux préoccupations de notre époque et, surtout, qu'il prépare l'avenir de notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un très grand projet qui vous est soumis aujourd'hui.