Intervention de François Pillet

Réunion du 16 décembre 2005 à 15h00
Loi de programme pour la recherche — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie du Conseil économique et social :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, le 5 octobre dernier, le Conseil économique et social a été saisi par le Gouvernement d'une demande d'avis sur le projet de loi de programme pour la recherche.

Le travail de préparation a été confié à la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, qui m'a désigné comme rapporteur. La section a procédé à des auditions, et j'ai moi-même, en complément, rencontré une douzaine de personnalités.

De longues séances de travail en section ont eu lieu avant que soit présenté le projet d'avis, en séance plénière, le 15 novembre. Le vote est intervenu le 16 novembre, après expression de l'avis des groupes et la réponse du rapporteur. L'avis a été adopté : sur 184 votants, 74 % l'ont approuvé, 14 % s'y sont opposés et 12 % se sont abstenus.

J'exprimerai de façon synthétique les principaux éléments de cet avis.

Depuis quelques années, le thème de la recherche est très présent dans la société française et c'est évidemment satisfaisant.

Les débats, les études réalisées depuis 2004 se sont avérés utiles pour la prise de conscience des enjeux et la maturation des idées. Chacun a maintenant bien perçu que la problématique de la recherche en France va bien au-delà des seuls moyens budgétaires de la recherche publique ou du nombre et du statut juridique de ses collaborateurs.

Le projet gouvernemental vient en son temps alors que nombreux sont ceux qui ont pu réfléchir et s'exprimer sur ce sujet qui conditionne l'avenir de notre pays.

Les enjeux de la recherche en France sont considérables à bien des égards : ils s'étendent du court terme au très long terme ; ils vont de l'aspiration immémoriale de l'homme à repousser les limites de la connaissance jusqu'aux retombées les plus concrètes sur la création d'emplois, la santé publique, la compréhension des tensions de la société - c'est dire toute la place qui doit revenir aux sciences humaines et sociales - ou encore le bien-être au quotidien, collectif ou individuel.

C'est bien entendu dans une perspective européenne et mondiale qu'il convient de se situer, ce qui, loin de l'exclure, renforce le besoin, à l'échelle nationale, d'une vision stratégique, d'une organisation, d'une programmation des moyens, d'une régulation de l'ensemble.

A l'appui de sa saisine, le Gouvernement a remis au Conseil économique et social trois documents de statuts différents : un exposé des motifs exprimant une vision stratégique, le projet de loi proprement dit, des fiches illustrant la stratégie et le projet de loi et présentant des mesures non législatives que le Gouvernement préconise ou envisage de prendre. C'est sur cet ensemble que porte le projet d'avis du CES.

Le sujet de la recherche n'est évidemment pas nouveau pour le Conseil économique et social. Plusieurs avis ont traité ce thème au cours des dernières années, en particulier celui qui a été voté en décembre 2003. Ces avis ont constitué un référentiel naturel et utile.

L'avis du CES examine chacun des « piliers » de l'exposé des motifs du projet de loi, puis les six objectifs, enfin les moyens programmés. Il présente ensuite des recommandations.

Tout au long de cette analyse, des avancées du projet gouvernemental ont pu être mises en évidence et, en complément, des critiques ont été formulées, des insuffisances soulignées et des voies d'amélioration proposées.

On doit juger positivement une série de dispositions élaborées par le Gouvernement, le plus souvent nouvelles, mais parfois aussi confirmant ou prolongeant des décisions récentes.

