Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’exprime ce soir au nom de M. le Premier ministre. Avec ce débat, suivi de votre vote, nous voici au cœur du rééquilibrage des pouvoirs opéré par la réforme constitutionnelle du 21 juillet 2008.
Au cœur, puisque du « domaine réservé », apanage historique de l’exécutif, nous allons passer à un domaine partagé avec le Parlement, incarnation de la souveraineté nationale.
Nous avons voulu cette révision historique afin de conférer plus de pouvoir au Parlement. Nous avons voulu ouvrir le fonctionnement de notre démocratie à plus de débats. Nous avons voulu que s’exerce avec plus de transparence la prérogative régalienne que constitue l’emploi de la force armée, comme le pratiquent la plupart des grandes démocraties.
Conformément à la nouvelle rédaction de l’article 35 de la Constitution, le Gouvernement informe désormais le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées françaises à l’étranger dans les trois jours suivant le début de l’opération. Il soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement lorsque celle-ci dépasse les quatre mois.
Certaines activités militaires à l’étranger ne sont pas visées par cette procédure, notamment les échanges de militaires, les exercices, les troupes pré-positionnées en vertu des accords de défense, l’envoi d’observateurs non armés, les déplacements des navires et aéronefs dans les espaces internationaux et les escales dans les ports étrangers, ainsi que les opérations des services de renseignement ou des forces spéciales.
Cette procédure s’appliquera à l’envoi à des fins opérationnelles de forces militaires en corps constitués, c’est-à-dire des unités militaires d’un volume important, engagées en situation de crise et sur un territoire étranger. Elle concernera l’immense majorité des effectifs déployés en opérations.
Dès le 22 septembre dernier, nous avons abordé un premier théâtre, le plus difficile, l’Afghanistan. Nous avons débattu de la stratégie de la France et de ses partenaires pour le retour de la sécurité et de la stabilité dans ce pays.
Aujourd’hui, nous voulons vous informer des autres opérations extérieures en cours et vous demander d’approuver leur prolongation. Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a voté ce soir en ce sens.
Cinq théâtres principaux accueillent aujourd’hui 95 % des soldats français déployés en opérations. L’Afghanistan mis à part, restent quatre zones, où cinq engagements distincts prennent place : la zone regroupant le Tchad et la République centrafricaine, la Côte-d’Ivoire, le Liban, le Kosovo.
Pourquoi la France y est-elle présente ?
Tout d'abord, parce que sa stratégie de sécurité a pour objectif premier de parer aux risques qui menacent tous les Français et qu’un nombre croissant de ces menaces trouvent aujourd’hui leur origine bien au-delà de nos frontières.
Ensuite, parce que la France entend jouer son rôle en faveur de la sécurité internationale et qu’elle assume pleinement ses devoirs, dans le cadre des Nations unies.
Enfin, parce que les valeurs humanitaires ne cessent de guider au mieux son action.
Cette triple ambition nous commande de participer aux efforts de maintien de la paix, partout où notre implication peut se révéler décisive, par les moyens qu’elle engage, ou par l’effet d’entraînement qu’elle suscite.
La responsabilité d’envoyer nos soldats là où se nouent et se dénouent les crises est immense. Le 19 août 2008, dix soldats français tombaient au combat, au cours d’une reconnaissance conjointe avec l’armée afghane.
Le 22 novembre dernier, j’apprenais le décès, à Kaboul, d’un sous-officier du 3e régiment du génie de Charleville-Mézières.
Le 17 janvier dernier, encore, huit de nos hommes mouraient dans un accident d’hélicoptère au Gabon. Avec Hervé Morin, nous plaçons dans l’ombre de leur mémoire les choix graves qui nous incombent ici.
La France n’engage pas d’opérations militaires sans nécessité impérieuse, sans stratégie, sans objectif. Elle ne les engage que là où elles sont strictement nécessaires et dans les conditions les plus sécurisées possibles. Elle ne les engage que là où les enjeux humanitaires et stratégiques sont décisifs.
Dans tous les cas, notre engagement militaire doit être la contrepartie d’un engagement politique actif, susceptible de tirer de l’impasse les pays concernés.
Dans tous les cas, nous veillons à définir dès le départ les objectifs que nous assignons à nos troupes et qui détermineront, une fois qu’ils auront été atteints, les termes de leur retrait.
Par exemple, engagée pour une durée limitée, dans un but précis, l’opération européenne au Tchad et en République centrafricaine prendra fin dans les prochaines semaines, pour laisser place à une force des Nations unies.
Nous intervenons de plus en plus dans un cadre multilatéral, celui de l’OTAN, de l’Union Européenne, entre autres. La présidence française a élargi le rôle de cette dernière organisation dans le maintien de la paix et dans la gestion civile des crises, en lançant trois nouvelles opérations : deux à caractère civil, au Kosovo et en Géorgie ; une à caractère militaire, contre la piraterie dans le golfe d’Aden.
