Plus près de nous, le rapport de l'Académie des technologies sur les nanotechnologies, qui ne dit rien des risques et des enjeux éthiques, est bien faible comparé à celui de la Royal Society ou aux exigences du Congrès américain dans le 21e century nanotechnology research and development act.
Ne noircissons pas le tableau, il y a heureusement des intelligences partout. Mais après le drame de l'amiante ou l'irruption d'un germe insoupçonné comme le prion, il faut être modeste et prudent. Même les fondements de notre raisonnement, fondés sur la causalité, et son lien intime avec le temps sont bousculés.
Une récente observation nous révèle qu'un photon, en traversant un verre ou en s'y réfléchissant, suit une trajectoire dépendante de la trajectoire que l'on imposera au photon suivant par polarisation. Je dis bien « imposera ». Étant donné l'état de nos connaissances, c'est difficilement concevable, mais c'est ainsi, et la mécanique quantique nous en donnera les clefs.
Chacun doit donc accepter le regard de l'autre, ne pas se crisper dans des certitudes d'un autre temps, et entendre les précautions formulées !
En attendant, juste après la recherche fondamentale, c'est l'opportunité de valoriser très vite qui domine, même si cela ne répond pas aux besoins et aux attentes de la société. La recherche finalisée doit mieux trouver sa place dans les orientations des organismes comme dans les financements de I'ANR. Et parce que « finalisée » ne veut pas dire immédiatement valorisable et télécommandée, nous demandons l'accroissement de la part des projets blancs.
Mais pourquoi pas un État stratège ? Cette idée a été largement reprise à Grenoble. L'expression alors évoquée de « haut conseil » correspondait non pas à des nominations au plus haut niveau de l'État, mais à un collège d'intelligences croisées, comportant une part significative de personnalités élues. J'ai déposé un amendement en ce sens.
Nous n'avons pas besoin d'un cercle restreint de courtisans issus des rangs de ceux qui nous insultaient hier quand nous dénoncions l'amiante et les effets des faibles doses !
Nous avons besoin de prospective et d'humanisme, à part égale entre sciences humaines et sciences de la matière et du vivant, respectant la place d'une représentation non élitiste et non partisane des attentes de la société.
Une société qui, certes, souhaite que l'on soigne le cancer, mais qui aimerait encore mieux en connaître les causes pour les éradiquer.
Une société qui ne se résume pas à un flot de consommateurs, mais qui attend des pouvoirs publics que tout soit fait pour qu'il reste un monde à vivre sans conflits pour l'énergie et sans déchets contaminés.
Une société en droit d'exiger des pouvoirs publics que la déplétion pétrolière soit anticipée, par exemple, ou que les richesses de la biodiversité soient élucidées, avant que les aménageurs ne l'aient mise en coupe réglée.
Or, en fait d'État stratège, on assiste de la part du Gouvernement à une proposition de renoncement avec le crédit d'impôt.
En la matière, point d'orientation, point de priorité, point de contrôle ! Un grand groupe cherche-t-il à mettre au point des balles qui optimisent la déchirure de la chair par une rotation hélicoïdale à la pénétration : crédit d'impôt ! Une multinationale se pique-t-elle de permettre une surconsommation de « mal-bouffe » sans impact sur l'obésité : crédit d'impôt ! Une PME réussit-elle à déposer un brevet de conservation de l'élasticité pour le chewing-gum en tube : crédit d'impôt !
C'est donc un tiers du budget public de la recherche, celui qui est consacré aux avantages fiscaux, qui tournera le dos aux éventuelles priorités et qui ne se laissera éclairer que par le marché, fût-il contraire au développement durable.
Car la compétitivité des innovations aujourd'hui et ici n'est pas automatiquement gage de progrès humain demain ou ailleurs.
Vous conviendrez alors qu'il est inconvenant que l'ANR ajoute au budget des entreprises plus d'un sixième du budget de la recherche, sans aucun regard de l'agence de l'évaluation.
