Intervention de Dominique Leclerc

Réunion du 13 novembre 2006 à 15h00
Financement de la sécurité sociale pour 2007 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Dominique LeclercDominique Leclerc, rapporteur :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si ce projet de loi de financement pour 2007 ne consacre qu'un petit nombre de dispositions à la branche vieillesse, il s'agit bien évidemment de mesures importantes, portant sur des questions d'actualité qui intéressent directement tous nos concitoyens : l'emploi des seniors et les conditions de liquidation des pensions des assurés sociaux du régime général, à l'horizon 2008.

Ces dernières années, la commission des affaires sociales a souhaité contribuer à alimenter le débat en avançant des idées et des propositions, dont bon nombre sont entrées en vigueur ou ont été reprises par le Gouvernement, ce dont nous nous félicitons.

Bien évidemment, au cours de l'examen du texte, nous vous proposerons de continuer dans cette voie.

Cette démarche se fonde sur quelques principes simples, auxquels nous avons réaffirmé solennellement notre attachement.

Il s'agit du respect de l'équilibre financier des régimes de retraite, de la préservation de l'équité entre les générations ainsi que des intérêts, trop souvent oubliés, des jeunes actifs, de la réduction des injustices entre les assurés sociaux, de l'introduction de davantage de transparence dans le fonctionnement de l'assurance vieillesse, de l'amélioration du pilotage et de la gouvernance des régimes, en particulier dans la fonction publique d'État - quel beau voeu ! -, de la simplification des transferts financiers de la compensation démographique et de la garantie, pour les assurés sociaux du secteur privé, de la neutralité des opérations d'adossement des régimes spéciaux.

J'en viens à présent à la situation de la branche vieillesse, que nous pouvons juger paradoxale, car son déficit s'est nettement creusé depuis deux ans, en dépit de l'entrée en vigueur de la réforme de 2003.

Mes chers collègues, vous connaissez les chiffres : le déséquilibre de la branche vieillesse devrait atteindre 3, 5 milliards d'euros en 2007, après 2, 4 milliards d'euros en 2006 et 1, 9 milliard d'euros en 2005.

Ce constat mérite d'être expliqué. Il tient tout d'abord à des facteurs démographiques, notamment les départs en retraite des premières classes d'âge du baby-boom. Ensuite, l'adaptation de nos finances sociales aux effets du vieillissement de la population ne fait en réalité que commencer, et la réforme des retraites de 2003 était graduelle : la montée en charge de nombreuses mesures ne sera achevée qu'à partir de 2008, voire entre 2015 et 2020.

Toutefois, on ne soulignera jamais assez combien la loi Fillon était généreuse, puisqu'elle comporte de nombreuses dépenses nouvelles au bénéfice des assurés sociaux et associe des charges supplémentaires à effet quasi immédiat et des mesures d'économies à moyen et à long terme.

Ces différents facteurs expliquent le creusement actuel du déficit de l'assurance vieillesse, qui était largement anticipé.

Néanmoins, grâce au recul de trois ans dont nous disposons, nous devons avoir la lucidité d'admettre, me semble-t-il, que plusieurs brèches menacent l'équilibre institué par la loi du 21 août 2003.

Ainsi, tout d'abord, du coût, beaucoup plus important que prévu, de la mesure relative aux carrières longues, dont nous pouvons d'ailleurs nous demander s'il sera longtemps soutenable financièrement, d'autant que ces dispositions ont été partiellement détournées de leur objet, puisque les assurés sociaux ont été autorisés à racheter leurs années de cotisations incomplètes ou leurs années d'études pour bénéficier de ce dispositif.

Un tel cas de figure n'avait jamais été envisagé dans la loi de 2003. Or, il concerne aujourd'hui 15 % des demandes et coûte anormalement cher à la branche vieillesse. Il faut donc mettre un terme à cette dérive, me semble-t-il.

Un deuxième motif d'inquiétude réside dans la faiblesse persistante du taux d'emploi des seniors, car nous ne constatons malheureusement aucune inflexion des comportements individuels et collectifs dans le monde du travail.

De fait, les moyens de contourner le report de l'âge du départ en retraite des assurés sont très nombreux. Les règles de mise à la retraite d'office, pour lesquelles le législateur de 2003 avait volontairement laissé une large place au dialogue social, constituent un véritable cas d'école.

Je suis malheureusement obligé de constater qu'en signant 122 accords de branches les partenaires sociaux ont sur ce point vidé de toute sa substance la réforme de 2003. Huit de ces accords sont même allés jusqu'à autoriser des départs avant soixante ans, ce qui est illégal !

D'ailleurs, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit de nouveau la création d'un dispositif qui n'est pas conforme à l'esprit de la loi de 2003, et que nous ne pourrons donc pas soutenir.

Dans ce contexte, le plan national d'action en faveur des seniors élaboré par le ministre délégué à l'emploi, M. Gérard Larcher, constitue une initiative courageuse que nous soutenons totalement.

À la lumière de ce précédent, je m'inquiète aussi de la perspective d'une dérive des négociations en cours entre les partenaires sociaux sur la pénibilité, une notion difficile à apprécier et à cerner. J'y vois un risque élevé de création d'un mécanisme supplémentaire de cessation précoce d'activité, alors même que la question de la soutenabilité financière du dispositif des carrières longues se trouve posée.

À l'occasion de l'examen de ce PLFSS, notre commission souhaite également que le Sénat débatte de la question - rarement évoquée - de la fragilité de la CNAV, la caisse nationale d'assurance vieillesse, dans l'architecture de l'assurance vieillesse.

En ma qualité de rapporteur de la branche vieillesse depuis 2001, en effet, j'ai pu constater à de nombreuses reprises la vulnérabilité du régime général, dans ses rapports avec l'État comme avec les autres régimes sociaux.

