Ces campus briseront les liens établis entre l'enseignement supérieur et la recherche et affaibliront considérablement les disciplines économiquement non rentables.
On peut par ailleurs légitimement craindre que les régions ne disposant pas de puissants pôles de recherche ne soient privées de telles structures.
Pour toutes ces raisons, les campus ont reçu un accueil mitigé de l'ensemble des chercheurs et des universitaires, mais aussi du Conseil économique et social.
Il me semble donc impératif d'abandonner ce dispositif pour ne garder que les PRES, qui répondent à un réel besoin de mise en relation des divers acteurs présents sur un même territoire et qui permettront de renforcer les liens entre enseignement supérieur et recherche.
En atteignant une masse critique suffisante, les universités et les laboratoires de recherche bénéficieraient d'une meilleure visibilité internationale et deviendraient par conséquent plus attractifs.
Sur le plan de l'évaluation, le projet de loi de programme contribue là encore à complexifier, voire à opacifier le système existant.
Le Gouvernement entend créer une Agence d'évaluation de la recherche, censée chapeauter tous les dispositifs d'évaluation, tant des personnels que des institutions : laboratoires, universités, organismes et programmes.
Le flou le plus complet règne toutefois sur la mise en oeuvre de cette agence. Va-t-elle s'appuyer, pour constituer les équipes d'évaluation, sur le Comité national de la recherche scientifique, sur l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, sur le Conseil national des universités, ou va-t-elle procéder par nomination autoritaire d'experts ?
Ce procédé serait en contradiction avec les critères d'une bonne évaluation collégiale, d'une évaluation par les pairs, réalisée au niveau national, qui joindrait à l'évaluation des individus l'évaluation des structures au sein desquelles ils travaillent.
Une telle évaluation serait réalisée par des experts représentatifs, ce qui suppose une part importante d'élus des scientifiques aux côtés des experts nommés par les directions. De même, une généralisation des comités de visite des laboratoires est souhaitable.
Je dirai un mot de l'organisation de la recherche au niveau européen. Ce sujet est totalement absent du Pacte, alors que la France devrait être l'un des moteurs de la construction d'un espace européen de la recherche.
En ce sens, la France pourrait promouvoir la création d'un conseil européen de la recherche, chargé de définir quelques grands programmes stratégiques transnationaux, tels que de très grands équipements développés à l'échelle du continent.
François Jacob distinguait de façon imagée la « science de jour » et la « science de nuit », les deux aspects fondamentaux et inséparables de la science.
Je me fais un plaisir de le citer : « La science de jour met en jeu des raisonnements qui s'articulent comme des engrenages, des résultats qui ont la force de la certitude. On en admire la majestueuse ordonnance comme celle d'un tableau de Vinci ou d'une fugue de Bach. On s'y promène comme dans un jardin à la française. Consciente de sa démarche, fière de son passé, sûre de son avenir, la science de jour avance dans la lumière et la gloire.
« La science de nuit, au contraire, erre à l'aveugle. Elle hésite, trébuche, recule, transpire, se réveille en sursaut. Doutant de tout, elle se cherche, s'interroge, se reprend sans cesse ».
Vouloir dissocier les deux aspects que je viens d'évoquer, en privilégiant la seule « science de jour », relèverait d'une méconnaissance absolue des caractéristiques de la recherche. En d'autres termes, l'innovation et la recherche appliquée ne peuvent se développer sans articulation avec une recherche fondamentale forte.
Monsieur le ministre délégué, la réforme que vous présentez n'est pas recevable : elle manque d'ambition et relève d'une conception utilitariste de la recherche nocive pour l'avenir de notre pays. Il est indispensable de la transformer en profondeur. J'espère donc qu'elle sera largement amendée. C'est le sens et l'esprit des amendements déposés par le groupe CRC.
S'agissant d'une question aussi essentielle, l'intérêt supérieur du pays doit primer sur les logiques partisanes. Les acteurs de la recherche et l'opinion publique attendent beaucoup des élus de la nation, qui décideront, en conscience, de l'avenir sur le long terme de la recherche dans notre pays.
Je conclurai, monsieur le président de la commission spéciale, en convoquant Montaigne à cette tribune : « Quand bien même nous pourrions être savants du savoir d'autrui, au moins sages ne pouvons être que de notre propre sagesse. »
J'en appelle donc, mes chers collègues, à votre sagesse, afin de modifier ce projet de loi dans le sens souhaité par la très grande majorité des acteurs de la recherche. Soyez des semeurs de désordre - au sens thermodynamique du terme !