Sur le fond, je partage naturellement l’émotion de nos compatriotes, qui a conduit M. Arthuis à nous présenter l’amendement n° 74 rectifié bis. Comme Mme Bricq, j’ai l’impression d’être pris dans une course de vitesse.
La vérité, c’est que les décisions réglementaires ou législatives ne permettent pas de diriger les entreprises, même en période de crise, fût-ce avec le soutien de l’État, avec la plasticité nécessaire pour s’adapter à chaque situation.
À ce propos, je voudrais rappeler que la réforme de la Constitution que nous avons votée récemment nous offre un outil qui, je le déplore, n’a pas été utilisé jusqu’à présent. Je veux parler des motions, grâce auxquelles une assemblée, par un acte politique fort, peut exprimer sa conviction, tout en laissant à ceux qui gèrent le pays au quotidien la responsabilité d’en tenir compte dans leurs décisions.
Le soutien de l’État aux entreprises recouvre une infinité de situations. Le vote d’une motion de principe tendant à reconnaître que le contribuable n’a pas à venir au secours de dirigeants défaillants recueillerait sans nul doute l’unanimité du Sénat et de l’Assemblée nationale. En revanche, quand il s’agit d’entrer dans les détails de la gestion des entreprises, on est obligé de se demander jusqu’où on peut aller, jusqu’où on doit aller, quels sont les cas qui méritent d’être retenus.
Je voudrais vous rendre attentifs à cette distinction entre une orientation de principe, qui aurait pu être définie par une motion, et la responsabilité du Gouvernement dans l’adoption de clauses contractuelles de soutien aux entreprises privées, ou publiques, qui aurait permis à l’État partenaire et, d’une certaine façon, à l’État créancier de fixer des règles adaptées à la situation de telle ou telle entreprise en tenant compte de l’esprit de ladite motion.
Permettez-moi de vous donner deux exemples extrêmement concrets tirés de l’actualité.
Un grand groupe automobile français vient, en pleine crise, de changer de président. À écouter les déclarations du président sortant, on mesure que cette décision, qui l’a surpris, ne recueille pas son assentiment. Les actionnaires ont donc pris leurs responsabilités.
Cette entreprise reçoit-elle une aide de l’État ? L’a-t-elle demandée ? En tout état de cause, lorsque des actionnaires, par l’intermédiaire de leur conseil d’administration, recrutent un nouveau président, ils lui font naturellement des propositions. Or il est vraisemblable qu’un président de qualité demandera à être associé au succès éventuel de l’entreprise dont il prendra la charge. S’il ne relève pas l’entreprise, il ne bénéficiera de rien. Si son action est couronnée de succès, il en recueillera certains avantages, puisqu’il aura, au moment de son entrée dans l’entreprise, négocié en ce sens.
Doit-on se priver de la possibilité de renouveler dans certaines conditions les dirigeants ? Doit-on traiter tous les dirigeants d’une même entreprise de la même façon, sans distinguer entre ceux qui gagnent en termes de productivité ou de parts de marché et ceux qui perdent, sur le terrain financier, ce que les autres ont gagné grâce à leur démarche commerciale ou industrielle ?
Selon moi, lorsque l’État intervient comme créancier, il faut lui laisser la liberté, comme à n’importe quel banquier ou actionnaire, de fixer ses règles, dans le cadre d’un esprit général qu’une motion aurait pu fixer.
Prenons un deuxième cas de figure. Pour sauver certaines entreprises, on sera amené à accepter des fusions, qui reposeront sur la valorisation de l’entreprise aidée. Il serait tout de même anormal qu’une entreprise extérieure puisse bénéficier d’une valorisation et prendre une part importante du capital de la société cible, alors que les nouveaux cadres qui participeraient au redressement de l’entreprise ou ceux qui auraient prouvé leur capacité dans l’entreprise seraient pénalisés, parce que l’État serait intervenu et qu’on appliquerait une règle générale.
Madame Bricq, vous avez raison, et je le dis très clairement, la course de vitesse n’a peut-être pas permis d’appréhender la complexité de certaines situations. À aucun moment l’État ne doit oublier que, s’il gère l’argent des contribuables, la meilleure manière de le faire est encore celle qui tient compte de chaque situation particulière.
C’est la raison pour laquelle, cher collègue Jean Arthuis, je ne voterai pas votre amendement, non pas que j’en réprouve l’esprit, mais je pense qu’un article de loi destiné à encadrer l’intervention de l’État est beaucoup trop rigide pour pouvoir épouser la multiplicité des situations.
Cela dit, la Haute Assemblée, portée par l’émotion générale, va certainement adopter cet amendement, car il faut en effet condamner ceux qui ont failli. Le drame, c’est qu’un grand nombre de dirigeants d’entreprise n’ont pas manqué à leurs obligations : ils se sont battus dans un environnement conflictuel et concurrentiel extraordinairement difficile, affrontant des difficultés parfaitement imprévisibles.
Aujourd’hui, ces dirigeants demandent l’aide de l’État. Qu’ils renoncent à certaines rémunérations ou qu’ils suspendent leur versement, chacun le comprend. Mais, s’il faut renouveler des équipes dirigeantes ou fusionner des entreprises, ne nous privons pas de la possibilité de recruter les meilleurs.