Ainsi, on peut citer : la création d'un Haut conseil de la science et de la technologie, qui aidera à décrypter l'avenir et à dégager les priorités ; la mise en place de l'Agence d'évaluation de la recherche ; l'appui à la coopération, notamment par les pôles de recherche et d'enseignement supérieur ; le rôle essentiel de l'Agence nationale de la recherche pour le financement des projets ; les allègements très significatifs des contrôles et procédures qui responsabiliseront les gestionnaires de la recherche publique et leur donneront d'indispensables degrés de liberté ; les mesures si nécessaires pour rendre les carrières scientifiques plus attractives aux jeunes ; la reconnaissance du doctorat comme première étape professionnelle ; les bourses Descartes ; les décharges d'enseignement, en particulier pour les jeunes enseignants-chercheurs ; les aides diverses pour la recherche et l'innovation dans les PME ; les instituts Carnot ; enfin, les appuis pour accéder aux financements européens, ainsi que la volonté d'une coopération renforcée en Europe.

Ces avancées sont incontestables, mais elles ne constituent qu'un premier pas, certes très attendu, qui devra être suivi d'autres pas en avant, de la part non seulement du Gouvernement, mais aussi de toutes les composantes de la recherche en France.

C'est dans cette perspective d'une démarche à poursuivre que l'avis du CES avance un nombre important de propositions, dont certaines pourraient être retenues dès le débat parlementaire.

Je rappellerai simplement les principaux thèmes ou objectifs qui font l'objet de recommandations : assurer une composition équilibrée et l'indépendance du Haut conseil de la science et de la technologie et de l'Agence d'évaluation de la recherche ; préciser la mission et le mode de fonctionnement du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie ; contribuer à l'émergence d'une recherche européenne et orienter davantage les financements européens vers la recherche amont ; engager la préparation d'une loi d'orientation et de programmation sur l'enseignement supérieur ; revaloriser de façon significative et par étapes la rémunération des chercheurs, principalement les débuts de carrière ; établir un plan pluriannuel des embauches pour anticiper sur les discontinuités et éviter les distorsions de la pyramide des âges dans la recherche publique ; approfondir la notion de « campus de recherche » ; monter en régime rapidement pour les instituts Carnot ; accentuer l'aide aux PME, qui sont les principales entreprises créatrices d'emplois, pour qu'elles se développent davantage dans le domaine des technologies avancées ; atteindre l'objectif de Lisbonne de 3 % du PIB dévolus à la recherche dans les cinq à dix années à venir - pour cela, il faut accroître progressivement les financements publics et privés de la recherche - enfin, établir une programmation engageante des dispositions budgétaires à venir, a minima pour cinq ans.

À cet égard, ainsi que vous l'avez relevé, le tableau de financement présenté est très global et assez flou puisqu'il ne précise pas s'il s'agit d'euros courants ou d'euros constants.

Je voudrais, pour clore cette présentation d'avis du CES, mettre l'accent sur la dimension temporelle, qui est essentielle en la matière. Il faut à la fois voir loin et agir vite. Agir vite parce que du temps a été perdu, que l'écart se creuse avec certains pays, que de nouveaux acteurs apparaissent avec une formidable volonté de puissance : la Chine, l'Inde, la Corée du Sud, le Brésil et bien d'autres encore.

Il a été dit : « Dans le monde d'hier, les gros mangeaient les petits, dans le monde de demain, les rapides mangeront les lents ». Dès aujourd'hui, des pays rapides - petits ou gros - ont, grâce à leur recherche et à leur enseignement supérieur, mangé une partie du marché, de l'industrie ou des services des gros ; on peut citer la Finlande, avec le téléphone mobile, la Corée du Sud, avec l'imagerie, ou encore l'Inde, avec l'informatique.

Hier; la France était parmi les gros ; les petits étaient menacés. En matière de recherche, pour garder nos atouts, qui sont réels, et nos domaines d'excellence, pour entretenir le progrès économique et donc le progrès social, nous devons absolument nous attacher à ne plus être demain parmi les lents, comme nous le sommes trop souvent aujourd'hui. Pour la recherche, cela engage les acteurs de la vie politique, économique et sociale, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé.

Aussi, dans la mise en oeuvre de la loi qui sera issue des travaux du Parlement, comme pour de nombreuses décisions que le Gouvernement entend prendre, il faudra rester simple et aller vite, sans escamoter cependant les concertations ou négociations indispensables avec les chercheurs, les entreprises, les partenaires sociaux, la société civile.

