Un seul cas, que j’oubliais, s’est produit en 1960, lorsque le Parlement s’en est pris à Marcel Dassault pour instituer un prélèvement exceptionnel sur les bénéfices de la force de frappe, disposition qui n’a jamais pu techniquement être vraiment mise en œuvre et qu’on a fini par abroger. Oublions ces souvenirs qui ne sont pas très glorieux !
En deuxième lieu, cette disposition est contraire au principe de la séparation des pouvoirs en tant qu’elle remet en cause la chose jugée. Si nous acceptons de nous engager dans cette voie, nous serons condamnés demain à adopter d’autres textes, d’autres lois, pour revenir sur la chose jugée lorsqu’elle ne nous plaira pas, sans parler des indemnités versées en réparation de préjudice par décision de tribunaux, que nous considérerons avoir le droit de contester et de remettre en cause d’une manière ou d’une autre si le chiffre ou le bénéficiaire nous déplaît.
En troisième lieu, dans le cas qui nous occupe, quoi que l’on pense du fond, quel que soit l’angle sous lequel on considère le dossier litigieux, l’indemnité qui a été accordée est la réparation d’un préjudice, c’est-à-dire un élément de patrimoine, et, vous le savez, mes chers collègues, le patrimoine n’est pas toujours matériel, il peut être immatériel, moral par exemple.
Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, reprise par tous les textes sacrés de la République et par le droit européen, interdit toute expropriation sans indemnisation juste et préalable. De ce point de vue-là, le dispositif de l’article 2 représente une forme d’expropriation par le biais de l’impôt.
Enfin, en quatrième lieu, se pose le problème de la rétroactivité. Dans la mesure où cette disposition, même si elle est fiscale, a été présentée à l’Assemblée nationale – comme elle risque de l’être ici – comme une véritable sanction, elle ne peut, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les sanctions ou les quasi-sanctions en matière fiscale, être rétroactive sans violer la Constitution.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, j’ai été pour ma part profondément malheureux de constater que le Parlement de la République pouvait s’engager dans cette voie. En réalité, dans cette affaire, nous ne faisons pas du droit, nous ne faisons pas de la fiscalité, nous n’essayons pas d’apporter au budget de l’État un certain nombre de ressources : nous votons la sanction du pécheur et du péché ! Celui qui a péché un jour est promis au feu éternel, et, même s’il a payé, même s’il a fait de la prison, même s’il a été sanctionné, peu importe ! On le poursuivra jusqu’à la fin de ses jours…
Ce n’est pas une démarche républicaine, ce n’est pas une démarche laïque, c’est la démarche des intégrismes religieux, même si nos collègues n’ont pas forcément voulu cela ! Et dans la République, c’est particulièrement odieux !
Alors, on a évoqué l’opinion publique. Ah, mes chers collègues, parlons de l’opinion publique !
Elle a largement présidé aux débats de la Révolution et des débuts de la République. C’est elle qui hurlait pour envoyer à l’échafaud, qui criait « à mort ! », qui soutenait Fouquier-Tinville ! Voilà l’opinion publique ! Et l’opinion publique n’est jamais à une vengeance près !
Mais nous ne sommes pas le bras armé de la vengeance. §Nous sommes le bras armé de la loi, laquelle doit être égale pour tous et respecter les principes sacrés de notre société démocratique.
Pour ces motifs, monsieur le président, je voterai l’amendement n° I-1 de la commission des finances visant à supprimer l’article 2 bis. C’est une position républicaine, quelle que soit, je le redis, le fond du dossier qui, au cas particulier, ne m’intéresse pas. Je pense que ce serait, de la part du Sénat, un acte salutaire que de rappeler à l’ordre dans ce domaine, en indiquant que le Parlement ne peut pas se livrer ainsi, à la petite semaine, sous prétexte que l’on braille ici ou là, à une petite vengeance minable et indigne de lui !