Intervention de Pierre Laffitte

Réunion du 16 décembre 2005 à 15h00
Loi de programme pour la recherche — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Pierre LaffittePierre Laffitte :

Nous le savons, avec les moyens actuels, nous sommes très loin des objectifs fixés à Lisbonne.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permettrai de revenir un peu plus longuement sur ces trois points.

Premier point : il me semble que la communauté des universitaires et des chercheurs souhaiterait vous entendre clairement affirmer, monsieur le ministre, votre volonté délibérée d'étudier, avec les acteurs concernés, ce problème de gouvernance au cours de l'année à venir.

Les structures de gouvernement dans les universités en Europe sont très différentes. Nous allons pouvoir, notamment par le biais des PRES et des fondations, travailler en coopération avec les universités étrangères, mais pas uniquement avec celles qui sont situées dans les zones transfrontalières. En effet, partout en Europe, et, d'ailleurs, partout dans le monde, les scientifiques se connaissent. Une telle coopération va elle-même susciter de nouvelles envies en la matière, pour développer encore plus cette coopération et disposer de structures quelque peu comparables.

Ce problème est d'autant plus important que les représentants de la Conférence des présidents d'université, la CPU, nous ont très clairement demandé de pouvoir déroger, dans certains cas et à titre expérimental, à la loi de 1985. Lorsqu'ils sont venus rencontrer les membres de la commission spéciale, ils ont bien précisé que leur démarche était faite, non pas à titre personnel, mais bien au nom de la CPU. À cette fin, je présenterai un sous-amendement, afin d'autoriser, sous des conditions assez restrictives - peut-être trop ! -, une université appartenant à un réseau de coopération thématique avec des universités étrangères de procéder à une telle expérimentation. Nous aurons donc l'occasion de revenir sur ce sujet.

Le deuxième point concerne la recherche militaire. Pour ma part, je souhaite que le Gouvernement, notamment Mme le ministre de la défense, s'engage, avec ses collègues européens, pour développer la recherche militaire en Europe. Dans ce domaine, il convient de travailler principalement avec les Britanniques, les Allemands, les Suédois, les Italiens et les Espagnols, qui sont les plus impliqués.

Il faut parvenir à mettre en place une « DARPA » européenne, à l'image de l'agence américaine Defense Advanced Research Project Agency. Ce ne serait d'ailleurs pas insurmontable, car les coopérations en la matière peuvent se faire à deux, à trois ou à cinq. J'ai eu l'occasion d'évoquer ce projet lors d'un colloque organisé à Malmö, en Suède : a priori, les Suédois, mais aussi les Anglais, étaient très intéressés. Il me semble donc tout à fait possible d'aller de l'avant sur ce point.

Une telle structure, entre autres avantages, permettrait d'améliorer les relations des industries européennes avec l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. Je pense, en particulier, aux industries de l'aéronautique, du logiciel et de l'électronique, notamment de la microélectronique. Les Américains se servent avec profit des aides de la recherche militaire duale. Nous pourrions donc faire de même en Europe, pour obtenir une aide indirecte en faveur de certains secteurs industriels, qui s'avèrent cruciaux et stratégiques pour l'avenir, non seulement sur les plans militaire et sécuritaire, mais aussi sur les plans purement industriel et économique, au regard, en particulier, de la création d'emplois correspondante attendue.

Enfin, j'évoquerai brièvement, car le temps m'est compté, le troisième point, qui porte sur le volume financier nécessaire à prévoir.

Chaque année, les Américains dépensent 50 milliards de dollars de plus que l'Europe pour la recherche et le développement. En cinq ans, depuis le lancement de la stratégie de Lisbonne, ils ont donc dépensé 250 milliards de dollars de plus. Ne nous étonnons donc pas que les centres de recherche américains soient plus attractifs aux yeux des meilleurs chercheurs du monde entier, notamment européens et français ! Ce n'est d'ailleurs pas la perspective de meilleurs salaires qui les attire, car, tout compte fait, avec des charges supérieures, en l'absence de sécurité sociale et de soutien financier pour l'éducation des enfants, la situation n'est pas toujours très supérieure. En réalité, les chercheurs sont séduits par les moyens mis à leur disposition, dans le cadre d'équipes de recherche qui sont très souvent constituées presque uniquement d'étrangers.

