Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en janvier 2004, lors de la présentation de ses voeux aux forces vives de la nation, M. le Président de la République annonçait un projet de loi de programmation et d'orientation pour la recherche avant la fin de l'année. Or, depuis, le calendrier n'a cessé de glisser, et l'ambition du texte de fondre comme neige au soleil. C'est ainsi que, presque deux ans plus tard, nous nous retrouvons face à une loi de programme pour la recherche qui n'a de programme, malheureusement, que le nom.
En premier lieu, la programmation financière n'est qu'un faux-semblant ; nous commençons à en avoir l'habitude. Elle se situe, en effet, dans la droite ligne de la loi de finances pour 2006, qui vient de donner lieu à un bidouillage persistant du Gouvernement à coup d'amendements de dernière minute, de demandes de seconde délibération, de sabrage des crédits et du travail du Parlement.
Cette fois, le Gouvernement a bricolé un tableau censé récapituler l'engagement financier de l'État en faveur de la recherche, en mélangeant des crédits ouverts par la loi de finances et des avantages fiscaux hypothétiques, puisque conditionnés par les dépenses de recherche et de développement des entreprises à travers le crédit d'impôt recherche.
Ce tableau vise, en outre, à mettre l'accent sur le désormais fameux faux milliard annuel supplémentaire, qui se décompose comme suit : un tiers pour la mission interministérielle pour la recherche et l'enseignement supérieur, la MIRES, un tiers pour l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, et un dernier tiers pour les avantages fiscaux. Or, en fait, la MIRES ne bénéficiera au mieux que de 2, 3 %, chiffre qui intègre la masse salariale et laissera donc peu de marge de manoeuvre aux laboratoires concernant leurs moyens de base.
J'ajoute que, d'ores et déjà, cette programmation, en partie rétroactive, n'a pas été respectée pour 2005 et 2006. De ce fait, et étant donné que le Gouvernement retranche le milliard d'euros de 2005 du décompte des 6 milliards d'euros supplémentaires attendus d'ici à 2010, il faudrait, pour espérer atteindre l'objectif fixé, que la seule loi de finances pour 2007 prévoie 5 milliards d'euros supplémentaires.
Enfin, pour couronner le tout, le projet de loi porte lui-même la remise en cause de la programmation qu'il prévoit, puisque la poursuite de celle-ci au-delà de 2007 est subordonnée à un rapport d'étape sur la mise en oeuvre de la loi.
Nous sommes ainsi en présence, d'une part, d'un engagement financier largement hypothéqué et, d'autre part, d'une loi de programme pour la recherche qui laisse totalement de côté la gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique, alors même que le manque de perspective des carrières scientifiques pour les jeunes chercheurs a été à l'origine de la mobilisation initiée par le mouvement « Sauvons la recherche », et démultipliée par la politique budgétaire du Gouvernement pour 2004 qui, après une année 2003 sinistrée, a coupé les moyens de fonctionnement des organismes et transformé 550 emplois statutaires en contrats à durée déterminée.
À cet égard, je rappelle que l'Observatoire des sciences et des techniques avait évalué le renouvellement du potentiel humain de la recherche pour la période 2001-2010 à 29, 6 %. Cette donnée avait conduit le gouvernement Jospin à mettre en place un plan décennal de gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique sur la période 2001-2010.
Ce plan avait été conçu en complémentarité avec la programmation triennale 2001-2003 pour l'enseignement supérieur, et poursuivait cinq objectifs : anticiper les départs à la retraite massifs des années 2005-2010 ; rajeunir l'appareil de recherche publique ; réorienter cet appareil en renforçant les champs disciplinaires prioritaires - sciences de la vie, sciences et technologies de l'information et de la communication, environnement ; renforcer la recherche publique ; enfin, favoriser la mobilité des personnels de recherche.
Aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin d'une démarche comparable. Cette urgente nécessité est d'ailleurs largement renforcée par les prévisions européennes selon lesquelles au moins 700 000 postes supplémentaires de chercheurs et d'ingénieurs seront indispensables d'ici à 2010.
Les états généraux de la recherche ont, quant à eux, estimé à 5 000 le nombre de créations de postes par an pendant cinq ans, dont environ la moitié au profit des universités.
Toutefois, vous vous refusez, monsieur le ministre, à conduire une politique de recrutement à long terme, afin d'éviter, semble-t-il, les à-coups qui pourraient provoquer à la fois certains déséquilibres dans la pyramide des âges et une baisse de la qualité de la recherche.
Le silence de ce projet de loi sur l'emploi scientifique est une erreur politique majeure pour l'avenir de notre système de recherche, pour sa vitalité et pour son attractivité. Si l'on veut aller vers l'excellence, il faut déjà se donner les moyens de disposer d'un vivier de qualité.
L'idée selon laquelle la réforme de la recherche ne pouvait se faire sans l'adaptation nécessaire de notre enseignement supérieur a fait rapidement l'objet d'un large consensus. Il faut dire que l'université, seule ou en coopération, représente 80 % de notre recherche, et les enseignants-chercheurs, les trois quarts des chercheurs.
Réformer la recherche sans l'enseignement supérieur qui lui est intimement lié constitue une autre aberration de votre politique.