Le dossier de l'adossement de La Poste conforte d'ailleurs ce sentiment, même si le Gouvernement - et je m'en félicite, monsieur le ministre -, n'a pas précipité cette opération dans le cadre du présent PLFSS, comme la presse lui en prêtait l'intention voilà quelques semaines.

En fait, l'autonomie toute relative du régime général d'assurance vieillesse tient beaucoup à la force de caractère de la présidente de la caisse nationale, Mme Karniewicz, ainsi qu'au sens des responsabilités des membres de son conseil d'administration.

La réforme des critères de la compensation démographique intervenue en 2002 montre que l'on assigne régulièrement à la CNAV le rôle de financeur en dernier ressort du système de protection sociale, et cela sans que la caisse en ait les moyens.

De la même façon, les instances du FFIPSA réclament avec insistance une nouvelle modification à leur profit de ces mêmes critères de calcul depuis juin 2005. Si tel devait être le cas, 700 millions d'euros supplémentaires seraient mis chaque année à la charge du régime général.

La CNAV fait donc figure de victime toute désignée des opérations de régulation budgétaire. S'y ajoutent les risques inhérents à la perspective d'une généralisation des adossements de régimes spéciaux.

Comme notre commission l'a répété à maintes reprises, ces opérations se chiffrent en dizaines de milliards d'euros d'engagements : 95 milliards d'euros pour les IEG, les industries électriques et gazières, 23 milliards d'euros pour la RATP, et sans doute demain 70 milliards d'euros pour La Poste et plus de 105 milliards d'euros pour la SNCF.

Certes, le Gouvernement s'est engagé à ce que ces montages soient neutres pour les assurés sociaux du secteur privé. Toutefois, nous le savons, le calcul des soultes n'est pas une science exacte et la neutralité de ces opérations ne pourra être constatée que a posteriori.

Notre commission déplore également qu'en dépit de l'obligation d'information préalable du Parlement, votée l'an dernier, nous ne connaissions toujours ces opérations que par voie de presse.

Il faut donc sécuriser davantage les prochains adossements, d'une part, en donnant au régime général la possibilité de disposer d'une clause de révision, à l'instar de l'AGIRC, l'Association générale des institutions de retraite des cadres, et de l'ARRCO, l'Association des régimes de retraite complémentaires, et, d'autre part, en rendant obligatoire la consultation du conseil d'administration de la CNAV. Notre commission s'y sent d'autant plus autorisée que le dernier rapport de la Cour des comptes a largement souligné l'ambivalence de ces adossements.

Enfin, sans engager dès maintenant le débat de 2008 sur les retraites, nous croyons utile, en cette fin de législature, de tirer quelques enseignements en vue de la prochaine réforme.

En effet, nous sommes convaincus qu'il nous faudra partir d'un constat lucide et nous défier d'une approche trop volontariste.

Nous ne devons à aucun prix surestimer la validité d'un scénario de retour rapide à un taux de chômage de 4, 5 % et de transfert d'excédents futurs à l'UNEDIC, l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce. En ma qualité de rapporteur pour la branche vieillesse, je l'ai d'ailleurs indiqué à M. Hadas-Lebel, le nouveau président du COR, le conseil d'orientation des retraites, en lui signalant quelques conclusions très contestables développées dans le troisième rapport de cette institution.

Je pense, en particulier, à l'évolution probable au cours des prochaines années du taux de remplacement, c'est-à-dire du rapport entre la retraite perçue et le dernier salaire d'activité. Le rapport du COR fait apparaître une situation plus avantageuse dans le secteur privé que dans le secteur public. Or cette présentation n'est pas conforme à la réalité, et il ne faudrait pas que la prochaine réforme des retraites s'engage sur de telles bases.

Je suis d'ailleurs régulièrement interpellé par des assurés sociaux du secteur privé inquiets de la perspective d'une diminution inexorable du taux de remplacement et d'autant plus choqués de la sollicitude de l'État pour les bénéficiaires d'autres régimes, et notamment des régimes spéciaux.

Notre commission estime également qu'une saine régulation de l'assurance vieillesse consisterait à modifier aisément, chaque année, les grands paramètres de gestion des régimes.

Or, nous le savons, la technique des annuités oblige, à l'inverse, les pouvoirs publics à procéder à une réforme « lourde » au début de chaque législature, qui se traduit systématiquement par un véritable psychodrame national. Ce mode de gestion devient de moins en moins facilement utilisable et incite paradoxalement, comme nous le constatons aujourd'hui, les assurés sociaux à partir en retraite dès qu'ils le peuvent. Pour cette raison, d'ailleurs, l'Allemagne comme la Suède ont abandonné cette technique des annuités. Mes chers collègues, sachons nous inspirer des exemples étrangers lorsqu'ils sont probants !

En définitive, la question qui se posera dans moins de deux ans sera celle du choix entre un ajustement à court terme des retraites et une réforme structurelle à long terme.

Aucune solution miracle ne permettra d'échapper à des décisions difficiles. Le vieillissement de la population produira ses effets au-delà de la branche vieillesse, puisqu'il accroîtra mécaniquement de 2, 7 points de PIB au moins le déficit de la branche maladie. Si l'on ajoute à ce montant les besoins de la branche famille, de la politique du handicap, de l'indemnisation de l'amiante et de la prise en charge de la dépendance, ce sont au moins six ou sept points de richesse nationale supplémentaires qu'il faudrait prélever, sachant que le niveau de prélèvement actuel de la France est déjà l'un des plus élevés au monde.

Quels que soient les responsables politiques qui seront aux affaires l'an prochain, il faudra, comme nous y invite la Cour des comptes, continuer le processus de réforme que nous avons eu le courage d'engager.

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