J'en arrive aux positions exprimées en séance plénière par les divers groupes du CES.

Des convergences fortes sont apparues, sans que l'on puisse évidemment parler d'unanimité, sur les avancées, considérées comme un pas qui apporte déjà des résultats concrets, mais qui doit être suivi d'autres pas.

Ainsi, il y a eu une bonne adhésion aux trois « piliers » de l'exposé des motifs du Gouvernement : un développement équilibré de l'ensemble de la recherche, fondé sur une stratégie globale et de long terme, ainsi qu'une forte coopération entre les acteurs de la recherche. Cette adhésion a également concerné la création d'un Haut conseil de la science et de la technologie, le maintien du Conseil supérieur de la recherche et des technologies avec une mission redéfinie et élargie, la mise en place d'une Agence d'évaluation de la recherche, la création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, l'amélioration de la situation des doctorants, l'accent porté sur l'aide aux PME et aux petites entreprises artisanales.

L'importance des mesures préconisées par le Gouvernement a donc été reconnue.

Une convergence s'est également manifestée sur des critiques, des insuffisances et des voies d'amélioration, en particulier sur les points suivants : le renforcement, de façon significative, des moyens financiers, afin de tendre vers l'objectif de Lisbonne, moyens qui devraient faire l'objet d'une programmation à cinq ans ; le nécessaire approfondissement d'un projet européen de la recherche où la recherche française doit tenir sa place, tout en étant confortée par la recherche des autres pays ; le renforcement d'une écoute de la société civile sur ses aspirations, du dialogue avec elle sur les priorités, le développement d'une culture mieux partagée de la recherche ; la revalorisation des carrières des chercheurs, après un premier pas encore insuffisant ; la création ou le renforcement de passerelles entre organismes publics de recherche, universités et secteur privé ; la nécessité d'une loi d'orientation et de programmation pour l'enseignement supérieur.

Sur chacune de ces rubriques, il existe bien sûr, selon les groupes, des différences d'appréciation, mais aussi, incontestablement, une attente partagée.

Enfin, des convergences sont apparues sur la vigilance nécessaire, afin que les mesures décidées ou envisagées apportent de véritables améliorations et évitent les effets contraires.

Ainsi, la création de nouvelles instances présente un risque de complexité excessive ; il faudra ensuite simplifier. Par ailleurs, l'introduction avec des moyens importants de financements par projets ne doit pas « déshabiller » les structures qui ont besoin de crédits récurrents à la hauteur pour mieux rémunérer leurs personnels et permettre un fonctionnement efficace.

En outre, il ne faut pas perdre de vue que la taille de notre pays et son appartenance à l'Union européenne doivent conduire à l'expression de priorités stables et à des choix clairs et parfois courageux. Le rôle du Haut conseil de la science et de la technologie est de les proposer.

Enfin, il conviendra de s'assurer d'une juste répartition des moyens entre la recherche amont, qui est fondamentale, et la recherche aval, et de s'attacher à une continuité et une coopération efficaces entre elles.

Cela étant, des oppositions ou des réserves se sont également exprimées sur ce projet d'avis et je vais rapidement les expliciter en vous rendant compte du résultat du vote intervenu au Conseil économique et social le 16 novembre.

Je le rappelle, sur 184 votants, 136 ont voté pour le projet d'avis, soit 73, 9 % ; 26 ont voté contre, soit 14, 1 % ; 22 se sont abstenus, soit 12 %.

Le groupe de la CGT-FO s'est abstenu, faisant valoir qu'il s'interrogeait sur la superposition de structures, que le projet de loi était insuffisant à bien des égards, qu'il ne comportait pas de plan pluriannuel de l'emploi, et que la montée en puissance de l'Agence nationale de la recherche était inquiétante.

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