Des assises de Grenoble, qui avaient pourtant permis de déboucher sur un large consensus, il ne reste que le vocabulaire.
À l'exact opposé du projet des chercheurs et enseignants-chercheurs, l'esprit inhérent à ce projet de loi érige l'innovation, la recherche à court terme, au rang de priorités de la nation.
La recherche fondamentale y est très clairement négligée. §L'essentiel de l'effort financier apparaît tourné en direction du secteur privé ; la recherche publique, affaiblie par des restrictions budgétaires successives, très partiellement compensées par les budgets de rattrapage de ces dernières années, doit désormais répondre prioritairement aux besoins des entreprises et du marché.
Que l'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de créer une séparation arbitraire entre recherche fondamentale et recherche appliquée ; les deux types de recherche sont indissociables et se nourrissent l'une de l'autre. Votre message a été entendu, monsieur Blin !
En outre, l'enseignement supérieur a été totalement écarté du projet de réforme de la recherche, alors même que ces deux activités, menées conjointement au sein de l'université, se nourrissent elles aussi l'une de l'autre et sont inséparables.
De tout temps, savoir, progrès et liberté, ont été liés. Avec cet humour distancié propre aux scientifiques, le professeur Axel Kahn nous dit : « La science est l'entreprise de l'esprit dont le but est d'accéder à la connaissance, en particulier celle des lois de la nature. Ses moyens sont la raison, le langage, l'observation et souvent la mesure.
« L'aptitude à la connaissance est universelle, c'est même l'une des caractéristiques anthropologiques de l'homme, qu'il est possible de définir comme un primate curieux, ayant les moyens de connaître, de comprendre et de léguer ce qu'il a appris à ses successeurs ». §.)
Qu'en est-il alors de la continuité entre connaissance et recherche, monsieur le ministre délégué, dans le projet de loi que vous présentez ?
Votre projet révèle l'absence de confiance du Gouvernement en la communauté scientifique. Celle-ci n'a aucunement été entendue. Elle a été moins encore associée à l'élaboration du projet de loi.
Plus grave encore, le Gouvernement a clairement exprimé sa défiance à l'égard des chercheurs, en choisissant de soumettre leurs activités aux seules décisions de l'autorité politique, unique responsable du pilotage de la recherche.
Face aux nombreuses lacunes, au manque criant de volontarisme du projet de loi de programme pour la recherche, il nous faut tracer une autre feuille de route pour ce secteur essentiel au devenir de notre pays.
C'est en s'appuyant sur les chercheurs eux-mêmes, en prenant en compte les réflexions issues des assises de Grenoble, que l'on parviendra à donner ce nouvel élan.
La démocratie ne saurait s'accommoder de contingences relevant des principes d'efficacité, de compétitivité ou de rentabilité, devenus sacro-saints.
Aussi est-il indispensable que la communauté scientifique, la société civile et le Parlement soient associés à la définition des grands axes de recherche.
Cela implique qu'ils soient représentés dans les instances telles que l'Agence d'évaluation de la recherche ou le Haut Conseil de la science et de la technologie. Pour garantir la pertinence et l'objectivité de leurs décisions, ces instances doivent impérativement être indépendantes de l'autorité politique. Il est ainsi plus que souhaitable que leurs membres soient élus ou, à défaut, proposés par leurs pairs, et non nommés unilatéralement par l'État.
Il faudra par ailleurs veiller à ce que la parité entre femmes et hommes soit respectée dans ces instances de décision, comme à tous les niveaux du système de recherche. À ce sujet, je voudrais rappeler que la place réservée aux femmes est le meilleur indice du développement d'une société. Le silence de la loi sur ce sujet est assourdissant, monsieur le ministre délégué