L'avenir de la recherche française passe forcément par l'université. Or, en dehors des PRES, l'université n'est concernée qu'à la marge. Pire, au lieu de renforcer leur gouvernance, le projet de loi porte en germe le recul de celle-ci du fait même de l'absence de coordination entre les PRES et les ex-campus, alors que le continuum indispensable entre enseignement supérieur, recherche et innovation devrait pourtant être au fondement de ce projet de loi.
Si l'innovation est désormais le moteur de la croissance économique, il ne doit cependant pas y avoir opposition entre, d'une part, le soutien à la recherche de base et l'évolution des connaissances fondamentales et, d'autre part, l'aide à la valorisation de ces connaissances par le biais du développement technologique et de l'innovation.
Or vos choix budgétaires, couplés à la nouvelle architecture organisationnelle contenue dans ce texte, aboutissent précisément, monsieur le ministre, à cette opposition contre-productive entre recherche de base et innovation industrielle.
En disant cela, il ne s'agit pas de montrer du doigt la recherche appliquée - pour la simple raison que la recherche fondamentale et la recherche appliquée participent toutes deux au même continuum -, il s'agit de mettre l'accent sur une ligne directrice périlleuse pour l'avenir.
Parce que le Gouvernement appréhende la recherche uniquement du point de vue de son point d'arrivée, de son débouché économique, il fragilise les bases mêmes de son émergence.
La recherche nécessite l'équilibre. Les découvertes et les avancées technologiques à long terme sont par nature imprévisibles, non programmables. Nombre d'avancées technologiques se sont ainsi appuyées sur des découvertes dont l'objet initial n'était que le progrès des connaissances, voire un pur débat conceptuel, théorique, je pense notamment aux nanotechnologies.
Ne négligeons pas non plus l'aspect sociétal et culturel de la recherche, tant il est vrai que celle-ci conditionne non seulement le bon niveau technologique ou économique d'un pays mais également son rayonnement culturel. À cet égard, votre politique de la recherche laisse peu de place aux sciences humaines et sociales, qui engendrent de moindres débouchés économiques.
Si les sciences humaines et sociales ne dopent pas la croissance, elles participent cependant à donner du sens à notre société ; elles sont indispensables à une meilleure compréhension de notre monde contemporain et se situent au coeur de notre identité culturelle européenne.
Concernant l'organisation du système, vous avez fait le diagnostic, justifié, de la multiplicité des opérateurs de recherche, et du manque de lisibilité qui en résulte. Cependant, alors que votre objectif était la simplification, vous nous présentez aujourd'hui une véritable usine à gaz, un enchevêtrement de structures sans aucune coordination entre elles.
Dès lors, comment vont s'articuler les PRES, les ex-campus, les instituts Carnot, les pôles de compétitivité, les réseaux de recherche et d'innovation technologique ?
De quelle visibilité notre système de recherche peut-il bénéficier dans ces conditions à l'échelon européen, ce dernier étant totalement absent de votre vision de la recherche ?
L'un des enjeux pour nos laboratoires publics consiste à pouvoir bénéficier d'une mutualisation de personnels compétents pour répondre aux appels d'offres de Bruxelles. Or ce sujet n'est pas abordé dans le présent texte et l'on peut se demander de quelle visibilité à long terme le chercheur pris dans un tel système peut disposer.
Par ailleurs, quelle disponibilité pourra-t-il conserver pour exercer sa mission essentielle, qui reste tout de même la recherche, accaparé qu'il sera par la course aux financements et la multiplication des réunions de structures ?
Au moment même où s'élabore le septième PCRD, programme cadre de recherche et développement, nous ne pouvons que déplorer que, tout comme à l'échelon national, le Gouvernement ne défende pas, au niveau européen, une vision à long terme de la recherche européenne.
La France s'honorerait pourtant, dans la crise actuelle, de faire preuve d'une ambition commune porteuse d'avenir, plutôt que de se borner à défendre les égoïsmes nationaux.
Alors que la stratégie de Lisbonne a été vidée de tout contenu, nous aurions, en effet, tout intérêt à promouvoir l'idée selon laquelle la recherche doit être la priorité budgétaire de l'Union européenne, afin qu'elle devienne, à terme, la première politique commune de l'Union.
Le récent accord du Conseil Compétitivité sur la création d'un Conseil européen de la recherche constitue, de ce point de vue, une bonne nouvelle, surtout dans le contexte actuel. Cette avancée doit être confortée. Nous devons extraire les dépenses de recherche et développement des critères du pacte de stabilité et de croissance, instaurer une agence de moyens européenne indépendante, et mettre en place un emprunt européen en faveur de la recherche.
Comme l'indique l'exposé des motifs de ce projet de loi, « le système français de recherche et d'innovation est arrivé à un tournant de son histoire ». Cependant, le Gouvernement, alors qu'il a été saisi d'une demande de réforme émanant du terrain et a bénéficié d'un audit gratuit débouchant sur un projet de propositions constructives de la part de la communauté scientifique dans son ensemble, ne s'est pas montré à la hauteur de ce rendez-vous et est, par conséquent, en train de manquer ce tournant.