Pourquoi ne pourrions-nous pas faire la même chose en Europe, d'autant que certains outils financiers existent déjà ? Les responsables de la Banque européenne d'investissement, qui ont été consultés sur la possibilité d'obtenir un emprunt de 150 milliards d'euros, ont répondu : « Nous savons faire, c'est notre métier ! Mais, bien entendu, les différents États devront nous apporter leur soutien, sans quoi nous n'aurions pas le même crédit et nous ne pourrions pas obtenir les mêmes conditions pour emprunter sur le marché mondial. »

Monsieur le ministre, dans ce domaine, les ministres européens chargés de la recherche doivent aller dans le même sens que les présidents français et allemand, qui se sont entendus sur ce point. Nous avons d'ailleurs déjà reçu l'accord des Polonais et des Danois : un tel objectif n'est donc pas inconcevable. S'il y a une volonté française, nous pourrions obtenir ce grand emprunt européen. L'euro en souffrirait-il ? Assez peu. Après tout, chaque année, pour soutenir le dollar, les Américains drainent vers eux 600 milliards de dollars sur le marché mondial, par le biais du déficit commercial.

Cet emprunt servirait à renforcer toutes les structures déjà existantes. Ainsi, les initiatives EUREKA pourraient être « boostées » et développées. La Banque européenne d'investissement elle-même et le Fonds européen d'investissement auraient les moyens d'augmenter la capacité de financement initial de toutes les entreprises innovantes en cours de création. Ils seraient également en mesure de faciliter le développement des milliers de projets qui sont actuellement soutenus par la France et par certains pays d'Europe. Enfin, le Conseil européen de la science disposerait, avec de tels moyens, des outils pour développer les infrastructures de recherche : il s'agit, par exemple, du futur accélérateur proche du CERN, le Centre européen de la recherche nucléaire, qui pourrait être réalisé plus rapidement, ou de structures analogues à l'ILL, l'Institut Laue-Langevin, ou à l'Institut Max-Planck. Par conséquent, il existe véritablement quantité de possibilités d'action.

Cela permettrait aussi de financer plus largement les programmes de mobilité de la Commission européenne, qui sont essentiels pour les nouveaux entrants, car ces programmes permettraient de fédérer beaucoup plus la communauté scientifique, technique et industrielle européenne. Ceux-ci doivent pouvoir concerner les chercheurs, les ingénieurs, les techniciens et les agents correspondants non seulement des centres de recherche, mais aussi des start up ou des centres de recherche privés des grandes entreprises.

En définitive, les structures existent, de même que les méthodes de coopération. Le financement des pôles d'excellence est désormais acquis. En France, la mobilisation en faveur des pôles de compétitivité a permis de concrétiser des centaines de projets d'études, associant opérateurs publics et privés, français et étrangers, agences nationales, structures européennes et collectivités locales. Tout cet ensemble reçoit en France un soutien accru du budget de l'État, mais celui-ci ne saurait tout faire.

La France doit donc poursuivre ses efforts auprès de ses vingt-quatre partenaires, pour parvenir à une mobilisation permettant d'enclencher fortement les appuis pour apporter un financement massif au niveau d'une agence européenne.

Le Pacte est beaucoup plus large que la loi. En particulier, les instituts Carnot, dont on parle peu, correspondent à des mesures qui seront d'ordre réglementaire. Ces « Fraunhofer » à la française nous interpellent, et nous aimerions d'ailleurs participer à la réflexion, monsieur le ministre. De même, il nous faut prendre en compte l'importance des questions de protection des innovations, qui a été en particulier posée avec la ratification par la France des accords de Londres.

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