À chaque fois, que ce soit dans le cadre de l’OTAN ou dans celui de l’Union européenne, la France a conservé la maîtrise opérationnelle de ses forces. Elle a fait en sorte que ses troupes déployées à l’étranger soient le reflet de sa solidarité, mais aussi de son indépendance.
Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale le confirme : en toute situation, « La France s’engage avec une qualité et un volume de forces suffisants pour disposer d’une représentation adéquate dans les organes de planification et de commandement de l’opération, et garantir ainsi sa liberté d’appréciation et de décision ».
Depuis une dizaine d’années, une trentaine d’opérations mobilisent en moyenne 12 000 de nos soldats à travers le monde, sans jamais remettre en cause la participation de nos moyens militaires à la sécurisation du territoire national.
Le paysage stratégique bouge. Les menaces évoluent. En 2008, la France a réexaminé sa politique de sécurité, dans le cadre d’un Livre blanc présenté par le Président de la République le 17 juin. Présidente de l’Union européenne, elle a réactualisé et complété la stratégie de sécurité de celle-ci. En avril prochain, le sommet de l’OTAN, à Strasbourg et à Kehl, lancera les travaux de redéfinition du concept stratégique de l’Alliance atlantique.
Nos priorités changent et nos moyens s’adaptent.
Dans certaines régions du monde, où notre présence se révèle moins déterminante, il convient de réduire notre contribution. Ailleurs, il importe de quitter des zones déjà stabilisées, pour retrouver la mobilité nécessaire à d’autres participations. Les moyens de la France ne sont pas infinis, nous le savons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes intervenus en Côte d’Ivoire après la crise de septembre 2002. Au plus fort de l’épreuve, en 2004, plus de 4 000 soldats français y ont été déployés. En bloquant l’avancée des rebelles du nord et de l’ouest du pays, l’objectif était d’éviter que le pays ne sombre dans la guerre civile, comme l’avaient fait ses voisins, le Liberia et la Sierra Leone, souvenez-vous-en !
En 2004, ces soldats ont défendu la sécurité immédiate de nos ressortissants. Lors du bombardement de Bouaké, le 6 novembre 2004, neuf d’entre eux ont payé ce dévouement de leur vie.
Depuis, nous avons privilégié la gestion multilatérale de la crise, et contribué à un processus politique de réconciliation ouvert sur la tenue d’élections régulières. L’accord de Ouagadougou, signé le 4 mars 2007, a consacré la stabilisation politique du pays.
Ayant obtenu un fort engagement des Nations unies, nous intervenons aujourd’hui non plus en première ligne, mais en soutien de leur mission, l’ONUCI, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire.
En Côte d’ivoire, les enjeux sécuritaires ont perdu de leur intensité, et l’attente d’échéances électorales toujours incertaines ne justifie plus le maintien de notre dispositif militaire en l’état.
D’ores et déjà, l’ONU a entamé son désengagement, par une diminution de ses effectifs et par un réexamen des mandats de l’ONUCI, où la France compte 200 soldats, principalement des troupes du génie, dont la mission peut être considérée comme achevée et qui – je vous l’annonce – rentreront en France cette année.
À son tour, notre pays devrait réduire de moitié le contingent de 1 800 hommes qui constitue la force Licorne, d’ici à l’été 2009. Regroupées à Abidjan, nos troupes resteront en mesure d’assurer la protection et l’évacuation éventuelle de nos ressortissants, ou d’accueillir des transports stratégiques destinés à l’ONUCI, en cas de reprise des conflits.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au Kosovo, où notre engagement ancien fait de nous le troisième contributeur de la KFOR, avec 1 850 hommes, la situation politique s’est, elle aussi, profondément modifiée.
L’indépendance du Kosovo et sa reconnaissance comme État souverain ouvrent depuis décembre la voie à une mission civile de consolidation de l’état de droit menée par l’Union européenne. Cette mission EULEX est une mission ambitieuse de police et de justice, dont un Français assure en outre le commandement.
La France est aujourd’hui favorable à une évolution de l’action de l’OTAN au Kosovo. Elle souhaite la transformation progressive de la KFOR en force de présence dissuasive, qui permettra une réduction de son volume global et, dans ce cadre, de la participation française.
Ce changement de posture nécessitera l’accord du Conseil de l’Atlantique Nord, après évaluation de la situation diplomatique et sécuritaire régionale.
Au Liban, depuis trente ans, la France ne s’est fixé qu’un objectif : renforcer l’indépendance et la sécurité du pays. Notre travail diplomatique, intense, porte ses fruits. Le Liban a passé l’an dernier l’épreuve délicate du choix d’un nouveau Président. Il se prépare à organiser, en mai prochain, des élections législatives qui doivent signer son apaisement.