Il est un domaine de la recherche sur lequel le projet de loi est plus que discret : celui de l'expertise. Les agences, les instituts de veille sanitaire ne sont même pas cités. Pourtant, leur création fut un grand pas pour la connaissance et pour la santé publique. Il ne se passe pas un mois sans que nous en mesurions l'utilité.
Ce sont des espaces de recherche à part entière et ceux qui y travaillent rassemblent des compétences égales à celles de nombreux laboratoires. Ces agences auraient dû trouver place dans le texte et bénéficier d'un renforcement de leurs moyens dans le budget. Il y va de leur efficacité et de leur indépendance.
À l'article 6 du projet de loi, est ajouté pertinemment dans les missions de la recherche « le développement d'une capacité d'expertise ».
Il est nécessaire de clarifier les termes, et de bien mentionner qu'il s'agit d'expertise publique au service de la décision publique. Cela ne saurait se résumer aux commandes de l'industrie s'apparentant à de la consultance.
Ajouter cette mission d'expertise, très attendue, très sollicitée par la société, nécessite que le projet de loi définisse rapidement un cadre pour ce type de mission, notamment des principes déontologiques et des principes méthodologiques. Il y a quelques semaines, notre collègue Claude Saunier a organisé une audition publique sur le thème de l'expertise. Les organismes souhaitent que soient clarifiées les responsabilités. Il faut protéger les donneurs d'alerte, comme en Grande-Bretagne. Nous avons besoin d'une haute autorité de l'expertise qui garantisse indépendance et qualité des procédures, qui clarifie les rôles de chacun et la nature des éventuels partenariats internationaux. Notre collègue a déposé une proposition de loi en ce sens.
En conclusion, je souhaite vous exprimer notre déception face à un texte qui cumule de nombreux rendez-vous ratés.
Celui de la démocratie, puisque l'on restructure administrativement sans associer suffisamment la communauté scientifique et puisque la société reste tenue à l'écart des orientations de la recherche, du partage et de la production du savoir.
Celui de la jeunesse, puisque l'université n'est pas « revisitée » grâce à un travail approfondi sur les liens étroits entre l'activité de recherche et la pédagogie, qui doit y être associée dans un rapport gagnant-gagnant et puisque les étudiants qui s'y destinent le feront toujours à l'aveugle et dans la précarité.
Celui de l'avenir, puisque, sur le fond, vous facilitez plus une compétitivité traditionnelle à courte vue qu'un développement durable guidé par une recherche finalisée et puisque, sur la forme, vous ne profitez pas de ce rendez-vous pour faciliter les coopérations entre disciplines, pour procéder à une étude de nos organismes et du CNRS afin de simplifier notre système de recherche, par l'identification de synergies nouvelles.
Le plus inacceptable, c'est que vous utilisez discrètement le ressort budgétaire pour mener à bien une réforme très libérale, sans la soumettre publiquement au débat. Avec le crédit d'impôt et une part significative des moyens de l'agence, plus de la moitié de l'argent public de la recherche s'en va à l'entreprise, sans contrôle, tandis que la recherche publique se verra contrainte à recourir de plus en plus à des emplois non durables, sur projets.
Un regard sur nos réussites d'hier vous aurait montré que c'est du foisonnement que naît l'excellence que vous appelez de vos voeux.
Une politique sportive pour tous élève le niveau physique d'une population et donne l'opportunité de grandes championnes. On ne décrète pas une médaille d'or. On veille à la présence de gymnases et d'animateurs dans tous les quartiers, pour que se révèlent des talents.
La biodiversité est la garantie dans la nature de voir émerger les organismes les mieux adaptés, les plus beaux, les plus malins. On ne cultive pas une forêt pour produire des orchidées. On veille à ce que 10 000 espèces participent à un écosystème où elles peuvent s'épanouir.
Une politique de recherche attractive et diversifiée, pluridisciplinaire et coopérative ferait assurément naître des talents remarquables. Ce n'est pas en s'arc-boutant sur les brevets et la privatisation, ce n'est pas en mettant la valorisation comme préalable que l'on garantit la réussite, l'emploi et le vrai progrès humain.