Pour cette paix retrouvée, la France a versé le prix du sang.
L’attentat contre le « poste Drakkar », en octobre 1983, l’assassinat odieux de notre ambassadeur, Louis Delamarre, en septembre 1981, ont été des tests de notre résolution.
La République n’a pas renoncé, elle n’a pas lâché le Liban. En 2006, lorsqu’il a fallu s’engager dans le cadre de la FINUL II, elle a fourni 1 500 hommes à l’opération. Elle les a pourvus d’équipements à la fois robustes et dissuasifs, comme les chars Leclerc.
Surtout, elle a joué, en s’engageant, un rôle moteur auprès de ses partenaires européens, dont l’engagement conditionnait à son tour l’arrêt des hostilités entre Israël et le Hezbollah.
Aujourd’hui, grâce à la FINUL, la souveraineté du Liban est restaurée.
Grâce à la présence française, l’armée libanaise a repris position au Sud-Liban, où elle n’intervenait plus depuis des décennies.
Ce rôle stabilisateur ne se dément pas, et il mérite le maintien des soldats français au sein de la FINUL renforcée, en particulier dans sa composante terrestre.
Quant à la FINUL maritime, dont nous assurons le commandement, son dispositif très dense ne se justifie plus vraiment. Les deux bâtiments de la marine nationale qui y participent seront bientôt dirigés vers d’autres missions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au Tchad et en République centrafricaine, enfin, deux opérations différentes appellent de notre part deux réflexions distinctes.
La première opération, l’EUFOR, procède de l’initiative française face au drame humanitaire du Darfour. Déployée le 28 janvier 2008, avec le concours de dix-sept de nos partenaires européens, elle a permis de réduire les attaques contre les ONG, et de sécuriser la zone frontalière entre le Tchad et le Soudan, où se concentraient les incursions rebelles : il n’y a pas eu une seule incursion depuis un an. À ce titre, elle constitue à ce jour la plus importante opération militaire de l’Union européenne, et une preuve de sa crédibilité opérationnelle grandissante.
Nous avons lancé l’EUFOR comme une opération transitoire, en prévision de sa relève par une force des Nations unies : cette promesse sera tenue, puisque, le 15 mars prochain, la MINURCAT 2 remplacera la mission européenne.
Le calendrier du retrait français prévoit ainsi que, d’ici à l’été, 1 000 de nos 1 650 hommes quittent le pays. Cependant, jusqu’à la fin de l’année, la France continuera de fournir à l’ONU l’aide technique utile à son installation, en particulier un certain nombre de capacités logistiques critiques qui lui permettront d’assurer progressivement son autonomie.
La logique des opérations Épervier, au Tchad, et Boali, en République centrafricaine, est différente.
Au Tchad, notre engagement des années quatre-vingt, destiné à protéger la zone frontalière des agressions libyennes, a vu son principe évoluer avec la normalisation des rapports entre les deux pays. L’objectif est désormais d’offrir, au centre de l’Afrique, un point d’appui militaire aux missions multilatérales de maintien de la paix et une capacité d’évacuation de nos ressortissants. Le dispositif, pourvu d’environ 1 100 hommes, a aidé à déployer l’EUFOR : il continuera pour la MINURCAT.
Quant à notre opération à Boali, en République centrafricaine, elle illustre parfaitement l’ambition que nous fixons à nos forces prépositionnées sur le continent. Il s’agit avant tout d’aider les Africains à prendre en charge leur propre sécurité – c’est difficile ! –d’abord, en renforçant le potentiel des forces centrafricaines – c’est également difficile ! –, ensuite, en soutenant la mission régionale de consolidation de la paix engagée par une organisation africaine, la Communauté économique des États d’Afrique centrale. Notre contingent sur place ne dépasse pas 200 hommes et son rôle clé justifie entièrement son maintien.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, les opérations extérieures de la France ont un sens et une nécessité à l’instant où elles sont lancées ; elles ont aussi une dynamique, un pilotage et un calendrier. Vous assurerez désormais – le Gouvernement s’en réjouit, notamment moi-même – une part de leur contrôle, et vous garantirez que leur déroulement se poursuit avec l’appui explicite de la nation.
Votre débat et votre vote ne seront pas seulement un gage de cohérence et de vigilance démocratique : ils diront aussi à nos partenaires que la France, quand elle s’engage, le fait d’une seule et forte volonté ; ils diront à nos soldats qu’aussi loin que cet engagement les porte notre regard et notre soutien les suivent.
Vous connaissez leur compétence, leur dévouement et leur bravoure : ils doivent pouvoir compter aujourd’hui sur votre responsabilité. Ils doivent savoir qu’ils ont, par votre voix exigeante, l’appui de la nation.